L’overdose d’événements digitaux et entrepreneuriaux
Post de Olivier Ezratty du 12 juin 2015 - Tags : Actualités | 69 Comments
Ceci est une reprise un peu élaborée d’un petit coup de gueule personnel sur Facebook du 11 juin 2015. C’est moins percutant mais plus argumenté et avec quelques propositions à la clé !
Ce mois de juin 2015 était à l’image des derniers mois : une hypertrophie d’événements autour du numérique : BIG de Bpifrance, Université du Numérique du Medef, Cross vidéo days, Futur en Seine, Conférence du Numérique de Paris, Assemblée Générale de l’EBG et conférence Hellow Tomorrow pour ne citer que les plus importants et uniquement sur Paris. Ils faisaient suite à de grandes manifestations en région comme le Web2day de Nantes qui avait lieu début juin. Et je n’évoque même pas la flopée de petits événements et la profusion des concours de startups organisés par les grandes entreprises, les agences de communication et autres organisations.
L’origine de l’overdose ?
Nous assistons à une véritable overdose d’événements sur le numérique, mis à toutes les sauces sponsorisées. Et ce n’est pas lié qu’au maelström traditionnel du mois de juin qui précède la torpeur estivale française ! Et quand on y est habitué, la dose d’ennui que l’on y ressent grandi de conférence en conférence.
Comment interpréter cette pléthore d’événements ? C’est un mélange de bulle entrepreneuriale, de bulle de l’innovation ouverte déclenchée avec plus ou moins de bonheur par les grandes entreprises, de bulle de la transformation numérique déclenchée ou subie par ces mêmes entreprises, de bulle du baratin sur le digital, de bulle des événements IRL (in real life) qui décrivent la manière de s’en passer, de bulle des prévisions et de bulle des bulles qui s’additionnent les unes aux autres.
Certains de ces événements sont anciens et rôdés (l’AG de l’EBG a 17 ans, Futur en Seine a été créé en 2009) tandis que d’autres sont nouveaux (comme le BIG de Bpifrance ou la conférence numérique du MEDEF). Certains sont ouverts à tous (BIG, Futur en Seine), d’autres à un public plus restreint. Les thématiques à la mode génèrent leur propre vague d’événements nouveaux comme dans les objets connectés ou la transformation numérique qui s’ajoutent aux événements existants.
Ces bulles ne sont malheureusement pas corrélées par une augmentation proportionnée de la qualité des intervenants et des conférences ! Même les bons intervenants que l’on voit souvent ont tendance à s’user dans la niaque oratoire ! Les intervenants ont tendance à radoter dans ces différents événements. Combien de fois par exemple entend-on qu’il faut accepter le risque dans la culture française pour encourager l’entrepreneuriat ? Et d’expliquer soit en plein que l’entrepreneuriat en France est merveilleux soit en creux que c’est un enfer.
La bonne parole se doit d’être rare. L’orgie de parole et d’écrits les banalise. Le silence de la réflexion devient la rareté du moment. Chut ! Shut down ! Ou dure sera la chute ! Comme après l’éclatement de la bulle Internet en 2001, on pourrait assister d’ici peu à une décrue de ce déluge d’événements.
Mais n’exagérons pas tout de même ! Des entrepreneurs et intervenants de renom et de qualité s’expriment dans ces différents événements. Une bonne part d’entre eux font l’affaire. Le principal écueil vient du format des conférences qui ne se renouvelle pas assez.
Les mauvaises pratiques dans les événements
Le pire ? Les conférences articulées principalement autour de tables rondes. Elles sont généralement fort ennuyeuses car sans grand clivages. Les intervenants qui ne sont pas leur propre patron ne prennent pas beaucoup de risques dans leur prise de parole. Ils sont très lisses. A contrario, des entrepreneurs tels que les excellents Xavier Niel ou Henri Seydoux (Parrot) peuvent tout se permettre. Qui plus est, certains intervenants sont des sponsors que l’on ne bouscule pas trop car ils financent l’événement en question. Plus il y a de sponsors et d’intervenants de sponsors en proportion de l’ensemble des intervenants d’une conférence, moins on aura d’humour et d’autodérision, de prise de risque et d’imprévu et plus on a de chances de s’ennuyer ferme !
A force d’aligner un trop grand nombre d’intervenants, les interventions sont paradoxalement trop courtes et assez mal illustrées. Le format s’est d’abord appliqué aux startups à qui on demande de présenter leur concept en mode “elevator pitch” de 10, puis 5, voire trois ou une minutes. Cela permet d’en enquiller beaucoup et de témoigner qui de la vibrance d’un écosystème local qui de la panoplie des startups incubée ou accélérée à tel ou tel endroit. Mais cela témoigne in fine d’un manque de respect pour leur travail. Surtout si dans le même temps, les elevator pitches ont été précédés d’interminables préliminaires d’intervenants d’entreprises traditionnelles ou de notables locaux.
Seulement voilà, la méthode de l’elevator pitch est maintenant appliquée aux autres intervenants. Les événements appliquent trop basiquement un principe qui vient de la mobilité et qui est inspiré de la compréhension plus ou moins bonne que l’on a des comportements des génération Y et Z : l’attention des audiences diminuant d’année en année, on en vient à réduire la durée de la prise de parole au minimum. Au point qu’il devient difficile d’élaborer une idée un tant soi peu complexe ou subtile. Comme les études scientifiques indiquent que l’attention moyenne d’une audience est de 12 minutes, on en vient à en faire le format “long” des conférences. Heureusement que cela ne s’applique pas (encore) à l’enseignement !
Une bonne part de l’assistance n’en a cure car elle vient aux événements pour “schmoozer”, à savoir développer et entretenir son réseau. Mais un événement qui n’est dédié qu’au réseautage ne fonctionne pas bien. Il faut que l’on y apprenne quelque chose tout de même !
Quelques bonnes pratiques
A observer tous ces événements, leur scénographie mérite d’être encore plus revisitée que le casting ! Il existe pourtant des recettes bien connues pour réussir un événement, quel que soit le domaine !
En voici quelques-unes qui font généralement mouche surtout quand elles sont combinées les unes aux autres :
Heureusement, une bonne partie de l’audience de ces événements se renouvèle régulièrement, notamment avec les plus jeunes. La première fois, ils seront émerveillés d’entendre voire de croiser un entrepreneur connu médiatiquement. Il y a des événements gratuits ouverts à tous (comme le BIG de Bpifrance et ses plus de 10000 participants) et des événements payants plus élitistes (style LeWeb dont les places vont de 300 à 2300€ ou l’AG de l’EBG qui est réservée à ses membres).
Aligner toutes les recettes citées ci-dessus pour créer un bel événement n’est bien évidemment pas aisé, surtout quand les moyens sont limités. Plus l’événement est important et bien financé, plus c’est facile, si l’organisation se pose les bonnes questions.
Mais même avec peu de moyens, il est possible d’alterner les formats d’interventions, de rendre celles-ci plus illustrées et visuelles, de faire intervenir des gens originaux et un peu hors spectre et d’intégrer un bel habillage musical tout en payant la Sacem comme il se doit ! Reste à créer une Agence de Notation des Evénements… (âne) :).
Conseils aux entrepreneurs
Qu’en est-il maintenant des conseils pour les participants à ces conférences, notamment pour les entrepreneurs en herbe ou en terre ? L’entrepreneur Arthur Attwell basé en Afrique du Sud résumé bien la situation dans “Why I won’t run another startup“. Il y décrit un phénomène aussi courant en France : les startups sont trop souvent les produits et des faire valoir des grandes entreprises, des organisateurs d’événements et des médias spécialisés dans l’entrepreneuriat. Ils leur font perdre beaucoup de temps et d’énergie !
Il donne un excellent conseil, qui était déjà dans le Guide des Startups : focalisez-vous tant côté événements que médias sur ceux de votre secteur d’activité. Evitez les événements fourre-tout et généralistes où vous avez peu de chances de trouver des clients et influenceurs de votre marché !
Par contre, les événements généralistes peuvent être pertinents pour vous si votre startup n’est pas encore créée et que vous cherchez des conseils génériques sur la création d’entreprise et aussi à constituer votre équipe de cofondateurs. Vous y rencontrerez aussi des investisseurs potentiels. En gros, il faut savoir gérer son temps avec précision entre les phases d’amorçage de votre startup et les phases de commercialisation qui suivent. Et il faut doser la provocation de sérendipité qui joue toujours un bon rôle dans le devenir d’une startup !
Bon, aller, je dois arrêter car j’anime bientôt une table ronde sur l’uberisation à Futur en Seine … :). Et l’arroseur sera bientôt arrosé !
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