Peut-on mieux dormir grâce aux objets connectés ? 1/2
Post de Olivier Ezratty du 20 septembre 2015 - Tags : Objets connectés,Son,Startups | 9 Comments
Les objets connectés au grand public se décomposent habituellement entre wearables et smart home. Les premiers sont souvent dédiés au bien être ou aux activités sportives et les seconds, au contrôle du confort dans son logement : la température, les ouvertures, la sécurité et l’éclairage. Si l’on prend le cas des thermostats, un marché incarné par le Nest de Google, la proposition de valeur est assez simple et connait peu de variantes : il s’agit de réduire sa consommation d’énergie pour chauffer son logement tout en offrant un bon confort thermique. Avec plus ou moins d’intelligence embarquée, tenant compte par exemple de votre absence et de votre heure prédictive de retour chez vous.
Je vais m’intéresser ici à ces objets assez disparates qui ambitionnent de vous aider à mieux dormir. La catégorie est à cheval entre le wearable et le smart home. Certains de ces objets sont portés sur soi (montres, trackers) et d’autres non (intégrés dans le lit ou sous les draps, voire ailleurs dans la chambre).
Pour un thermostat, c’est plutôt simple : il faut un thermomètre connecté couplé à un contrôle de sa chaudière, éventuellement relié à un détecteur de présence et à votre géolocalisation. Dans le cas du sommeil, c’est une autre paire de manche : le consommateur fait face à un hyperchoix de solutions qui mesurent de plein de manières différentes la qualité de notre sommeil et permettent plus ou moins d’agir dessus. C’est ce que nous allons décortiquer dans cet article.
Pourquoi améliorer le sommeil ?
Des objets s’intéressent à notre sommeil parce qu’il existe bien des “pain points” autour de ce qui occupe environ un tiers de notre vie et conditionne la qualité des deux autres tiers. Le sommeil sert à régénérer une partie du métabolisme. Il permet notamment au cerveau de se nettoyer de ses toxines accumulées la journée. Les rêves jouent aussi un rôle dans notre équilibre psychique.
Les “pain points” autour du sommeil sont variés :
Cette belle diversité de problèmes à résoudre créé une belle opportunité d’innovations pour les objets connectés !
Biologie du sommeil
Le sommeil est une fonction clé du métabolisme des mammifères. On en sait beaucoup dessus mais il en reste encore à découvrir ! Les scientifiques débattent encore de la poule et de l’œuf dans le sommeil pour savoir s’il sert à reposer l’organisme et à le vider d’une partie des déchets accumulés dans la journée et s’il contribue à préserver l’équilibre psychique. L’expérience montre qu’en gros, il vaut mieux dormir convenablement et au moins sept heures par jour pour préserver sa santé à tous points de vue.
L’horloge du sommeil est réglée par l’accumulation d’adénosine dans le cerveau, une molécule intermédiaire entre la base adénine que l’on trouve dans l’ADN et l’ARN, et l’ATP (adénosine triphosphate) qui joue un rôle critique de transport de l’énergie dans les cellules, produit notamment par leurs mitochondries. L’adénosine produite par notre métabolisme s’accumule dans le sang le jour.
Son niveau est détecté par des neurones dans le noyau préoptique ventrolatéral dans l’hypothalamus, au milieu du cerveau. Quand il y en a trop, ces récepteurs indiquent aux bons récepteurs d’arrêter la production d’histamine et d’autres neurotransmetteurs comme les orexines et les hypocrétines qui nous maintiennent éveillés (source, et aucun rapport avec les hyper-crétins).
Pendant le sommeil, le taux d’adénosine dans le milieu intracellulaire diminue. L’adénosine est notamment dégradée par l’adénosine-deaminase pour générer notamment de l’adénine qui va servir au processus de réplication de l’ADN et de la génération de protéines via l’ARN. A noter que la molécule de la caféine possède une structure similaire à celle de l’adénosine, ce qu’il fait qu’elle bloque les récepteurs de l’adénosine qui provoquent l’endormissement.
L’horloge du sommeil dépend aussi d’une autre molécule, la mélatonine qui règle nos rythmes chronobiologiques. Synthétisée par la glande pinéale du cerveau pendant la nuit, elle régule diverses sécrétions hormonales. Elle est elle-même dérivée de la sérotonine, elle-même issue du tryptophane, l’un de nos 20 acides aminés entrant dans la constitution des protéines et l’un de ceux qui proviennent de l’alimentation.
Comme très souvent dans les éléments de notre métabolisme, la mélatonine a plusieurs usages dérivés : c’est un antioxydant qui protège les cellules contre le vieillissement, elle protège l’ADN et elle agit aussi sur le système immunitaire. La mélatonine est vendue en pharmacie aux USA notamment pour se recaler après un gros jetlag, mais sans que l’efficacité soit prouvée même si elle ne génère pas de dépendance contrairement à la plupart des psychotropes. Elle n’est pas en vente libre en France. Il se trouve que l’on en trouve aussi dans les noix et les noisettes. Donc, un petit bol de fruits secs en fin de soirée ne fera pas de mal pour mieux s’endormir !
Le sommeil joue un grand rôle dans le métabolisme des glucides et des lipides. Le premier est plus actif pendant les périodes d’éveil et le second pendant le sommeil. L’expression de nombreux gênes liés à ces métabolismes est différente entre l’éveil et le sommeil. Le manque de sommeil peut notamment augmenter la sensation de faim et faire grossir !
Le manque de sommeil peut provoquer d’autres désagréments qui vont jusqu’à même affecter l’expression des gênes dans notre ADN. Il s’agit de méthylation, cette réaction chimique de l’épigénétique qui entoure des brins d’ADN dans nos gênes et peut empêcher certains gênes de bien fonctionner, dans le cas présent ceux qui gèrent les rythmes circadiens et même certains liés au métabolisme du glucose et des lipides (source). Jusqu’à 700 gênes peuvent ainsi être affectés, ce qui témoigne de modifications profondes de notre métabolisme (source, ainsi que dans The Genetic Basis of Sleep and Sleep Disorders).
Si ces gênes peuvent être modifiés de l’extérieur par méthylation, il en existe aussi des variations qui nous rendraient inégaux devant le sommeil. Plusieurs variantes du gêne BHLHE41 expliqueraient pourquoi certaines personnes peuvent vivre avec moins de sommeil que les autres (source). Le gêne impacterait le fonctionnement des rythmes circadiens (source). Il est appelé le gêne Thatcher, qui ne dormait que quatre heures par jour comme Churchill et aussi Jacques Chirac. A ceci près que le premier et le dernier ont été affectés de maladies neurodégénératives !
Ce gêne n’est pas isolé. Une variante du gêne ABCC9 est aussi impliquée dans l’inégalité face au sommeil (source), en modulant le transfert de potassium entre l’extérieur et l’intérieur des cellules, sans que l’on sache l’expliquer précisément. Il y a aussi bien d’autres variantes de nos gênes qui conditionnent notre besoin de sommeil (source).
Tous ces travaux reliant nos gênes aux mécanismes du sommeil sont encore balbutiants. Ils montrent au passage qu’il ne suffit pas de séquencer l’ADN et d’identifier des variantes dans les gênes pour tout comprendre du fonctionnement humain. Les études précitées s’appuient sur des méthodes statistiques analysant la corrélation entre variations de certains gênes et capacité à moins dormir sur des échantillons d’hommes et de femmes ou bien aussi de souris et de mouches drosophiles. Les résultats ne sont jamais binaires. Ils fournissent des probabilités.
Des recherches complémentaires et plutôt lentes permettent ensuite de comprendre dans le détail les mécanismes du métabolisme qui expliquent ces variations statistiques. Le champs d’investigation de la biologie moléculaire qui sous-tend tout cela est immense et ne progresse en apparence pas de manière si exponentielle que certains prospectivistes du transhumanisme voudraient nous le faire croire.
Mesurer la qualité du sommeil
Les objets connectés de mesure de la qualité du sommeil s’intéressent à deux types de données. Il y a d’un côté vos paramètres biologiques : votre rythme cardiaque, l’oxygénation de votre sang, votre respiration, vos mouvements, votre température voire même vos ondes cérébrales, et de l’autre, ceux de votre environnement : lumière, bruit, température et même qualité de l’air. Et il n’est pas évident de mesurer tout cela avec un seul objet !
Qui plus est, plusieurs capteurs différents peuvent mesurer la même grandeur. Le rythme cardiaque l’est aussi bien avec des capteurs optiques et infrarouges (dans l’Apple Watch, c’est de la photopléthysmographie), un capteur de bio-impédance qui mesure la résistance électrique entre deux contacts sur la peau (comme dans les Fitbit) ou un capteur de pression (ballistographe). Il en va de même pour la captation de mouvements qui peut s’appuyer sur un accéléromètre au poignet ou bien sur des capteurs piézoélectriques sous les draps ou le matelas.
Capteurs médicaux
Les professionnels de santé peuvent prescrire une détection des troubles de l’apnée du sommeil, qui va requérir l’usage d’un polysomnographe. Et là, on droit à la totale avec la mesure de la respiration avec un capteur autour du thorax, la mesure des flux aérien avec un capteur sur le nez, un EEG avec des électrodes placées sur la tête, un électromyogramme (électrodes sur le menton et une jambe) pour mesurer l’activité musculaire, un ECG, une mesure de l’oxygénation du sang (capteur sur un doigt) et même éventuellement un électro-oculographe pour mesurer le mouvement des yeux.
Il va sans dire que bardé de tout cet attirail utilisé aussi bien en déambulatoire (chez soi) ou à l’hôpital, le fameux principe d’Heisenberg risque de s’appliquer. L’ensemble de ces capteurs peut en effet influer significativement sur la grandeur à mesurer : la qualité de votre sommeil ! Mais les données mesurées sont très complètes et sont indispensables à certains types de diagnostics de troubles du sommeil. Notamment les plus dangereux comme l’apnée du sommeil.
Cet appareillage est souvent prescrit après la réalisation d’un diagnostic basé sur l’échelle de somnolence d’Epworth, un simple questionnaire sur notre sommeil et les risques d’endormissement diurnes. Si l’apnée est avérée après utilisation du polysomnographe, le patient se voit prescrit l’utilisation d’un appareillage de ventilation à pression positive continue (PPC) qui se présente sous la forme d’un masque que l’on met sur soi pour dormir. C’est assez encombrant, surtout dans la mesure où il faut l’avoir sur soi, y compris dans ses déplacements !
Les capteurs grand public se contentent d’un nombre de paramètres bien plus limité et qui sont mesurés de manière imprécise. Ils ne peuvent donc prétendre à offrir le même service que les capteurs médicaux comme le polysomnographe !
Trackers et montres connectées
Ils mesurent vos paramètres biométriques : votre rythme cardiaque voire l’oxygénation du sang (via une LED et un capteur infrarouge), vos mouvements (via un accéléromètre) et éventuellement votre température. Rares sont ceux qui sont dédiés au sommeil mais tous ont une application mobile adaptée à la mesure de la qualité du sommeil.
Ces trackers peuvent avoir du mal à distinguer le sommeil de l’éveil et donc produire des données faussées sur votre rythme de sommeil. C’est ce qui ressort de la comparaison dans cet excellent article “The ultimate guide to sleep tracking” du site Sleepjunkies.
Les trackers comme le Fitbit sont fournis avec une application de suivi du sommeil tandis que les montres connectées peuvent être complétées d’une application tierce partie. Ainsi sur l’Apple Watch, on peut exploiter diverses applications de suivi du sommeil telles que Sleep Pulse. L’application Power Nap permet de gérer de courtes siestes. Dans le bracelet connecté Samsung Gear Fit, une application de suivi du sommeil indique le nombre d’heures de sommeil profond et léger. Cela ne va pas très loin ! Le Basis Peak (filiale d’Intel) est un autre produit du même genre, plutôt bardé de capteurs avec un capteur optique du pouls, un capteur de température pour la peau et un capteur de résistance de la peau.
Smartphones
Si l’on n’est pas du tout ondophobiaque, on peut aussi simplement placer son smartphone sous son oreiller et utiliser une application qui va exploiter son accéléromètre et son micro pour capter vos mouvements et sons. Ces applications servent surtout de réveil matin un peu intelligents qui tiennent compte de vos rythmes de sommeil. Le mode “avion” reste cependant recommandé pour éviter les mauvaises surprises.
C’est le cas avec Sleep Genius, SleepCycle, SleepBot et SleepTime ! Leurs interfaces mettent plus ou moins en valeur la fonction réveil ou la fonction de suivi de sommeil avec des graphes parfois assez techniques” en apparence.
Capteurs d’ondes cérébrales
On les verra un peu plus loin, il existe des bandanas ou bonnets capables de capter vos ondes cérébrales, un peu comme ces casques Muse ou Emotiv qui sont notamment utilisés dans des jeux. Les ondes cérébrales sont-elles pertinentes pour mesurer le sommeil ? Dans une certaine mesure car elles complètent les autres paramètres habituellement captés (respiration, pouls) pour identifier dans quelle phase de sommeil vous êtes. Le cerveau émet en effet des ondes différentes lors des phases de sommeil profond (les ondes delta), toutes d’assez basse fréquence.
On peut notamment citer le Kokoon, un casque anglais qui a été financé à hauteur de près de $2m sur Kickstarter. Ce dispositif qui ressemble à un casque audio capte votre EEG et il vous endort en ajustant la musique qu’il diffuse au gré de votre endormissement. C’est un outil qui est plutôt recommandé pour (essayer de) dormir dans les avions.
Capteurs pour le lit
Les trackers qui s’installent dans le lit peuvent se substituer partiellement à un tracker au poignet. Ils mesurent vos mouvements, notamment via des capteurs piézoélectriques, mesurant les variations de la pression dans le temps, et peuvent en déduire votre rythme respiratoire et votre battement cardiaque. Ils présentent l’intérêt de ne pas être ressentis par le dormeur.
En voici quelques-uns :
Matelas connectés
Et si les fabricants de lits et de matelas couraient le risque de se faire “nestifier”, à savoir dépassé par de nouveaux venus introduisant sur le marché des matelas connectés leur captant des parts de marché ? Pour l’instant, les leaders que sont Simmons et Dunlopillo ne semblent pas encore proposer de matelas connecté et se focalisent toujours dans leurs argumentaires de vente sur la qualité du coucher, des ressorts et de la fermeté des matelas.
L’un de premiers matelas connectés est le Morphe. Il comprend en fait deux capteurs Beddit qui risquent moins de bouger que la version “retail” de Beddit. Ils sont reliés à l’application Beddit. Cette société a donc trouvé un canal OEM de distribution de son produit, ce qui est plutôt malin. Le reste de ce matelas à ressorts est plutôt traditionnel. Son prix public au format 140x190cm est de 1320€, ce qui le positionne plutôt en haut de gamme.
Un anglais voulait lancer le Balluga en 2014, un lit connecté qui intègre une fonction de massage et de contrôle de la température. Il est connecté en Wi-Fi. Mais pour l’instant, la société de donne pas encore de signe de vie.
Un capteur manque d’ailleurs au tableau : celui de l’hygiène du lit ! C’est souvent un nid à acariens et à poussières qui impacte très négativement la qualité de l’air dans la chambre à coucher. Ce genre de capteur reste à inventer !
Capteurs hors du lit
Les capteurs dans le lit ou portés sur soi peuvent être complétés de capteurs de la qualité de l’environnement. Cela commence avec le smartphone dont on a vu qu’il était déjà utilisable pour capter le bruit ambiant et notamment les ronflements. Les produits comme le Aura de Withings ou la station d’accueil du HugOne de Sevenhugs ajoute la captation de la lumière et de la température qui soit dit en passant pourrait aussi être captées par une bonne partie des smartphones, même si cela affecterait probablement la décharge de la batterie.
Il faut noter la préoccupation de certains fabricants consistant à éviter l’émission d’ondes électromagnétiques près du lit. Les émissions ont ainsi lieu seulement hors des périodes de sommeil comme chez Withings ou SevenHug. A contrario, le capteur du Beddit est connecté toute la nuit au smartphone via sa liaison Bluetooth, même si c’est probablement par “bursts” et pas en continu.
Tableaux de bord
Tous ces capteurs de sommeil génèrent quelques courbes et indices divers. En général, il ne s’agit pas des données brutes qui sont captées, comme sur la respiration. Les courbes présentées se focalisent sur la chronologie de la nuit avec les périodes d’endormissement profond ou léger. D’autres peuvent ajouter l’évolution du rythme cardiaque.
Des indices de qualité du sommeil peuvent être produits avec leur décomposition. En gros : vous avez un indice de 75 sur 100, qui dépend de la longueur du sommeil profond, de la durée d’endormissement, de votre ronflement ou pas, ou des périodes où vous sortez du lit. L’application Beddit présente de jolis morceaux de gaussiennes incarnant chaque cycle de sommeil. Il n’est probablement pas capable de mesurer cela avec une telle précision. Les graphes issus de l’application du Withings Aura sont probablement plus proches de ce qui est véritablement mesuré (en signal “carré”).
On constate d’ailleurs parfois des erreurs de captation. Un Beddit (que j’utilise) détecte ainsi des périodes hors du lit qui n’ont pas eu lieu. Probablement à cause d’erreurs de captation des mouvements lorsque l’on change de posture dans le lit. Il peut y avoir aussi des erreurs de mesure pour ceux qui dorment en couple. Si le ronflement n’est mesuré que par le micro du smartphone, il n’est pas forcément évident de distinguer celui des deux dormeurs. L’information peut être affinée si le ronflement capté par un micro est corroboré par les vibrations ressenties par le capteur sous le lit. Mais là encore, les vibrations issues de l’autre dormeur peuvent aussi interférer dans la mesure.
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Dans la seconde partie de cet article, nous explorerons les solutions permettant d’agir sur le sommeil et pas simplement de le mesurer. Nous ferons un peu de prospective sur la question et tirerons quelques leçons “business” sur les objets connectés.
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