Les technologies de séquençage du génome humain – 6
Post de Olivier Ezratty du 22 août 2012 - Tags : France,Innovation,Santé,Silicon Valley,Sociologie,Startups,Technologie,USA | 8 Comments
Dans la cinquième partie de cette série estivale, nous en avons terminé avec la description factuelle des technologies du séquençage du génome. Dans cette sixième et avant-dernière partie, nous allons nous intéresser à la géo-économie de ce secteur.
L’absence des français
Vous aurez sans-doutes remarqué que dans les sociétés passées en revue, il y a beaucoup de startups et PME innovantes. Elles sont principalement américaines, un peu britanniques ou allemandes, mais pas une seule française. Aussi bien dans les technologies que nous avons couvertes, que d’ailleurs dans les services associés, style 23andMe.
C’est déroutant si ce n’est consternant !
Dans l’innovation et le capital-risque, on a coutume d’investir dans trois secteurs clés : le numérique, la santé et les écotechnologies. Pourquoi cette partie importante du second pan semble-t-elle ignorée par notre pays ? On retrouve bien dans le secteur de la santé des symptômes voisins de ceux qui affectent l’écosystème numérique : saupoudrage d’investissements d’origine publique, complexité du système, rivalités entre institutions publiques (INSERM, INRA, CEA, CNRS), liaisons difficiles entre grands labos et startups et frilosité des investisseurs privés. Mais la principale raison de l’absence française ne semble ni technologique ni financière. Ce sont la peur et le principe de précaution. Comme pour les OGM, ils bloquent l’industrie française.
Le séquençage individualisé du génome humain est porteur d’espérances pour créer des thérapies géniques sur mesure non seulement pour les maladies rares d’origine génétique mais aussi pour les cancers ou de nombreuses maladies auto-immunes. Il peut aussi – dans certains cas – aboutir au développement d’une nouvelle forme de médecine préventive (modulo les limites du modèle évoquées ici). Mais en même temps, le séquençage fait peur, notamment au niveau de la protection des données personnelles et de l’éthique sur ce qui concerne les manipulations du vivant.
Prenons l’exemple d’un gène augmentant le risque d’arrêt cardiaque brutal. Chez nous, on va se dire qu’un employeur va chercher à connaitre son existence avant tout recrutement. Sachant pourtant qu’il y a déjà un cloisonnement entre professions – et données – médicales et employeur, d’où l’existence de la médecine du travail.
Ailleurs, on va se dire, chouette, si on le détecte, on pourra un jour le circonvenir par une thérapie génique ! A la décharge de la France, Israël dont les startups de biotech se portent plutôt bien n’est pas présent non plus dans le secteur du séquençage (cf leurs startups de medtech). Cependant, l’industrie et les startups de biotech françaises s’intéressent plus aux thérapies, ce que nous verrons dans le dernier article de cette série.
Selon Jean-Michel Billaut, notre marché intérieur est complètement bloqué car “nous avons un Comité d’Ethique qui nous interdit de faire réaliser, de notre propre chef, notre séquencement génétique… Sous peine d’une amende de 15.000 € et d’une année de prison”. Pour être plus précis, il semblerait que l’on puisse commander un séquençage d’ADN personnel mais avec un consentement produit sous forme écrite et orale. Ceci vise à éviter les effets de bord tels que ceux qui sont évoqués dans Ethique et génomique : les nouveaux défis dans le domaine de la recherche et de l’information, une étude d’une doctorante en éthique de la recherche à l’INSERM publiée en 2008. La loi n’interdit pas le séquençage personnel du génome, elle l’encadre. Il s’agit précisément de l’article 16-10 du Code Civil qui a été modifié en mars 2012. D’un point de vue pratique, il rend impossible la commande d’un séquencement d’ADN par vente à distance et vous oblige à passer par un médecin. Comme ceux-ci sont plutôt dépassés par les événements ou n’ont pas été formés à ce genre d’outil, ils ne sont pas spécialement motivés ou intéressés à vous recommander cela. Sans compte qu’il s’agit de frais à priori non pris en charge et par la sécurité sociale et par les mutuelles. Donc, une médecine de “privilégiés”. En tout cas, votre séquençage doit répondre à une finalité bien précise et ne pas relever d’un achat d’impulsion.
J’ai cherché des projets de séquençage chez les lauréats du Concours National géré par le Ministère de la Recherche et sur ceux des appels à projet de l’ANR. Aucune trace ! Et pas plus dans les programmes de l’INSERM.
Par contre, il existe bien un programme France Génomique dans le Plan d’Investissement d’Avenir (grand emprunt) lancé en 2010 sous la responsabilité de Jean Weissenbach et doté de 60 m€. Ce dernier est avec Daniel Cohen à l’origine des premières cartographies des gènes dans les chromosomes humains réalisées au Généthon en 1991 et 1993. Ils en ont été tous les deux Directeurs Scientifiques, l’un après l’autre. Jean Weissenbach avait aussi participé au Human Genome Project en séquençant le chromosome 14. Au passage, j’ai trouvé cette thèse en sociologie (!) de Ashveen Peerbaye (2004) qui documente très bien l’histoire politique du HGP (à partir de la page 40), complétant l’histoire scientifique déjà vue, et publiée dans Nature en 2001. Il traite aussi de la bien compliquée histoire du séquençage du génome en France avec l’histoire du Généthon et celle du Génopole d’Evry. Et rappelle notamment que le rôle de la France dans le HGP n’est dû qu’à l’AFM et au Généthon, contre l’avis des instances de décision de la recherche publique française de l’époque. Au final, une bonne partie de la recherche française en génomique a été financée par du “crowdfunding” (le Téléthon), un cas assez unique dans l’histoire des sciences en France.
S’il n’y avait pas cet obstacle moralo-éthique qui semble bien bloquant, l’industrie française et ses startups feraient tout de même face à bien d’autres difficultés :
On peut argüer du fait que la technologie du séquençage n’est qu’un moyen parmi d’autres pour améliorer notre santé. Les thérapeutiques, notamment géniques, comptent autant si ce n’est plus que l’outillage de séquençage. Oui mais… d’un point de vue industriel, cela me rappelle ce qui se passe dans le numérique : la France favorise les “solutions” mais ne maitrise pas suffisamment de “plateformes”. Or ces dernières génèrent de grandes économies d’échelle et créent un effet de réseau économiquement toujours profitable à celui qui détient le nœud du réseau.
Bref, dans la santé aussi, les “enabling technologies” sont clés. Et on a visiblement raté ce coche. L’analogie peut être faite dans d’autres domaines : on n’aura pas de Z-Corp (fabricant d’imprimantes 3D) mais on aura des Sculpteo (service d’impression 3D à distance). Notre écosystème se construira sur le service, et pas sur le produit ! Le contraire de l’industrialisation…
La dynamique de l’omniprésence américaine
Aux USA, des états d’âme existent aussi sur le séquençage :
Barack Obama a lui-même lancé en 2007, alors qu’il n’était que membre du Sénat américain, l’initiative du Genomics and Personalized Medicine Act qui visait à encourager le développement de thérapies et de médecine préventive s’appuyant sur le séquençage personnel du génome humain. Cette loi semble avoir été recalée au Congrès en 2009 puis reprise par quelques sénateurs dont Patrick Kennedy. Mais cela n’a pas bien avancé depuis, ce d’autant plus que le congrès US est passé sous le contrôle des Républicains dans les mid-term elections de novembre 2010.
En tout cas, le législateur américain n’a pas agi dans un sens qui pouvait bloquer l’expérimentation et l’innovation. Et les organismes fédéraux ont même contribué à l’accélérer même s’il y a eu au départ une rivalité entre le NIH (=INSERM chez nous) et le DOE (Department of Energy, un peu assimilable à notre CEA qui lui aussi s’intéresse à l’énergie, surtout nucléaire, et aussi à la santé, notamment dans les nanobiotechnologies avec le CEA-LETI basé à Grenoble).
Le droit américain a ceci de particulier qu’il donne une grande importance à la jurisprudence (“case law”) tandis que notre droit vient plus de la loi et du législateur. Cela se retrouve dans les plus hautes instances judiciaires : aux USA, la Cour Suprême est l’instance d’appel de dernier recours après les tribunaux locaux et fédéraux et elle définit la jurisprudence à l’échelon fédéral. En France, le Conseil Constitutionnel est l’instance d’appel du législateur dans la fabrication des lois ! De ce fait, aux USA, le droit intervient en parallèle ou après les innovations alors que notre législateur a tendance à créer des lois qui s’appliquent avant et à en bloquer certaines de manière préventive. C’est un peu le cas des OGM. Sans compter le principe de précaution qui est inscrit dans la constitution française depuis 2005.
Le Pentagone a aussi étudié la question et réfléchit aux moyens à mettre en œuvre pour séquencer le génome de tous ses soldats ! Un beau marché en perspective, ce client étant souvent le plus gros des sociétés de technologie américaines en “btob” !
L’activité aux US sur le génome est donc florissante et couvre tout un tas de secteurs. En premier lieu la recherche aussi bien privée que publique. On a vu que le NIH joue un rôle moteur dans ce cadre. Ce n’est pas qu’une affaire de gros sous mais aussi de politique publique de santé. Les startups y sont florissantes comme nous l’avons vu, juste sur le séquençage. Les applications de services dans la e-santé prolifèrent aussi comme l’expose Jean-Michel Billaut dans un inventaire des startups du secteur.
Le gouvernement fédéral US finance l’amorçage de ces startups. Leur National Institute of Health finance des projets de recherche menés par des PME au travers de son très officiel National Human Genome Institute. La liste de méthodes en cours de recherche se recoupe avec certaines startups que nous avons couvertes dans cet article. Un nouvel appel à projet est en cours. Leur financement est couvert par des subventions du programme “Small Business Innovation Research”, qui est l’une des composantes du bien fameux Small Business Act. Il finance des projets de recherche de PME. Dans le cas précis de l’appel à projet en cours, le financement sera de $2,5m pour 2 à 5 projets s’étalant sur 1 à 3 ans. Le financement par projet peut aller de $250K à $1,5m. Et aucun abondement de financement privé n’est demandé aux PME qui concourent contrairement au Concours National de la Création d’Entreprise de Technologie Innovante dont le palmarès 2012 a été annoncé au début de l’été. Et ne croyez pas que les américains ne se focalisent que sur le séquençage ! Ils visent aussi toutes ses applications et sont notamment particulièrement focalisés sur le traitement ou la prévention des cancers.
Cela se traduit aussi par des conférences sur la “génomique personnelle” comme la Consumer Genetics Conference dont la prochaine édition a lieu début octobre 2012 à Boston. Un lieu qui n’est pas choisi par hasard puisque le nord-est des USA est un pôle économique majeur dans la santé aux USA et concurrence sérieusement la Silicon Valley dans ce secteur.
Pas de grosse surprise côté financement : plus de capitaux qui circulent, il y a plus de prise de risque et un marché intérieur énorme – la santé coute cher et représente 17% du PIB aux USA vs 13% en France – et aussi plus d’ambition. Mais il y a aussi une cohorte de projets foireux – que j’ai évité de citer – qui ont été modestement financés et ont peu de chances d’aboutir. Ce d’autant plus que d’un point de vue technologique, le marché du séquençage est très fragmenté.
Le business model de ces startups est à peu près toujours le même : vendre des machines relativement chères ($10K à $50K, sachant que certaines vont jusqu’à $500K) puis des consommables, eux-mêmes tout aussi chers d’autant plus qu’ils intègrent des composants à forte valeur ajoutée (microfluidique, etc). Le marché du séquençage est à la fois un marché de volume car il pourrait concerner beaucoup de monde, mais il n’est pas récurrent pour autant. En effet, une fois qu’on a séquencé son génome, on n’a plus besoin de le refaire. Mais le séquençage du génome présente une autre dimension de “scalabilité” : les autres espèces vivantes ! De la dizaine de milliers de bactéries qui sont dans notre système digestif et sur notre peau jusqu’à toutes les espèces animales ou végétales. De quoi faire travailler plein de laboratoires de recherche et d’industriels. S’y ajoute le modèle de nombreuses sociétés orientées services qui exploitent les données du séquençage basées sur la vente de services en ligne.
L’écosystème des fabricants américains de séquenceurs s’appuie de son côté sur les industries du numérique, qui font maintenant intervenir les acteurs du cloud et du big data, la plupart étant dans la Silicon Valley. Tout se tient d’un point de vue industriel !
De bonnes surprises dans les thérapies géniques ?
Dans la dernière partie de cette longue série, je vais rapidement couvrir ce qui se passe au Généthon, qui se focalise sur les thérapies géniques après avoir été il y a plus de 20 ans un précurseur du séquençage du génome humain. Ce laboratoire financé pour l’essentiel par l’AFM-Téléthon développe et s’apprête à industrialiser à grande échelle les premières thérapies géniques qui s’appuient entre autres sur le savoir généré par le séquençage du génome. C’est plutôt encourageant après cet état des lieux sur le séquençage !
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