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LeWeb 2013 : politiques et épilogue

Post de Olivier Ezratty du 18 décembre 2013 - Tags : France,LeWeb,Politique | 21 Comments

Voici la fin de ce marathon qu’a été la rédaction (pour moi) et la lecture (pour vous) de ce long compte-rendu de la conférence LeWeb.

Je vais la consacrer d’abord aux interventions politiques avec Arnaud Montebourg et Fleur Pellerin, puis à d’autres sujets comme la place des femmes dans la conférence et enfin, conclure sur le format de la conférence et ce que l’on peut en apprendre.

Les politiques

Cette année, pas de réception à l’Elysée (comme en 2011) ou à Matignon (comme 2012) ! Le lien entre la conférence et l’univers politique ressemblait à l’édition 2008 qui avait vu l’intervention d’Eric Besson (en français) et Christine Lagarde (en anglais). Ici, remplacés par Fleur Pellerin (vidéo) et Arnaud Montebourg (vidéo).

Arnaud Montebourg (8)

Premier point remarquable : Arnaud Montebourg s’est exprimé presque entièrement en anglais dans son intervention qui prenait la forme d’une discussion avec Loïc Lemeur puis avec Jeff Clavier et Fabrice Grinda, deux entrepreneurs français expatriés depuis longtemps aux USA. On se rappelle qu’Eric Besson avait choisi le français en 2008 argüant qu’un Ministre de la République devait s’exprimer dans la langue de Molière. Ce qui n’empêchait évidemment pas Christine Lagarde, parfaitement bilingue, de s’exprimer en anglais quelques heures plus tard ! Donc, très bien pour la forme. D’autant plus que Montebourg s’exprimait, certes avec un accent français bien classique, mais avec une grammaire très correcte. Fleur Pellerin s’exprimait en anglais avec une aisance encore meilleure et c’était parfait de ce côté-là.

Les interventions étaient très différentes dans la tonalité. Comme si il y avait Montebourg pour jouer le bad cop et Pellerin pour jouer la good cop.

Le débat entre Montebourg et Clavier/Grinda était éloquent du mal français qui n’arrive pas à mettre des mots sur ce qui ne va pas. Jeff Clavier et Fabrice Grinda faisaient preuve de la plus grande diplomatie pour expliquer ce qui n’allait pas en France côté entrepreneuriat et Montebourg bottait systématiquement en touche. Le déni de réalité est en effet courant dans le gouvernement actuel. Quand comprendront-ils qu’il vaut mieux accepter un problème, lui donner un nom, puis le traiter que de nier son existence ?

Arnaud Montebourg Loïc Le Meur Jeff Clavier et Fabrice Grinda

Il y avait quelques exemples frappants comme l’échange sur DailyMotion. Montebourg se défend plutôt bien sur le fond, en listant des mesures protectionnistes prises par le Japon, la Chine ou les USA. En rappelant aussi comme il l’avait fait la semaine précédente aux Assises du Numérique que Yahoo! n’a pas un bon track-record en matière d’acquisitions. On a en tête le cas de Kelkoo qui a végété quand il était chez Yahoo! pour reprendre ensuite son autonomie. Mais Montebourg n’arrive pas à comprendre l’impact symbolique désastreux de cette histoire.

Autre exemple, qui concernait la fiscalité. Montebourg expliquait que la fiscalité sur les plus-values en France était très compétitive pour les investisseurs et entrepreneurs comparativement aux autres pays. Et comme benchmark, il avançait un taux de 25% pour les plus-values des investissements dans les startups. Un chiffre évidemment faux car il n’intègre pas les 15,5% de CSG/RDS qui s’y ajoutent, sans compter l’ISF qui vient après. On est donc à au moins 40,5%. L’intégration de charges sociales dans la taxation des plus value n’existe certes pas ailleurs, mais ce n’est pas une raison pour ne pas les intégrer ! Et à vrai dire, on comparait quoi à quoi ? Il n’évoque bien entendu pas non plus la taxation sur les stock-options en France qui est extrêmement punitive alors que c’est un outil de rémunération clé des startups qui récompense le risque que prennent leurs collaborateurs. Et ne parlons pas d’autres mesures punitives contre les investisseurs qui viennent soit du gouvernement soit de députés de l’actuelle majorité comme le fameux Christian Eckert.

Arnaud Montebourg a eu raison de mettre en avant la créativité des entrepreneurs et ingénieurs français. Oui, elle est bonne. Certainement, encore que l’on s’en gargarise un peu trop à mon sens. Elle est aussi bonne dans plein d’autres pays. Le système d’enseignement supérieur français est peut-être bon, mais d’autres pays sont aussi excellents. Les Russes font des mathématiciens, les Indiens des développeurs, les Chinois des experts en fabrication, les USA des très bons dans les semi-conducteurs, la robotique, etc.

Le problème français est que cette créativité est gâchée et dispersée. On est tellement créatifs dans les lois, règlements, la fiscalité et les barrières contre l’innovation que cela occupe bien trop le temps des entrepreneurs au détriment du produit et du business ! Non seulement en temps administratif mais aussi en lobbying. Quel gaspillage d’énergie !

Le point d’orgue de l’intervention de Montebourg qui a tout gâché fut sa sortie concernant les taxis et le besoin de ne pas faire de l’innovation à tout crin sans tenir compte des métiers existants. En substance, il faut protéger ceux qui vivent aujourd’hui de leur métier. Il n’a pas forcément tort. Mais il a donné malheureusement l’impression de résister aux innovations de service qui pourraient moderniser le pays et le rendre plus compétitif. Les taxis sont un bon exemple de problème complexe à résoudre. Le coût des licences est lié à leur rareté. Sortir de ce système aurait un coût. Le bénéfice serait indirect : fluidifier l’offre et rendre Paris plus accueillante comme ville. Ici comme ailleurs, on ne prend pas la peine de se comparer. Comment fonctionnent les licences de taxis à New York ou dans les autres villes où il ne sont pas en pénurie comme à Paris ? Je peste contre cette incapacité à se benchmarker pour résoudre nos problèmes.

Guillaume Buffet (Renaissance Numérique posant question sur LPM à Arnaud Montebourg)

La cerise sur le gâteau a été la réponse de Montebourg à la question de Guillaume Buffet de Renaissance Numérique (ci-dessus) au sujet de la fameuse Loi de Programmation Militaire et de son article 13 (devenu 20) sur la surveillance électronique. Arnaud Montebourg a répondu en français et sur une posture technique : cette loi ne fait qu’étendre aux communications électronique un processus qui était déjà en place sur les écoutes téléphoniques. Circulez, il n’y a rien à voir. Mais en négligeant évidemment les points noirs du fameux article, l’absence d’intervention préalable de juge, et le fait que la surveillance “à priori” pourrait être demandée par plein de services de l’Etat dont ceux de Bercy.

Cette intervention d’Arnaud Montebourg faisait peine à voir. Elle faisait penser au Village d’Astérix au début des BD, quand tout le monde se chamaille. Le spectacle donné à la moitié non française de l’assistance était déplorable. Quel marketing de merde pour la France ! Le problème ce ne sont pas les autres, c’est nous, collectivement ! Cf sur le même sujet les excellents papiers de Philippe Colombel de Partech et de Fred Destin d’Atlas Venture.

Fleur Pellerin s’en est bien mieux tirée, insistant sur la culture entrepreneuriale et les notions d’écosystème. On sent qu’elle a mieux compris le sujet ! Elle valorise assez bien nos atouts. Elle n’a pas eu à traiter de la fiscalité, déjà évoquée par Montebourg le matin. Elle s’intégrait au jury de la finale de startups même si elle ne s’est quasiment pas exprimée.

Fleur Pellerin (1)

Quelques points de son intervention :

  • Comment retenir les entrepreneurs comme Grégoire Henrion de Mindie en France ?  L’attacher à son radiateur ne fonctionnerait pas. Pour ce qui est de l’investissement, le gouvernement a pris via la BPI une grosse participation dans des startups telles que Withings. Elle rappelle que les Israéliens ont aussi démarré leurs incubateurs avec des financements publics. Elle veut aider au développement de l’industrie du capital risque en France et souhaite voir émerger un Nasdaq européen. Elle n’insiste d’ailleurs pas assez sur la dimension européenne que devrait avoir cette ambition de “startup nation”. L’un des désavantages des startups européennes est que leur marché client et du financement sont fragmentés par rapport à celui des USA.
  • On ne peut pas recréer la Silicon Valley en France (ni ailleurs). Bien vu ! Mais elle veut faire de la France la “startup nation” d’Europe. Elle veut changer la perception du risque, de l’échec, de la communication. Elle veut aussi généraliser les accélérateurs dans toute la France et développer la synergie entre entrepreneurs expérimentés et débutants (c’est la substance de la French Tech annoncée en novembre).
  • Elle propose pour la seconde fois d’organiser une Failcon en France. Alors que deux Failcons ont déjà eu lieu en France (organisées par Roxanne Varza et avec Cass Phillips, la créatrice américaine de la franchise Failcon, hello… ici ) et qu’une troisième est planifiée pour le printemps 2014 ! Il faudrait arrêter de vouloir créer des choses qui existent déjà !

La mise en scène de son intervention était bien faite avec Loïc Le Meur proposant aux participants qui souhaitaient poser une question à la Ministre de venir s’assoir à côté d’elle ! Il est dommage que nombre de questions portaient sur des cas particuliers. Alors voilà, je suis dans ce cas précis, je n’arrive pas obtenir ceci ou cela, que pouvez-vous faire pour moi moi moi. Il y avait cet entrepreneur du site JobBookers lui demande un rendez-vous pour monter un partenariat public/privé qui résoudrait les problèmes du chômage en France, légèrement survendeur ! Le seul qui a posé une question “non personnelle” était Glenn Le Santo (de Wearable World), cet anglais qui œuvrait visiblement pour l’animation des réseaux sociaux d’Orange.

Glenn Le Santo (Wearable World) and Fleur Pellerin (8)

Notons au passage que Fleur Pelletin visitera le Consumer Electronics Show de Las Vegas en janvier 2014 pour notamment soutenir les 12 startups qui exposeront dans la zone Eureka dans un village de startups françaises constitué par Ubifrance. Ce sont deux première notables ! Cette année devrait voir augmenter significativement le nombre d’entreprises françaises présentes au CES. Il y en avait une cinquantaine l’année dernière. La symbolique est encore meilleure car elle y sera avec Pierre Gattaz du MEDEF. Enfin, on aura l’impression qu’il y a une équipe de France au CES !

Epilogue sur le format de Leweb

Leweb ne laisse pas indifférent. L’événement est clivant : par son prix, par le fait qu’il est en anglais, par ses débats politiques, par son côté un petit peu élitiste, par la mise en avant des Le Meur qui agace ceux que le succès agace. Cette année marquait aussi un coup d’arrêt dans la croissance du nombre des participants même si l’objectif n’était pas de monter au ciel de ce côté-là.

En tant que conférence, le format de Leweb est cependant l’un des plus aboutis qui soit dans l’offre disponible en France. Ses concepteurs ont créé un bon mash-up de conférences existantes, l’influence la plus forte étant probablement TED.

Cela tient à un mix équilibré avec :

  • Des keynotes avec des intervenants qui ont quelque chose à dire, souvent écrit un ou plusieurs livres et dans pas mal de cas, ont beaucoup de présence. Ils aussi généralement de très bons supports de présentation. Le temps accordé aux intervenants est bien calibré, de 10 à 20 minutes, ce qui correspond à la capacité d’attention moyenne d’une audience.
  • Le mix est bon entre consultants/gourous, entrepreneurs et investisseurs. Il y a quelques intervenants obligés parce que leur entreprise est sponsor, mais la pilule est comestible car c’est noyé dans la masse. Gary Vaynerchuk fait vite oublier le tristounet Stéphane Richard d’Orange qui passait un peu avant lui !
  • Des échanges avec un animateur et avec la salle qui étaient assez nombreux. Même si dans certains cas, les animateurs manquaient un peu de mordant.
  • Le faible nombre de tables rondes – 3 ou 4 en tout sur 3 jours – qui est généralement le format le plus rasoir des conférences. Soit la personne a beaucoup de fond et les 5/10 minutes qu’on lui accorde sont trop courtes, soit il/elle n’a pas grand chose à dire, fait juste de la pub de sa boite et on s’ennuie.
  • La conférence est en anglais et internationale à plus de 3/4 des intervenants. C’est plus que rare ! Regardez les vidéos en anglais : c’est un bon apprentissage.
  • La scénographie qui intègre musique et habillage de la scène. Cela  demande des moyens, au moins pour ce dernier.
  • Et évidemment, l’importance du networking sur place avec une assistance internationale et diverse.

Stage (11)

Dans les zones de progrès, on peut regretter que certains intervenants reviennent trop souvent. Exemple : Phil Libin d’Evernote. Mais il faut relativiser car ils ne sont qu’environ un tiers du total. Quand une présentation était bonne, Loïc proposait en live à l’intervenant de revenir. Marque de déférence, certes, mais souvent mise en pratique. Cela peut limiter l’appel à de nouveaux intervenants, notamment jeunes, même si on a eu notre petit quota de très jeunes, surtout avec Nick D’Aloisio.

Loïc Le Meur reste un bon “trend-spotter”. Il bouge beaucoup (Davos, TED, etc) et arrive à identifier chaque année des dizaines de nouveaux intervenants très intéressants. C’est ainsi à TED qu’il avait repéré l’excellent Hans Rossling que l’on avait entendu deux fois, en 2006 et 2007.

Katia Beauchamp Maelle Gavet et Géraldine Le Meur

Autre point d’amélioration éternellement rappelé dans les conférences du secteur : la faible parité de genre. Il y avait moins d’une vingtaine d’intervenantes sur un total de 155 (11%). Est-ce qu’il y en a si peu à l’échelle des US et Européenne dans le numérique ? Une table ronde de femmes du numérique avec Katia Beauchamp (Birchbox), Maelle Gavet (VC chez OZON Holdings) et Géraldine Le Meur était animée par un Paul Papadimitriou (Digital Intelligence) qui n’avait visiblement pas bien préparé son sujet.

Ce genre de table ronde n’est pas nécessaire quand la part des femmes dans les intervenantes est plus élevée. Dans le jury, la seule femme était Fleur Pellerin alors qu’il y a plein d’entrepreneuses brillantes en France comme en Europe (rien qu’en France, je vous en trouve 80 référencées ici : http://www.qfdn.net/categories/entrepreneuses). Il faudrait dégager ceux que l’on voit chaque année, puis féminiser et aussi rajeunir ce panel !

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C’en est terminé pour ce long compte-rendu ! Merci d’avoir tout lu, vous êtes curieux et courageux, c’est très bien !

Je certifie sur l’honneur qu’il a été réalisé sans trucages et sans esclaves rémunérés ou pas, dans la cave ou le grenier. Mes outils étaient surtout Google Search, YouTube, Slideshare et mon appareil photo ! Si vous organisez des événements et souhaitez obtenir le même genre de couverture, n’y comptez pas, tout du moins pas facilement. Mon année est déjà bien remplie avec le CES, puis le MipCube, l’IBC, le CEATEC et Leweb. Je ne suis pas un média “à temps plein”. Blogguer n’est pas un métier ! C’est mon budget veille+marketing et il n’est pas extensible à l’infini. Je vis de … consulting. C’est un équilibre toujours tendu dans la gestion du temps !

Prochaine étape au-delà des fêtes de fin d’année, le CES de Las Vegas et la rédaction de mon habituel rapport dont je prévois la publication le 27 janvier !

RRR

 
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