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Le recyclage des talents dans les écosystèmes d’innovation

Post de Olivier Ezratty du 8 septembre 2015 - Tags : France,Startups | 24 Comments

Sous ce titre se cache une grande question que l’on ne se pose pas assez ou que l’on commence à se poser en temps de crise : les écosystèmes d’innovation et leurs milliers de startups génèrent un taux d’échec significatif d’entreprises. Que deviennent les entrepreneurs et les salariés issus de ces startups qui se plantent (au sens, qui disparaissent) ?

Où vont-ils ? Ont-ils du mal à se recaser ? Est-ce qu’ils sont plus ou moins affectés que les autres cadres et salariés de secteurs en difficulté ou lorsque l’économie va mal ? Est-ce que la bulle entrepreneuriale actuelle peut générer du chômage massif en cas d’éclatement ?

C’est ce que je vais essayer de défricher dans cet article.

Mais avant, précisons que ces aléas interviennent le plus souvent dans les premières phases de la création de la startup, puis ensuite, après quelques années d’activité, quand la startup est à cours de cash, n’arrive pas à croître de manière profitable et à se refinancer, et enfin des échecs industriels de startups qui sont devenues des PME établies.

Cela correspond aux deux rectangles rouges dans le schéma ci-dessous du cycle de vie d’une startup. Mais ces échecs sont des aléas normaux de la vie des startups et de l’innovation. La force d’un écosystème d’innovation vient de sa capacité à en tirer le meilleur parti et aux entrepreneurs de savoir gérer les transitions associées.

Cycle vie startup et echec

Où donc vont les entrepreneurs qui sont obligés de fermer leur startup ? Commençons par faire un petit inventaire probablement incomplet des scénarios observés sur le terrain.

Ils recommencent

Le ou les fondateurs d’une startup se plantent ? Le scénario le plus naturel est de recommencer avec un nouveau projet, la même équipe ou une équipe différente. Et pourquoi pas dans un autre secteur ou un autre pays.

Ce scénario est plus fréquent et facile à suivre aux USA qu’en France. On dit que l’échec n’est pas encore accepté chez nous. Ce n’est pas faux, même si la situation a tendance à s’améliorer. Fleur Pellerin avait fait voter en 2013 une disposition mettant fin au fichage des entrepreneurs ayant connu une liquidation judiciaire à la Banque de France (le fichier 040). Cela ne suffit pas pour autant à retrouver la confiance de tous les banquiers et investisseurs.

Aux USA, un redémarrage est plus facile et on y rebondit plus facilement même si c’est un peu une image d’Epinal. Les équipes se forment et se reforment. Cela bouge beaucoup mais cela reste un environnement très compétitif. Les CEO ont des hauts et des bas, c’est normal. Quand ils cherchent à créer une nouvelle équipe et un nouveau projet, ils doivent avoir appris de leurs échecs précédents. On en voit certains témoigner dans les Failcon, des conférences dédiées à cet effet qui ont déjà eu lieu plusieurs fois en France, à Paris (2011, 2012 et 2014) et à Toulouse (2015).

En France, on rencontre souvent des entrepreneurs qui cherchent un financement pour leur nouvelle startup et qui utilisent comme cache sexe de l’échec le fait qu’ils ont “revendu leur précédente startup” (le mieux étant au pluriel). Ils ne précisent pas si c’est à la barre (pour 1€), à un prix négligeable ou s’il s’agit d’une belle sortie industrielle significative. Le moins d’information il y a, le plus de chances il y a que ce soit le premier cas. Signe qu’il est encore difficile de dire la vérité chez nous ! On va aussi rencontrer des entrepreneurs qui aiment monter des affaires mais pas forcément les développer. Ils revendent donc à tour de bras les startups qu’ils créent, pour des montants moyens. Mais ce ne sont pas des échecs pour autant. Par contre, cela indique le genre d’entrepreneurs qu’ils sont.

Les conditions de fermeture de la startup sont importantes pour la suite des événements. Elle doit être gérée proprement par les fondateurs, aussi bien vis à vis des équipes de la startup que des investisseurs. Il est important de ne pas laisser de trace de pneus pour pouvoir mieux rebondir ensuite.

Dans d’autres cas, le CEO qui s’est planté rejoint une autre startup comme cofondateur, mais pas comme CEO. C’est par exemple le cas du CEO qui était en fait le CTO et qui comprend qu’il n’est pas fait pour être CEO. Il devient le CTO d’une startup créée par d’autres. Le fondateur devient un cofondateur, focalisé sur sa spécialité, technique ou pas.

Il existe un autre cas qui ne relève pas de la défaillance de la startup mais du départ d’un ou plusieurs des fondateurs. Cela se produit quand un désaccord survient entre eux, que les motivations des uns et des autres évoluent, ou par l’entrée d’un investisseur qui propose un réaménagement de l’équipe de direction de la société. Ces cofondateurs en partance se retrouvent dans l’un des nombreux cas de figure évoqués ici et après.

Des cofondateurs peuvent aussi être amenés à recruter un CEO provenant de l’extérieur. Le cas le plus connu est celui d’Eric Schmidt, arrivé chez Google en 2001. En France, on peut citer le cas de Dashlane, une startup créée par une équipe de centraliens menée par Alexis Fogel sur une idée de Bernard Liautaud (ex co-fondateur de Business Objects et actuellement chez Balderton Capital, un VC du Royaume-Uni). La société a fait appel à Emmanuel Schalit pour devenir son CEO. Celui-ci avait plutôt une expérience dans les entreprises traditionnelles (CBS, Vivendi). Elle emploie aujourd’hui une quarantaine de personnes à cheval sur la France et les USA.

Ils persévèrent

C’est le fameux cas du “pivot” où les entrepreneurs au fond du trou changent un ou plusieurs éléments de leur startup pour repartir sur un meilleur pied, souvent sur un marché, un modèle économique ou de distribution différent.

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Jean-Baptiste Rudelle, tout feu tout flamme, dans son site de Palo Alto en avril 2011. Deux ans avant l'IPO au Nasdaq ! Depuis, il est revenu en France.

Le cas français le plus connu est celui de Criteo, qui avait démarré vers 2005 avec une solution logicielle de recommandation de DVD dans un marché un peu pourri, et avait ensuite pivoté en 2008 pour utiliser son savoir faire dans le reciblage publicitaire qui relève aussi de la notion de recommandation. Condition pour y arriver ? Avoir de très bonnes relations de confiance avec ses investisseurs capables de “remettre au pot” même quand la situation est au plus bas. Et dans le cas de Criteo, l’idée du pivot est même venue d’un autre entrepreneur, Gilles Samoun, devenu en suite membre du board de la société (raconté par Marie Ekeland).

Autre exemple de persévérance, celui de Stéphanie Pelaprat de Restopolitan. Elle raconte cela très bien dans son intervention à TEDxCEWomen en mai 2015 au Théâtre de Marigny (vidéo).

Ils fusionnent avec une autre startup

C’est une variante de la revente. Deux startups concurrentes fusionnent. En pratique, c’est la plus viable qui achète pour une somme symbolique celle qui a le plus de mal à décoller mais qui possède soit une belle équipe soit un capital immatériel intéressant. Dans la plupart des cas, une partie des fondateurs quitte la société et une autre reste, surtout celle qui maîtrise la dimension technique du projet.

Ce cas de figure n’est pas si courant mais mériterait de se développer. La concurrence entre quelques petits acteurs est souvent futile, surtout dans des métiers avec une faible différentiation. Nous en avons un exemple avec en 2013, la fusion de Beyond Croissant et de Cookening,ce dernier étant l’absorbeur. L’ensemble a ensuite été revendu à VizEat début 2015, un concurrent plus récent, mais qui voulait tirer parti de leur marque et de leur communauté. Tous les associés sont partis, l’un pour recommencer, l’autre chez Blablacar, et enfin, Cédric Giorgi, chez Sigfox. Ce genre de fusion fait apparaitre des synergies avec des équipes complémentaires ayant pivoté au moins une fois et appris chacune à défricher le terrain.

Ils transforment leur startup en société de services

C’est un cas très courant en France et bien moins aux USA. On le retrouve souvent dans le cas de startups éditrices de logiciels d’entreprises ou d’outils du “marketing digital” (marketing analytics) qui agissaient dans un marché très encombré et très concurrentiel.

Ainsi, ils ont beaucoup de mal à scaler et à vendre leur solution en volume. Des concurrents américains mieux financés arrivent à inonder le marché et à devenir des références. La solution ? Se transformer en société de services qui va tirer parti du savoir-faire accumulé sur le produit généré, sur la connaissance de la concurrence, et sur le domaine pour proposer un service d’intégration aux clients. Et ce service pourra éventuellement s’appuyer sur les produits du marché devenus standards. Dans le service, nous avons notamment le service aux entreprises comme le développement d’applications (sectoriel ou pas), le conseil en tout genre et les agences de communication digitale.

Dans pas mal de cas,  les startups émergentes sont d’emblée positionnées comme des prestataires de service dès lors que leur mix produit/services dépasse 70% de services avec les premiers clients. Le défi est de rapidement faire baisser la partie services pour pouvoir “scaler”. Si le marché est fait de grands comptes avec des exigences très fortes de personnalisation de la solution, ils vont condamner la startup à se transformer en société de service, s’éloignant d’une stratégie produits.

Quand on analyse les startups d’un accélérateur ou d’un incubateur, on constate qu’une bonne part d’entre elles sont dans ce cas de figure et notamment en région. Ce sont des prestataires de services qui reposent sur des ressources humaines et pas des startups orientées “produits” avec un modèle scalable.

C’est un peu ce qui arrive très tôt dans les startups de l’univers de la TV connectée. Elles oscillent souvent entre startup “produits” et sociétés de développement d’applications sur mesure (application pour TV connectée, pour tablette, etc). Le marché de la TV est ainsi fait que ses forces gravitationnelles déplacent inexorablement le centre de gravité de leur activité vers le service. Quand on pense que même les deux plus gros acteurs du middleware que sont Cisco (ex NDS) et Nagra n’ont que quelques dizaines de clients à peine !

Green Alternative

On constate le même phénomène dans le secteur des green tech qui a souvent du mal à “scaler”. Ce scénario est arrivé à la startup Green Alternative, créée par des élèves de l’école d’ingénieurs ECE. La société proposait un outil de diagnostic énergétique. C’est maintenant un prestataire de services en efficacité énergétique de bâtiments. Ils ont tout de même un produit, leur outil  de mesure de la consommation Plug&Watch. Il est embarqué dans une prestation de service qui a l’air systématique.

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Catherine Barba et Olivier Mathiot, deux stars du web français ! Ici, à l'Elysée en juin 2014 pour la conclusion du French Digital Day, de l'association France Digitale dont Olivier est co-président avec Marie Ekeland.

Autre exemple emblématique, celui de Catherine Barba, aujourd’hui, l’une des grandes spécialistes du e-commerce, après avoir créé Cashstore, une startup de cashback vers 2005 (histoire ici). On a ici un cas exemplaire de conversion de la startup au prestataire de service dans la mesure où Catherine est maintenant une véritable star du e-commerce !

Catherine Barba group home page

Au final, la startup ne meurt pas mais ce n’est pas ou plus une startup. La croissance d’une société de services est généralement plus lente que celle d’une startup “produit” et les économies d’échelle moins nombreuses.

Ils pompent les financements publics

Je ne vais pas donner de noms, mais il existe un sport national : les startups plus spécialisées dans la captation d’aides publiques diverses, dont le Crédit Impôt Recherche, que dans la création de produits industriels et l’acquisition de clients.

Ces startups ne disparaissent pas toujours rapidement. Ce sont souvent des laboratoires de recherche ou des sociétés de services déguisés. Ils embauchent des chercheurs et ingénieurs avec des contrats en CDD, CIFRE ou autre. Ils cherchent à valoriser leurs travaux soit par des projets ad-hoc avec de grandes entreprises, soit en commercialisant de la propriété intellectuelle sans se coltiner la complexité de l’industrialisation et de la commercialisation.

Ils intègrent des entreprises traditionnelles

Ca tombe bien, elles se lancent dans l’innovation ouverte et cherchent des compétences dans le domaine et veulent apprendre à parler aux startups voire à créer leur propre accélérateur ou incubateur de startups. Mais il n’y a pas beaucoup de places à prendre. L’autre solution consiste à intégrer les équipes des “Chief Digital Officers” et leurs armées de spécialistes de la communication digitale. Ca peut aussi se faire dans les nombreuses agences qui opèrent dans ce secteur florissant.

Il faut aussi rappeler que nombre de projets de création de startups ne dépassent pas le stade de la conception. Un porteur de projet peut le défendre dans un Startup Weekend, s’y planter, chercher à trouver des associés, encore sans succès, et des investisseurs, sans plus de réussite. Souvent le bug est chez l’entrepreneur en puissance : soit au niveau de sa personnalité soit de son idée, soit les deux. Celui-là aura du mal à devenir entrepreneur. Il passera alors du côté obscur du consulting ou du salariat traditionnel.

Aux USA et dans la Silicon Valley, la situation est un peu différente. Tout d’abord, il y a pas mal d’emplois dans les grandes sociétés du secteur du numérique, et notamment chez celles qui ont des “produits” (les Google, Facebook, Uber et autres Airbnb qui recrutent à tour de bras). Par ailleurs, les grands acteurs apprécient l’embauche de cadres qui ont connu et appris de leurs échecs. Le recyclage des compétences est donc plutôt endogame dans l’écosystème du numérique. Les entrepreneurs “produit” restent dans des entreprises orientées “produits”.

Ils intègrent des startups en forte croissance

C’est le cas des Sigfox et autres Criteo qui recherchent des profils dynamiques d’entrepreneurs pour conserver la culture de la startup dans leur entreprise qui est devenu une grosse PME. Parfois même, surtout aux USA, ces entreprises cherchent spécifiquement des profils d’entrepreneurs qui ont connu des difficultés. Histoire d’améliorer la résilience de la société et de conserver aussi longtemps que possible une culture d’entreprise de startup !

Ils entrent dans des structures d’accompagnement de startups

Il s’en est créé à un rythme incessant ces dernières années, qu’il s’agisse de prestataires de services en innovation, en financement ou l’antépénultième incubateur et accélérateur de startup. Ces structures recrutent des juniors et parfois des entrepreneurs. Il existe même le rôle d’entrepreneur en résidence. C’est un entrepreneur qui ne s’est pas forcément planté, mais il n’a pas réussi pour autant. Dans certains cas, il peut être utile de creuser le pedigree exact de ces accompagnateurs.

Les emplois dans ces structures, surtout les prestataires de services sont une belle variable d’ajustement de la santé de l’écosystème entrepreneurial.

Quand ils n’arrivent pas à rentrer dans une structure d’accueil, les entrepreneurs deviennent parfois consultants indépendants dans l’accompagnement de startups. C’est un business difficile. Un entrepreneur peut aussi s’occuper en entrant dans un board ou un advisory board d’autres startups.

Ils deviennent investisseurs

C’est normalement le cas de ceux qui ne se plantent pas et qui deviennent alors business angels. Mais ceux qui se plantent deviennent parfois tout de même investisseurs, avec l’argent des autres ! On peut alors les retrouver chez de petits VCs ou fonds d’amorçage, voire dans des structures de financement publiques.

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Jeremie Berrebi intervenant en plénière aux Universités d'Eté du MEDEF en août 2012.

Exemple très connu : celui de Jeremie Berrebi qui après avoir dû fermer sa startup Zlio (affectée notamment par les changements d’algorithmes de Google Search), a géré pendant plusieurs années le fonds d’investissement Kima Ventures de Xavier Niel. Fonds qu’il a quitté en 2015 pour recréer une autre startup, Roundvip, une plateforme de placements privés dans l’immobilier !

Ils enseignent

C’est une activité de passage avant de reprendre pied, le plus simple étant de le faire dans son ancienne école d’ingénieur ou de commerce. Elles en sont friandes. Surtout dans la mesure où elles ont toutes des filières entrepreneuriales.

L’entrepreneur qui s’est planté a une autre caractéristique : il est souvent multi-casquettes avant de se relancer où que ce soit ! Cette activité d’enseignement sera souvent cumulée avec une autre comme l’accompagnement d’autres startups.

Ils étudient

Comme le CTO qui fait un MBA pour acquérir des notions qu’il lui manquait comme co-fondateur et à son tour porter un nouveau projet !

Ils décompressent

S’il est jeune et sans trop d’obligations familiales financières, l’entrepreneur peut plus facilement décompresser, se ressourcer, habiter chez ses parents, des amis ou voyager à l’étranger. Avant de rebondir ailleurs et sur un autre projet. Une pause est souvent nécessaire car l’aventure de la création et de la fermeture d’une startup est généralement assez éprouvante. C’est aussi le moment où l’on a le plus besoin de ses proches et où l’on peut compter ses vrais amis et les personnes bienveillantes de l’écosystème entrepreneurial (heureusement, il n’en manque pas !).

Ils témoignent

Parfois, les entrepreneurs qui ont du fermer leur startup publient un post-mortem de leur aventure entrepreneuriale. C’est un exercice de partage utile pour la communauté entrepreneuriale et aussi pour faire le point sur soi-même et mieux rebondir ! Montrer ce que l’on a appris d’un échec entrepreneurial est la meilleure manière de ne pas en faire un… échec !

C’est par exemple le cas de Thibauld Favre, ancien CEO de Allmyapps, créé en 2009 et fermée fin 2014. Sa présentation de plus de 100 slides est très détaillée et instructive sur l’histoire de la startup, ses hauts et ses bas et la manière dont elle a du fermer. Au pic de son activité, la société occupait 18 personnes. Son avant : cofondateur d’autres startups et salarié. Son après : président de Democratech, une ONG.

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Thibault Favre en mai 2011 à la conférence Techcrunch Recipes à Paris.

Un peu avant, Emilie Gobin, créatrice de “l’Usine à Design” créée en 2009 et fermée en 2013 avait témoigné avec son principal investisseur, Olivier Mathiot (actuel PDG de PriceMinister et Co-Président de France Digitale). Son avant : étudiante. Son après : entrepreneuse en résidence au NUMA à Paris et en train de préparer un nouveau projet.

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Emilie Gobin présentant L'Usine à Design dans la Lady Pitch Night de l'association Girls in Tech en janvier 2011 à La Cantine (Paris).

Et plus récemment, Guilhem Bertholet avait fait de même en témoignant sur son aventure dans le cloud. Son avant : responsable de l’incubateur d’HEC. Son après : CEO de Invox, une agence de contenus marketing, donc une orientation services. Il co-anime aussi la conférence BlendMix à Lyon, un des plus beaux événements du digital en région avec le Web2day de Nantes. C’est un phénomène courant : des entrepreneurs qui s’investissent pour faire grandir l’écosystème entrepreneurial ! Tout comme ceux qui, ayant réussi financièrement, deviennent business angels.

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Guilhem Bertholet au MIPTV d'avril 2011 à Cannes.

Ils se lancent dans la politique

En fait, je n’ai pas d’exemple en tête pour des entrepreneurs ayant du fermer leur entreprise. Mais ça fait bien dans cette énumération de cas de figure ! En cherchant, on va bien trouver quelques cas. Il y a par contre quelques entrepreneurs qui se sont lancés en politique, comme Denis Payre (Business Objects, Kiala) et Isabelle Bordry (WebMediaGroup) avec “Nous citoyens”.

Que deviennent les équipes ?

Qu’en est-il des équipes des startups qui ferment mais qui ne font pas partie des fondateurs ?

Il faut commencer par remarquer que l’on rencontre beaucoup de stagiaires dans les startups qui se lancent ! Souvent, leur stage s’est déroulé à la fin de leurs études. S’ils sont ingénieurs et surtout développeurs, ils retrouvent du travail ailleurs sans difficultés, tellement les entreprises se les arrachent. Dans les autres fonctions comme les métiers marcom, c’est un peu plus délicat car il n’y a pas vraiment de pénurie de compétences sur le sujet. Sauf peut-être pour les très bons profils dans le marketing digital. Comme les premiers du marcom dans les startups sont souvent des généralistes, ils ont des profils qui leur ouvrent pas mal de portes.

Quand les startups arrivent à se financer en amorçage puis en capital risque, l’emploi change et passe en dominante de CDI (91% dans 116 startups de 5 ans d’ancienneté en moyenne étudiées par France Digitale). Et là, la circulation des talents se poursuit par le jeu habituel de l’offre et de la demande, de la rareté des postes, et des avantages comparés des startups devenues des PME. Aux USA, c’est la foire d’empoigne pour attirer et retenir les talents avec une foultitude d’avantages en nature (restauration gratuite, services divers, etc) sans compter les salaires qui peuvent être très élevés pour les développeurs. Ces sociétés américaines ont importé ces pratiques dans leurs filiales locales (Google, Facebook, etc) et les grandes startups françaises comme Criteo ont suivi le pas.

Quelles sont les volumes et proportions ?

Quid des proportions entre ces différents chemins ? Je n’en ai aucune idée et il n’existe pas vraiment d’études sur le sujet. Il n’existe même pas d’études sur le devenir des startups. La plupart des études disponibles viennent des structures de financement public (Oséo puis Bpifrance). Elles s’intéressent à leur croissance et à leur “non-mortalité”. Mais la survie n’est pas un gage de succès. Elle peut traduire un pivot vers le service qui passera inaperçu dans les statistiques.

En fait, la volumétrie du nombre de startups et de personnes concernées est assez faible. Seules les toutes petites startups lâchent généralement. C’est la période où elles sont les plus fragiles. Elles ne représentent pas beaucoup de fondateurs et salariés, en moyenne 3 à 5 personnes. Environ un quart disparaît totalement après la création et au bout de quelques années (source: au nez). Cela fait entre 1000 et 1500 boites maximum par an, donc un total compris entre 3000 et 6000 personnes grand maximum (source : toujours au nez). Mais ils se recasent généralement bien.

Les études disponibles sur l’emploi dans les startups concernent généralement celles d’entre elles qui sont sorties de la zone de plus fort risque de plantage. Dans son baromètre publié en 2014 cité plus haut, l’association France Digitale avait ainsi consolidé l’emploi généré par 116 startups en France. Elles avaient créé 1376 emplois en 2013, représentant un beau total de 7566 emplois. Mais ces entreprises étudiées ont 5 ans d’âge et on y retrouve des Showroomprive et des Criteo ou Blablacar.

Quid des périodes de crise, style 2001 et 2009 ? La vie a été plus difficile pour les entrepreneurs qui se plantaient. Mais la majorité ont su rebondir. L’origine socio-professionnelle des créateurs de startups est plutôt au-dessus de la moyenne française et une majorité d’entre eux est BAC+5 (ingénieurs, écoles de commerce, de design, chercheurs). Leur employabilité est bien meilleure que la cohorte de jeunes chômeurs faiblement qualifiés et qui n’ont même pas le BAC.

Donc même si nous vivons en ce moment une forme de bulle entrepreneuriale avec une foultitude de projets non viables (comme dans les objets connectés ou l’économie collaborative), leurs fondateurs retomberont sur leurs pieds bien plus facilement que les salariés de la base de l’économie traditionnelle. Quand bien même leurs filets de protection sociale ne sont pas aussi bons sachant qu’une fois financés, les dirigeants peuvent cependant souscrire à diverses assurances privées pour les couvrir en cas d’échec et bénéficier d’allocation de chômage en bonne et due forme (comme la GSC, si le dirigeant n’a pas droit aux allocations de Pôle Emploi, selon la forme juridique de l’entreprise et le statut salarié ou non des dirigeants).

Quand des bulles thématiques de startups apparaissent, le recyclage des talents se produit assez naturellement en général. La bulle des startups du “marketing analytics” a généré des sociétés de conseil en transformation et communication digitale. La bulle actuelle des objets connectés va probablement déboucher sur des activités de conseil aux entreprises traditionnelles qui vont se mettre avec un peu de décalage aux objets connectés, comme expliqué dans “La grande intox des objets connectés“.

Il y a aussi la bulle des programmes d’innovation ouverte des grandes entreprises. Mais peu de salariés sont engagés chez elles de ce côté-là. Quand et si elles réduiront la voilure de ce genre d’investissement, ce sont les capacités d’accueil de startups qui s’amoindriront mais on n’y est pas encore. Et il y aura toujours une très grande capacité d’accueil dans les incubateurs publics, notamment à Paris, et, au même endroit, dans le fameux incubateur 1001 Startups de la Halle Freyssinet, financé par Xavier Niel et en cours de construction pour être inauguré entre fin 2016 et début 2017.

Dans le marché de l’emploi, les aléas qui interviennent chez les startups en phase d’amorçage ne sont rien par rapport aux mouvements sismiques qui affectent les entreprises et secteurs traditionnels. Quand des Alcatel-Lucent toussent, ils génèrent des plans de restructuration touchant des centaines de salariés d’un coup. De nombreux métiers vont disparaître ou leur productivité s’améliorer à un tel point que cela diminuera dans des proportions importantes les emplois associés. Souvent, à cause de startups françaises ou étrangères d’ailleurs !

Bref, tout ça pour dire qu’il n’y a pas trop de raisons de s’inquiéter pour ces entrepreneurs qui se plantent ou vont se planter. C’est le jeu normal de l’entrepreneuriat et de l’innovation. Ils se recasent plutôt bien dans l’ensemble même si c’est un peu plus dur après l’éclatement d’une bulle. Les bons s’en sortent bien. Les mauvais ont plus de mal et peuvent galérer. Entre les deux, ceux qui ont un bon réseau sont un peu avantagés. Comme partout ! Les entrepreneurs sont de toutes manières animés par une fièvre créative qui survit très bien aux aléas de la vie. C’est dans leur ADN social !

S’il fallait comparer le recyclage des compétences entre les USA et la France, sans avoir de données quantitatives de référence, on pourrait qualifier le premier comme endogame à l’écosystème entrepreneurial “produit” tandis qu’en France, la perméabilité est plus forte avec les métiers de services. S’il est plus facile de rebondir aux USA, les entrepreneurs arrivent cependant à plutôt bien se relancer d’une manière ou d’une autre en France.

RRR

 
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