Opinions Libres - Le Blog d'Olivier Ezratty

Decode Quantum avec David Sadek et Frédéric Barbaresco de Thales

Post de Olivier Ezratty du 19 octobre 2023 - Tags : Quantique | No Comments

Dans le 63e épisode des entretiens Decode Quantum, Fanny et moi-même accueillons David Sadek et Frédéric Barbaresco de Thales. C’est le second épisode avec des représentants de Thales, le premier ayant été enregistré avec Daniel Dolfi en 2020 sur les capteurs quantiques (épisode 12). Ces épisodes sont toujours également diffusés par Frenchweb sachant qu’ici, vous avez en bonus les liens utiles et le transcript des points clés du podcast.

   

David Sadek est VP, Research, Technology & Innovation, en charge notamment du traitement de l’information, des algorithmes, de l’IA et de l’informatique quantique. Il était avant SVP Recherche à l’Institut Mines-Télécom et VP Recherche chez Orange où il a notamment travaillé sur la mise en œuvre des premiers systèmes de dialogue intelligents et agents conversationnels. Il a un doctorat en Informatique et est expert en IA. Il a notamment beaucoup travaillé dans le domaine des agents intelligents. Il s’est aussi intéressé aux questions d’éthique de l’IA dans différents groupes de travail et initiatives autour de l’IA (FranceIA, ALLISTENE CERNA, OneAI, GPAI).

Frédéric Barbaresco est leader du segment « algorithmes et calculs quantiques » pour la direction technique Corporate de Thales. Il coordonne l’activité sur les algorithmes quantiques entre la R&D (Thales Research & Technology) et les équipes métiers des business lines. Cela comprend la relation et les partenariats avec les startups et les laboratoires de recherche du domaine. Il pilote le projet BACQ de benchmarks applicatifs des calculateurs quantiques. Il est diplômé de (Centrale)Supelec en 1991.

Et voici comme d’habitude les points clés et liens utiles de cet entretien.

  • L’habituelle question de la « marmite quantique ». Pour David Sadek, cela date de ses premiers cours de physique quantique. Il avait étudié le fameux livre de Claude Cohen-Tannoudji (Mécanique Quantique Tome I, Tome II et Tome III, 2365 pages au total, presque deux fois mon propre livre et… moins facile à comprendre, tout étant relatif). Il s’était intéressé à la physique depuis longtemps, dès l’adolescence. Il s’est naturellement rapproché du sujet avec l’apparition des technologies quantiques. Frédéric Barbaresco a travaillé pendant 30 ans dans les radars et les algorithmes associés, et avec l’Ecole Polytechnique sur des sujets liés à l’information quantique. L’école avait invité Roger Balliant, qui était professeur de physique statistique de l’X et l’un des créateurs du centre de physique théorique du CEA (IPHT). Frédéric s’est intéressé aux algorithmes quantiques appliqués aux problèmes de simulation et d’optimisation, aux calculs des variations, et à la reformulation de problèmes sous forme d’Hamiltoniens.
  • La thèse ? Pour David Sadek, elle portait sur l’interaction rationnelle, vers une théorie formelle de la communication. Cf deux papiers liés: Vers un modèle formel des émotions d’un agent rationnel dialoguant empathique par Magalie Ochs, D. Sadek, C. Pelachaud, 2007 (13 pages) et De la représentation de l’interlocuteur vers un modèle utilisateur formel pour le dialogue personne-machine par Philippe Bretier, Ludovic Le Bigot, Franck Panaget et David Sadek, 2004 (5 pages). Frédéric Barbaresco n’a pas fait de thèse (bienvenue au club :). Mais il a tout de même gagné le prix Aymé Poirson de l’application des sciences à l’industrie décerné par l’Académie des Sciences en 2014. Cela valorisait ses travaux sur l’amélioration de la détection des cibles des radar Doppler basée sur une géométrie de l’information associée aux matrices de covariance du signal. Dans le cadre de ces travaux, Frédéric a beaucoup travaillé avec des chercheurs, notamment dans les sciences géométriques de l’information qui intègrent les thèmes « géométrie de l’information quantique » et « thermodynamique quantique ». Il a créé avec Frank Nielsen en 2013 la conférence internationale SEE GSI « Geometric Science of Information » qui intègre des sessions sur la mesure de l’information quantique.
  • Liens entre l’IA et le quantique. Le gain réel des algorithmes de machine learning quantique reste à démontrer. Ils pourraient dans certaines conditions apporter une accélération exponentielle en particulier les réseaux de neurones équivariants basés sur la théorie des représentations des groupes de Lie avec des accélérateurs “quantum group convolutions”. Il existe des travaux associés sur les groupes de Lie et les réseaux de neurones équivariants et sur les “quantum group convolutions” au MIT (Bobak T. Kiani, un thésard de Seth Lloyd) et au laboratoire de Los Alamos de Département de l’Energie US (Marco Cerezo).
  • Approche de Thales vis-à-vis du quantique. C’est une démarche volontariste qui couvre à la fois les capteurs quantiques, les communications quantiques (notamment via satellites), le calcul et la cryptographie quantique. La partie calcul s’appuie sur une grande communauté d’algorithmiciens au sein du groupe. Cela s’inscrit aussi dans une approche long terme du groupe avec une feuille de route. Le groupe travaille déjà sur des projets très long terme comme le SCAF, le Système de Combat Aérien du Futur, à un horizon 2035. Cela correspond aux incertitudes sur les échéances du calcul quantique. Mais il pourrait y avoir des sprints dans ce marathon. L’échéance pourrait bien se rapprocher. Cela nécessite de travailler avec une grande diversité d’acteurs.
  • Partenaires technologiques. Thales travaille avec une large part des partenaires habituels en France comme Pasqal et Quandela via Pack Quantique IdF, Alice&Bob (projet déposé), Quobly (avec un projet en cours de construction), des partenaires académiques, et avec EDF. Dans ce dernier cas, c’est lié au fait que certains problèmes comme la résolution de systèmes linéaires pour la simulation d’équations aux dérivées partielles (simulation électromagnétique d’antennes pour Thales ; mécanique des fluides et des structures pour Edf) ont des briques de base communes. L’approche est aussi internationale, en liaison avec l’Institut Quantique à Sherbrooke, Fraunhofer Institute IAIS en Allemagne, Terra Quantum en Suisse avec une preuve de concept sur la planification de missions pour les constellations satellites. Puis UK, Pays-Bas. Singapour (NUS/NTU).  Voici une bibliographie des travaux auxquels Frédéric a participé (qui est dans “Understanding Quantum technologies 2023“).

Introduction to Robust Machine Learning with Geometric Methods for Defense Applications by Pierre-Yves Lagrave and Frédéric Barbaresco, Thales, July 2021 (9 pages).

Towards Bundle Adjustment for Satellite Imaging via Quantum Machine Learning by Nico Piatkowski, Thore Gerlach, Romain Hugues, Rafet Sifa, Christian Bauckhage and Frederic Barbaresco, Thales and Fraunhofer IAIS, April 2022 (8 pages).

Hyperbolic Equivariant Convolutional Neural Networks for Fish-Eye Image Processing by Pierre-Yves Lagrave and Frédéric Barbaresco, Thales, February 2022 (9 pages).

Phase-coded radar waveform AI-based augmented engineering and optimal design by Quantum Annealing by Timothé Presles, Cyrille Enderli, Rémi Bricout, Florence Aligne and Frédéric Barbaresco, Thales, 2021 (9 pages).

  • Dualité. Les applications sont-elles essentiellement militaires où aussi dans le civil ? Selon David Sadek, l’approche est pragmatique dans les Global Business Units avec une diversité d’applications civiles et militaires. Elles sous-tendent des problèmes génériques d’optimisation combinatoire, de résolution d’équations différentielles, d’apprentissage automatique, de problèmes de Monte Carlo, d’algorithmes de crash test des cryptographie post-quantiques (PQC), de simulations de matériaux et de tests massif (pour les FMS, les flight management system des avions civils et militaires). Il en va aussi de la détection d’anomalies de “side channel attacks” (attaques par effets de bord) sur les canaux physiques (réalisées avec Institut Quantique de Sherbrooke). Il faut aussi distinguer les cas d’usage de l’ingénierie “de l’offline” et ceux des opérations et du temps réel « de l’online » qui adoptent des approches différentes.
  • Quelle est la viabilité des solutions NISQ avec un avantage quantique ? Pour Frédéric, on s’en rapproche aussi bien avec les machines analogiques et les machines à portes quantiques (gate-based). Les machines fonctionnent dans le cloud et on peut tester des algorithmes dessus. Les premiers tests portent sur l’optimisation de formes d’ondes de radar (de codes de phase). Au départ, ils ont reformulé des problèmes classiques en version quantique (QUBO : Quadratic Unconstrained Binary Optimization) en retrouvant les codes classiques (codes de Barker) mais sans obtenir pour l’instant d’avantage quantique. Des tests ont été réalisés sur D-Wave récemment par le Los Alamos Laboratory avec une première preuve d’accélération d’un facteur 50 sur des tâches d’optimisation précises (On the Emerging Potential of Quantum Annealing Hardware for Combinatorial Optimization). Il faudra attendre un peu plus pour obtenir une mise à l’échelle plus radicale. Il existe aussi des avantages intéressants des applications dites “quantum inspired”, mais cet avantage est principalement lié au fait que les problèmes sont reformalisés sous forme variationnelle avec un Hamiltonien. C’est donc plus un avantage du calcul des variations que du quantique. Les tests sont aussi réalisés sur des émulateurs de machines à correction d’erreurs, comme avec l’application testée avec Terra Quantum. Avec Terra Quantum, il s’agissait de la mise en œuvre de 3 algorithmes : clustering à base de Quantum K-Means, de Quantum Reinforcement Learning de type proximal policy optimization hybride (apprentissage par renforcement) et d’optimisation de problème formalisé sous forme QUBO. Voir Quantum Algorithms applied to Satellite Mission Planning for Earth Observation. Le papier réalisé avec Fraunhofer IAIS portait sur la détection d’anomalies par mise en correspondance d’imagerie spatiale qui hybridait deux types d’algorithmes tournant sur NISQ (IBM) et Quantum Annealer (D-Wave). A noter que THALES Alenia Space participe à une étude pour l’ESA (European Space Agency), appelée QC4EO (Quantum Computing for Earth Observation), concernant la définition des cas d’usage des algorithmes quantiques pour le spatial.
  • D’où vient la passion de Frédéric Barbaresco pour les groupes de Lie ? L’algèbre Linéaire a remplacé au siècle dernier l’algèbre de Boole. Déjà dans le domaine des algorithmes classiques, l’algèbre de Lie commence à remplacer l’algèbre linéaire : filtrage de kalman basé sur les groupes de Lie (collaboration avec avec Silvère Bonnabel de l’Ecole des Mines de Paris), réseaux de neurones équivariants basés sur des convolution sur les groupes de Lie pour être robustes aux transformations géométriques (développement des GINN « Geometry-Informed Neural Network » par Thales Research & Technology pour les caméras Fisheye ou les données radar Doppler). Cela permet d’être indépendants du système de coordonnées. Les groupes de Lie ont été introduits en mathématique et en physique pour développer des schémas indépendants du système de coordonnées et pour  capturer les symétries d’un problème, ce qui permet de réduire la dimensionnalité des problèmes. Les groupes de Lie apparaissent nativement dans l’élaboration des machines quantique à portes (théorème de Solovay-Kitaev). La théorie des représentations des groupes de Lie est centrale pour la physique et le calcul quantique. On peut associer à un groupe de Lie une « représentation unitaire » du groupe sur ses « orbites coadjointes », et un vecteur unitaire sur l’espace de Hilbert via la méthode de la « quantification géométrique » introduite par Jean-Marie Souriau. Une librairie d’apprentissage sur les groupes de Lie et les variétés différentielles a été développée dans le domaine de l’IA avec le package Python Geomstat d’Inria. On trouve aussi les groupes de Lie en IA pour les GINN “Geometry-Informed Neural Networks” . Dans le domaine de la correction d’erreurs, les groupes de Lie apparaissent avec l’utilisation de variétés hyperboliques (Anthony Leverrer (vidéo, article).
  • Projet BACQ. Frédéric Barbaresco présente le projet BACQ (Benchmark Applicatifs des Calculateurs Quantiques) du programme national MetriQs du LNE. Les partenaires sont le CEA, Eviden, CNRS (Alexia Auffèves et Robert Whitney de l’équipe |QET>) et TERATEC. MetriQs est le projet englobant qui concerne toutes les technologies quantiques. BACQ est un programme financé par l’ANR dans le cadre de la stratégie nationale quantique. Son objectif est de développer une plateforme de benchmark des calculateurs quantiques la plus transparente possible. Elle se positionne au-dessus des travaux du QED-C qui proposent des benchmark d’assez bas niveau, avec une approche d’agrégation multicritères basée sur l’outil THALES MYRIAD. Les benchmarks pourraient servir à rassurer les investisseurs et permettre d’éviter un hiver quantique. Ils permettent aussi de suivre dans le temps l’évolution des performances des machines. On évoque le séminaire TQCI organisé chez Thales Research & Technology à Palaiseau en mai 2023, avec des collègues européens, américains, japonais et singapouriens. Les travaux sur le benchmarking sont réalisés en liaison avec Fraunhofer IKS en Allemagne, TNO et TU Delft aux Pays-Bas, Qilimanjaro et CUCO en Espagne, et le consortium QUIC au niveau Européen. L’accès aux machines sera fourni par GENCI/CEA via TGCC et au niveau européen via les six clusters financés par EuroHPC. BACQ se focalisera sur quatre types de problèmes génériques d’intérêt pour les utilisateurs finaux : systèmes linéaires, factorisation, simulation physique et optimisations.
  • Hackathon Thales organisé avec QuantX en 2023. C’était le plus grand Hackathon Quantique Corporate organisé à l’International, impliquant plus de 80 personnes dans 5 pays (FR, GE, UK, CAN, SG) et sur 10 cas d’usage. Les cas d’usage venaient des métiers de Thales et étaient élaborés par les business lines. Dans chaque pays, les fournisseurs de QPUs ou émulateurs étaient associés comme Quandela et Pasqal en France, IBM et IQM en Allemagne, QuEra au Canada, Quantinuum au Royaume Uni et Google à Singapour. La compétition s’est déroulée en deux étapes : en phase 1, deux équipes dans chaque pays s’affrontaient sur deux cas d’usage et une seule équipe était sélectionnée par un jury local puis une phase 2 organisée à Thales Corporate avec un jury d’experts pour un pitch mêlant éléments technique et business entre équipes finalistes. Les équipes gagnantes d’Allemagne et de Singapour ont reçu un budget significatif pour faire avancer la maturité du cas d’usage avec leur écosystème local. Le prix a été remis au salon du Bourget par Bernhard Quendt en présence de Patrice Caine, le CEO de Thales. Cela contribue aussi à l’attractivité du sujet pour les jeunes. Le quantique attire les meilleurs talents. Ce hackathon avait été organisé avec QuantX et le Lab Quantique. A noter que les critères de sélection n’étaient pas que techniques.

RRR

 
S
S
S
S
S
S
S
img
img
img


Lien du blog Opinions Libres : https://www.oezratty.net/wordpress

Lien de l'article : https://www.oezratty.net/wordpress/2023/decode-quantum-avec-david-sadek-et-frederic-barbaresco-de-thales/

(cc) Olivier Ezratty - http://www.oezratty.net