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Decode Quantum avec Denis Vion du CEA

Post de Olivier Ezratty du 9 novembre 2022 - Tags : Actualités,Quantique | No Comments

Dans le 52e épisode de Decode Quantum coproduits avec Frenchweb, Fanny Bouton et moi-même recevions Denis Vion qui fait partie de l’équipe du groupe Quantronique au CEA à Saclay, précisément à l’Orme des Merisiers.

Denis Vion est chercheur en électronique quantique. Il a obtenu son doctorat en 1992 à l’université de Lyon pour son travail au CERN sur la résistivité résiduelle des cavités supraconductrices accélératrices de particules. Il a été ensuite post-doctorant dans le groupe Quantronique où il travaillait sur les boîtes et transistors à une paire de Cooper. Après un temps passé comme professeur de Physique Chimie dans le secondaire puis à diriger le groupe “fiabilité ” de Pixtech, une société qui développait des écrans plats, il est revenu en 2000 au CEA comme chercheur à temps plein dans le groupe Quantronique pour participer au développement des premiers qubits supraconducteurs. Il contribue à battre un record de temps de cohérence de 1µs (à l’époque où on raisonnait plutôt en nanosecondes) et permettant une lecture de l’état du qubit en une seule étape. L’équipe a observé la première violation d’une “inégalité de Bell en temps” qu’il nous explique. Elle démontre aussi en 2012 un processeur quantique mettant en œuvre l’algorithme de Grover avec deux qubits. Denis est aussi un spécialiste de la fabrication de ces qubits supraconducteurs dont il nous parle beaucoup dans cet épisode.

Points clés du podcast et liens

  • La question habituelle de la marmite quantique et de sa découverte du domaine, avec plusieurs entrées : les sciences en physique du solide, une série d’exposés à l’INSA durant lesquels il découvre les inégalités de Bell en 1987, et une rencontre décisive avec les chercheurs du groupe Quantronique en 1992.
  • Il réalise sa thèse au CERN, en rapport avec le LEP, grand collisionneur   d’electrons-positrons d’avant le LHC, « Caractérisation physico-chimique de couches minces de niobium déposées par pulvérisation magnétron sur la surface interne de cavités électromagnétiques accélératrices », thèse soutenue à l’INSA Lyon en 1993. Ayant visité un ami de terminale qui faisait son stage de M2 dans le groupe Quantronique de Daniel Esteve et Michel Devoret au CEA, il choisit de devenir chercheur en circuits quantiques supraconducteurs, plutôt que d’éxercer tout de suite son métier de professeur de physique-chimie.
  • L’histoire de sa thèse est celle d’une enquête policière pour trouver un coupable. Consommant beaucoup d’électricité, l’accélérateur de particules sur lequel il travaillait ne fonctionne que l’été car il consomme énormément d’énergie (il parle de plusieurs tranches de centrales nucléaires). Cela vient de l’effet Joule dans les cavité accélératrices supraconductrices de l’accélérateur, induit part des défauts  matériaux supraconducteurs utilisé : le niobium. Les suspects étaient divers: oxygène, lacunes, dislocations et joints de grains. Le coupable était les joints de grains, démasqués par hasard en divisant par 3 la résistivité du niobium lors d’une épitaxie de couches de niobium sur cuivre.
  • Lors de son post-doc dans le groupe Quantronique, il a travaillé avec Vincent Bouchiat du CEA sur les boites de Cooper. La communauté leur est tombée dessus pour qu’ils développent des bits quantiques. Daniel Esteve a fait un premier type de qubit qui n’a pas marché. A l’époque de son post-doc au CEA, son embauche comme chercheur n’a pas pu avoir lieu car les embauches étaient gelées.
  • Il s’est retrouvé enseignant en Physique-chimie pendant 2 ans dans deux lycées de Meaux. Avec 42% de réussites au Bac et 10 redoublants par classes de 35, il s’est rendu compte de ce qui dysfonctionnait dans les zones défavorisées, les fameuses ZEP.
  • Il a ensuite été consultant pour une société fabricant des écrans plats : Pixtech utilisait une technologie issue du CEA-Leti, une sorte de technologie d’écrans cathodiques miniatures avec 2000 canons à électrons par pixel, éclairant ensuite des luminophores. Ces écrans étaient très lumineux et auraient concurrencé les écrans de visualisation des dispositifs mobiles si leur durée de vie n’avait pas été si courte. Denis a en fait trouvé une explication sur ce qui ne marchait pas dans la technologie, qui a été rapidement abandonnée à l’échelle mondiale.
  • De retour dans l’équipe Quantronique, cette fois-ci comme chercheur permanent, Denis travaille donc sur les premiers qubits supraconducteurs avec Daniel Esteve et Michel Devoret. L’intérêt pour lui était de mener des recherche allant de A à Z, couvrant la conception, la fabrication et les expériences. Il raconte comment le domaine avait démarré avec l’expérience du Japonais Yasunobu Nakamura en 1998-1999, avec l’idée de reprendre la boite de paire de Cooper et de la doter d’une méthode de lecture en faisant sortir des électrons un par un de la boite de Cooper. Nakamura exploitait l’électronique ultrarapide provenant de NEC. Cela a bien secoué la communauté. Il cite Audrey Cottet qui était thésarde de l’époque au CEA. Ils ont travaillé sur un nouveau design de qubit qui fonctionnait mieux que prévu avec des points de protection contre la décohérence. Le papier était publié en 2002 sur le “Quantronium”. Daniel Esteve profitait de son expérience dans la RMN car il avait réalisé sa thèse de doctorat avec le spécialiste du domaine, Anatole Abragam, au CEA. Il connaissait bien les techniques d’opération des qubits.
  • Petit détour au passage sur l’organisation du CEA avec la DRF (recherche fondamentale) et la DRT (recherche appliquée et industrialisation, où se trouvent le Leti, le LIST et le Liten). Dans la DRF se trouve IRAMIS qui est spécialisé dans la physique de la matière (780 personnes), qui comprend le SPEC (physique de l’état condensé, environ 180 personnes) dans lequel se trouve le groupe Quantronique avec une vingtaine de personnes et est actuellement dirigé par Hugues Pothier qui a pris le relai de Daniel Esteve. La DRF comprend aussi l’IRIG à Grenoble ainsi que l’IPHT (conjoint avec le CNRS) où se trouve Nicolas Sangouard qui traite notamment des communications quantiques.
  • Denis évoque les inégalités de Bell « en temps » plutôt appelées inégalités de Leggett-Gard qui servent à décrire la dynamique d’un système quantique à trois instants différents. Elles ne doivent pas être confondues avec les vraies inégalités de Bell. Denis nous relate l’impact psychologique de l’expérience d’Alain Aspect de 1982 chez les physiciens. Elle a motivé plusieurs générations de chercheurs à s’intéresser à la physique quantique.
  • Denis nous décrit le processus de fabrication des qubits supraconducteurs, qui ressemble de près à celui des circuits électroniques classiques. On utilise des wafers de petite taille en silicium à haute pureté ou éventuellement du saphire. Puis un dépôt de matériaux et gravure avec de la lithographie qui joue le rôle de pochoir, avec des résines plastiques photosensibles. Des trous sont réalisés avec de la lumière UV ou des faisceaux d’électrons. Cela permet de déposer des matériaux supraconducteurs comme de l’aluminium, du niobium, du tantale ou du nitrure de niobium-titane qui sont supraconducteurs entre 1K et 16K. Une méthode alternative consiste à déposer de la matière partout puis à l’enlever de manière sélective ensuite par attaque chimique  ou attaque plasma à travers le masque de lithographie.
  • Les composants gravés sont des inductances et des capacités et surtout des jonctions Jopsephson qui sont des inductances non linéaires. Ces jonctions sont construites sous la forme d’un sandwich avec deux couches d’aluminium séparées par une mince couche d’oxyde d’aluminium. Il existe des astuces pour faire tout en une seule étape qui exploite de l’évaporation de matériaux sous différents angles, exploitant deux résines photosensibles différentes. C’est là que des machines Plassys sont utilisées pour le dépôt de matériaux. La société francilienne est leader mondial pour le dépôt par évaporation des qubits supraconducteurs. Elle réalise aussi des pulvérisateurs et des outils pour la gravure ainsi que des machines pour la production de diamants de synthèse, surtout pour la tribologie et l’électronique de puissance.
  • Nous faisons le point sur les matériaux utilisés. Le niobium est utilisé pour les grandes structures. Il est facile à graver. Mais il se réoxyde facilement. Le niobium, le nitrure de niobium-titane et le tantale sont utilisés dans les résonateurs, et le tantale pour les électrodes (capacités) des transmons. Les jonctions Josephson sont par contre toujours réalisées en aluminium, du fait se sa grande stabilité et de l’indestructibilité de l’oxyde d’aluminium.
  • D’autres ont essayé de produire des jonctions Josephson épitaxées, y compris John Martinis et IMEC, mais sans avantage à ce jour.
  • Nous évoquons les questions de connectivité 3D des circuits supraconducteurs. On peut créer ces connectiques en dessous des circuits et/ou en utilisant des “vias”, qui font traverser le courant verticalement dans les chipsets. Par contre, on ne met rien au-dessus des couches de qubits. Mais il n’y a toujours pas de procédé arrêté de fabrication des qubits supraconducteurs. C’est un domaine en perpétuelle évolution.
  • Denis nous décrit la nouvelle salle blanche qui va être créée à Saclay dans le cadre du PEPR du plan quantique national et ce à quoi elle servira. Notamment pour produire les chipsets d’Alice&Bob ainsi que les qubits hybrides de spin réalisés avec Patrice Bertet et l’ENS Lyon (Benjamin Huard) et Grenoble (Nicolas Roch). En parallèle, la salle blanche de l’Institut Néel de Grenoble (qui fabrique les amplificateurs TWPA de Silent Waves, créé par Luca Planat et Nicolas Roch) sera modernisée. C12 est aussi concernée. Ils sont à cheval entre Grenoble avec le CEA-Leti et Saclay sur les technologies supraconductrices “classiques” de leurs circuits. La nouvelle plateforme ouverte de Saclay fera un total de 1200 m2 avec 5 labos, des bureaux, 400 m2 de salle blanche principale et 100 m2 de salle pour le packaging des circuits. Le projet s’étale sur 3,5 ans dont 1 an est déjà passé. Ce qui est long: réaliser les cahiers des charges et construire le bâtiment.

Dans le prochain épisode, nous recevront Harold Ollivier d’Inria qui y coordonne les travaux de recherche dans le domaine du quantique.

RRR

 
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