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Les limites du calcul quantique selon Xavier Waintal

Post de Olivier Ezratty du 15 avril 2021 - Tags : France,Quantique,USA | 1 Comment

La perspective de voir arriver dans un nombre d’années incertain des ordinateurs quantiques scalable cassant la baraque face aux supercalculateurs les plus puissants du monde fait rêver. Elle sert de point d’appui à de nombreuses promesses sur les capacités du calcul quantique qui pourrait tour à tour sauver la planète, trouver des vaccins rapidement, optimiser le trajet des millions de véhicules autonomes ou encore, casser les clés RSA qui structurent toute la cybersécurité à clés publiques actuelle d’Internet.

Les pays industrialisés se sont tous lancés dans des plans quantiques “souverains” pour jouer dans la cour des grands de ce domaine émergent. La course fait penser à celle de l’arme nucléaire pendant la seconde guerre mondiale.

Et IBM vient d’installer un ordinateur quantique en grandes pompes en Allemagne en partenariat avec le Fraunhofer Institute (annonce). Sans préciser que sa puissance de calcul réelle ne dépasse même pas celle d’un cœur de votre processeur de laptop.

Dans la sphère scientifique, certains ont un regard critique sur ces ambitions. Le plus connu des pessimistes sur l’avènement d’ordinateurs quantiques scalables est le chercheur israélien Gil Kalai qui pense que l’on n’arrivera jamais à créer des ordinateurs quantiques avec un faible taux d’erreurs. Un autre détracteur du calcul quantique est le chercheur russe Mikhail Dyakonov (né en 1940 en URSS) qui officie dans le Laboratoire Charles Coulomb (L2C) du CNRS et de l’Université de Montpellier. Il a exprimé son point de vue dans un article largement relayé fin 2018 et devenu ensuite un livre. Nous avons aussi Serge Haroche pour qui l’ordinateur quantique universel est une chimère, toujours à cause de ce satané bruit.

Pour bien couvrir un sujet scientifique, il est toujours bon de rassembler des points de vue divers. C’est pour cela qu’avec Fanny Bouton, nous avons accueilli Xavier Waintal dans le 24e épisode des entretiens Decode Quantum toujours coproduits avec Richard Menneveux de Frenchweb/Decode Media. Un épisode d’une bonne heure riche en informations scientifiques !

Xavier est Directeur de Recherche en physique théorique au laboratoire IRIG du CEA à Grenoble, qui dépend de sa direction de la recherche fondamentale(DRF). Il a deux caractéristiques qui le distinguent des chercheurs et chercheuses que nous avons rencontrés dans ces entretiens. Tout d’abord, comme Gil Kalai et Mickhail Dyakonov, il fait partie des sceptiques sur la possibilité de créer des ordinateurs quantiques scalables et il explique pourquoi dans le détail. De plus, ses travaux l’ont récemment amené avec des collègues américains, à sérieusement mettre en doute la suprématie quantique de Google d’octobre 2019, dans un papier publié dans Physical Review X. fin 2020, What Limits the Simulation of Quantum Computers?.

Il y montre que l’on peut émuler le processeur Sycamore de Google avec un simple micro-ordinateur grâce à un procédé de compression des états quantiques qui intègre le bruit des qubits. Cela démolit totalement la suprématie quantique de Google.

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Ce sujet et le scepticisme sur la scalabilité du calcul quantique sont d’ailleurs reliés entre eux comme nous le voyons avec lui.

Le scepticisme de Xavier vient surtout du bruit quantique. Il appuie son raisonnement sur diverses bases physiques plus documentées que dans le propos de Gil Kalai : le fonctionnement des qubits est un problème quantique à n-corps très complexe et le fait que les codes de correction d’erreurs traitent généralement de seulement deux types d’erreurs (flip, phase) mais pas de toutes les sources d’erreurs. Il recommande d’exploiter la théorie de champs moyens (mean-fields theory) qui permet de modéliser les interactions complexes entre les qubits et leur environnement.

Voici quelques points clés de l’entretien :

  • Le besoin de rapprocher les différentes disciplines de l’informatique quantique avec les théoriciens matheux, les physiciens et les ingénieurs, pas assez nombreux.
  • Son approche associant la physique et les approches mathématiques et informatiques qui l’on amené à développer des logiciels de simulation open source utilisés par des concepteurs de qubits, dont les équipes de Microsoft.
  • Il évoque les questions de décroissance de la fidélité des qubits et d’entropie, auxquelles il est difficile d’échapper. Bref, la sempiternelle seconde loi de la thermodynamique.
  • On traite des divers moyens de lutter contre la décohérence des qubits qui limite actuellement la performance des calculateurs quantiques.
  • On parle aussi de la performance des accélérateurs à recuit quantique de D-Wave ainsi que des recherches portant sur les fermions de Majorana.
  • On compare rapidement les différentes filières de qubits, et notamment celles qui s’appuient sur les spins d’électrons. Il explique pourquoi les NV centers (cavités dans des diamants) fonctionnent bien et pas bien à la fois et décrit les délicats compromis à réaliser entre isolation des qubits et le fait d’agir dessus avec des portes quantiques.
  • Il décrit le rôle de la correction d’erreurs quantiques (QEC, quantum error correction) et ses limites. On parle des cat-qubits de la startup française Alice&Bob (cf le Decode Quantum 6 avec leurs fondateurs Théau Peronnin et Raphaël Lescanne).

Pour compléter cet entretien, voici aussi l’intervention de Xavier Waintal dans une conférence organisée à Grenoble par le pôle de compétitivité Minalogic du 12 mars 2021.

In fine, cet entretien permet de comprendre les enjeux clés du bruit dans le calcul quantique et des différentes approches pour le réduire. Il démythifie la suprématie quantique de Google en remettant les pendules à l’heure. Néanmoins, les progrès continueront d’avancer dans le calcul quantique. Je fais confiance à l’ingéniosité des chercheurs et ingénieurs pour trouver des solutions et des cas d’usage pertinents au calcul quantique. Cela pourrait intervenir dans un premier temps via les simulateurs quantiques tels que ceux de la startup Pasqal (cf entretien Decode Quantum 8 avec eux) et qui utilisent un procédé différent de celui des ordinateurs programmés avec des portes quantiques. Suivront peut-être les fameux accélérateurs “NISQ”, à base de qubits bruités non corrigés. La diversité est suffisamment grande dans ce vaste champ scientifique pour nous réserver de bonnes surprises.

PS : retrouvez tout l’historique des entretiens Decode Quantum depuis leur création en mars 2020.

RRR

 
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