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Petit décryptage de l’IPO de Facebook

Post de Olivier Ezratty du 2 février 2012 - Tags : Facebook,Startups | 15 Comments

L’annonce tant attendue de l’IPO de Facebook a ouvert un beau couvercle sur la société. Une fois qu’une société se prépare à être cotée en bourse, elle doit publier des informations financières et qualitatives sur son activité et aussi sur la structure de son actionnariat. Le formulaire S-1 envoyé par Facebook à la Securities & Exchange Commission est donc du pain bénit ! Petit détail de taille : il est en anglais et comprend un grand nombre de termes financiers assez techniques que seuls les VCs et les entrepreneurs chevronnés peuvent comprendre. Ce qui a d’ailleurs généré quelques incompréhensions dans la presse.

 

Facebook S-1 Form Cover

Alors, sans couvrir l’intégralité du sujet, je vais m’attarder ici sur quelques éléments révélés par ce Formulaire S-1 !

La profitabilité

Dans un article commentant l’IPO, “Le Monde” indiquait que le bénéfice de Facebook était de $668m. Erreur ! Il est de $1B sur 2011 (un milliard de dollars). Les médias ont mal interprété le document de l’IPO de Facebook. L’article en question a été mis à jour en moins d’une journée pour indiquer ce $1B.

Explication… Dans le compte d’exploitation, on voit que le résultat net est de $1B (ligne “Net Income”). Il y a une ligne en dessous où est écrit ce chiffre de $668m avec comme libellé : “Net income attributable to Class A and Class B Stockholders”. Cela correspond à la part du résultat qui est affectable à certains types d’actionnaires, que ce soit les cadres dirigeants, les salariés au travers de leurs stock-options ou les investisseurs. Ca intègre les actions des salariés, du fondateur et des investisseurs, mais pas toutes visiblement pour ces deux derniers.

Ce sont des actions de Class A qui seront émises lors de l’IPO. Aucune date n’a été indiquée pour cette IPO. On connait le montant de la levée de fonds qu’elle est censée générée, $5B minimum mais pas le nombre d’action auxquelles elles correspondront. A qui sont les autres actions ? Semble-t-il, il s’agit de celles de Mark Zuckerberg et des investisseurs dans la société, pour l’essentiel des sociétés de capital-risque américaines comme Accel et le russe DST.

Les actions de Class B donnent 10 droits de vote pour 1 pour les actions de Class A. Lorsque les salariés vendent leurs actions Class B, elles deviennent des actions de Class A avec moins de droits de votes. Où sont les autres actions ? Ce sont les “undesignated preferred stock” qui ne sont ni Class A ni Class B. En français, ce sont des “actions privilégiées non nominatives”. Ce sont des actions qui figurent dans la structure du capital de la société mais qui ne sont pas émises. Elles servent visiblement de contre mesure à des tentatives de prise de contrôle (“take over bid”). Mais je n’en sais pas plus et suis preneur des lumières de spécialistes.

En tout cas, notre $1B de résultat net donne une profitabilité de 26,52% (résultat net / chiffre d’affaire). Sur 2011, celle de Google était très voisine, de 25,69% mais pour un chiffre d’affaire dix fois supérieur. Cela veut dire que Facebook est déjà une entreprise très profitable. C’est un niveau de profitabilité similaire à celui des grands acteurs du numérique : Microsoft, Google, Intel.

Pourquoi ces $668m qui ont induit la presse en erreur et à quoi servent-il ? Ils permettent de calculer “l’earning per share”, le résultat net par action circulante.

Facebook a expressément indiqué ne pas prévoir de distribuer des dividendes dans le futur proche, comme toutes les sociétés dont l’action en bourse est spéculative et non “de rendement” (intégrée notamment dans des fonds obligataires ou des fonds de pension aux USA). On retrouve ces dividendes non versés dans la ligne “Retained earnings” dans le bilan, évalués à $1606m. Cela correspond au résultat net des deux dernières années fiscales. L’histoire ne dit pas pourquoi le résultat net de 2009 qui est de $254m n’est pas intégré dans ces “retained earnings”.

Donc, le résultat net alimente de toutes manières  les réserves en cash de la société. Réserves qui sont de $3,9B et permettent par exemple de mener des acquisitions totalement ou partiellement en cash.

Structure de coût et de profitabilité

Dans le graphe ci-dessous, vous avez une comparaison de la structure de coûts et de marge brute de divers acteurs. Les périodes ne sont pas forcément comparables car il s’agit de CY2011 (civil year) pour Facebook et d’une période antérieure pour les autres, se terminant en juin 2011 dans la plupart des cas. Mais les ordres de grandeur restent corrects. Vous avez donc une ventilation du CA entre grandes structures de coûts et la marge brute (operating margin ou income from operations).

Facebook and other P&L

Que voit-on ? Que Facebook a la meilleure structure de profitabilité de tous les acteurs ici comparés, notamment par rapport aux plus profitables des acteurs que sont Microsoft, Intel, Apple et Google. La structure de compte d’exploitation est très voisine de celle de Microsoft à une exception près : le coût sales & marketing est plus faible chez Facebook. Cela s’explique par deux phénomènes : Facebook n’a pas de force de vente et avant-vente grands comptes de la taille de celle de Microsoft, même si il a surement des commerciaux grand compte pour la publicité. Et de plus, la viralité des services de Facebook est évidement bien meilleure que celle  des divers produits et services de Microsoft.

La structure de coût de Facebook est voisine de celle de Microsoft, qui a un mix d’activité différent avec logiciels (faible coût de production, uniquement de la R&D), matériels (coût de production élevé comme pour la XBOX) et services (coût des data center de MSN, XBOX Live). Par contre, il est intéressant de voir que le coût des opérations de Facebook représente 23% du CA tandis que celui de Google est de 35%. Et il est en baisse constante en % depuis 2 ans. Est-ce parce que les data center de Google sont plus lourds que ceux de Facebook ? Facebook stocke et indexe son propre contenu tandis que Google scanne et indexe tout le web. Le défi est plus grand pour Google, donc peut-être plus onéreux. Mais ce n’est pas évident. La comparaison est rendue difficile car ce “cost of sales” comprend dans le cas de Google le coût d’acquisition des emplacements de la régie publicitaire AdSense (environ 23% du CA, alors que le coût des data centers est de 12% du CA au maximum). Le “cost of sales” de Facebook comprend les frais de gestion de carte de crédit pour l’activité de paiement. On dira au nez : 3% de 15% du CA soit moins de 0,5% du CA. Au final, le coût des data centers représenterait donc environ 22% du CA de Facebook pour 12% chez Google. Contre-intuitif, et lié à des économies d’échelle que Google aurait pu générer que Facebook ne saurait pas encore mettre en oeuvre.

Revenu par utilisateur

Le nombre d’utilisateur de Facebook et Google à fin juin 2011, qui représente une médiane de l’année, est respectivement de 739 et 1000 millions. Cela donne un revenu annuel moyen par utilisateur mensuel de respectivement $5,1 pour Facebook et $37,9 pour Google. Soit un ratio de 1 à 7,42.

Facebooks Monthly Users History

Comment s’explique cette différence et est-ce que Facebook peut la combler ?

En partie oui. 83% du revenu de Facebook est d’origine publicitaire. Le revenu “autre”, constitué de de commission de paiement dans les jeux et les applications (Facebook Payment) est passé de 5,8% à 16,4% du CA en un an. Si la tendance se poursuit, il apportera une bonne source de croissance à Facebook. Facebook pourrait aussi améliorer le ciblage publicitaire du fait de la quantité d’informations collectée sur les utilisateurs. Mais Google et son moteur de recherche auront pendant encore longtemps un avantage clé : ses utilisateurs lui disent ce qu’ils recherchent en temps réel tandis que Facebook doit le deviner. Le ciblage publicitaire qui en résulte est donc explicite pour Google et implicite pour Facebook. Le bon sens dicte que le ciblage de Google est mécaniquement plus efficace que celui de Facebook. Ce d’autant plus qu’il est intégré dans l’interface utilisateur du résultat des recherches (42% des clicks) tandis que la publicité dans Facebook est généralement située à droite de l’écran, là où l’œil se rend moins souvent.

Cet ARPU à $5 de Facebook pourra certainement monter jusqu’aux horizons de $10. Dans ses belles années, celui de Yahoo atteignait $9. Depuis, les prix de la publicité Internet ont chuté et il a baissé. Notamment parce que Facebook a augmenté la taille de l’inventaire revendable et donc contribué à baisser la valeur de la publicité en ligne, même vendue “au click”.

Les autres sources de croissance pour Facebook sont les applications et les jeux. Zynga représentait 12% de son chiffre d’affaire en 2011. C’est un bon indicateur de potentiel. Le “casual gaming” se développe très rapidement sur Facebook. Avec des victimes indirectes comme Nintendo qui va très mal comme nous l’avons vu dans le Rapport CES 2012.

La plus grande IPO du numérique

Autre information à relativiser, celle selon laquelle l’IPO de Facebook battrait des records historiques. C’est vrai. Mais…

Le CA de Facebook au moment de l’annonce de l’IPO était de $3,7B (pour 2011). Pour Microsoft en 1986, il était de $198m. Pour Google en 2004, il était par contre déjà de $3,19, soit pas loin du revenu de Facebook au moment de son IPO. Comme Google, Facebook a lancé son IPO tardivement par rapport à Microsoft et probablement plein d’autres belles sociétés des années 80/90. Microsoft a fait son IPO 11 ans après sa création, Google 6 ans et Facebook 8 ans. Qui dit levée tardive dit ratios financiers différents et plus élevés, et donc, une levée de fonds attendue plus élevée, ici de plus de $5B. Ce d’autant plus que les montants levés par Facebook ($1698m entre 2009 et 2011) ont été largement supérieurs aux montants qui avaient été levés par Microsoft et Google avant leur IPO respective. Tout ceci qui explique pourquoi la levée de Facebook est / sera un record.

Pourquoi cette levée est-il si tardive ? Mark Zuckerberg a annoncé qu’il voulait la mener le plus tardivement possible pour ne pas trop diluer le capital de la société. C’est une bonne raison. Mais il y en a d’autres.

Ecartons déjà une raison qui n’a pas lieu d’être : une levée de fonds permet d’augmenter les fonds propres d’une société pour financer sa croissance. Facebook n’en a pas besoin. Il est déjà très profitable et peut financer sur son cash-flow normal toutes ses perspectives de croissance. Il semble avoir même levé des fonds en 2009 et 2010 alors qu’il était déjà profitable. Par contre, en ayant des actions en bourse, il peut plus facilement acquérir des sociétés de grande taille par le biais d’échanges d’actions.

Ensuite, il y a le besoin de monétiser les actions existantes de la société, notamment celles de ses investisseurs et de ses salariés actionnaires par le biais de programmes de stock-options. Les actions de Facebook étaient déjà  échangeables sur les marchés alternatifs réservés aux entreprises non cotées, notamment chez SecondMarket (cf cet article). C’est ce qui avait permis à Mark Zuckerberg de faire une donation de $100m à des écoles de Newark dans le New Jersey en septembre 2010.

Mais les valorisations dans ces marchés alternatifs ne sont pas forcément aussi bonnes et les transactions aussi fluides et transparentes qu’au Nasdaq. En se faisant coter au Nasdaq, les flux financiers vont augmenter, il y aura plus d’actionnaires intéressés. Mais cela pourra faire fluctuer l’action plus radicalement que dans les marchés alternatifs. Le marché sera aussi plus transparent puisque le cours de bourse de Facebook sera basé (en partie…) sur les informations rationnelles de ses résultats trimestriels. S’ils sont bons, cela peut apprécier l’action. Mais c’est aussi applicable à la baisse quand les résultats ne sont pas à la hauteur des prévisions !

Valorisation

C’est l’aspect le plus contesté de cette IPO : la valorisation prévue de Facebook pour son entrée en bourse serait bien trop élevée, voire délirante. C’est d’ailleurs un commentaire qui prévaut depuis que les premières valorisations de la société ont circulé lors de ses différentes levées de fonds.

La valorisation prévue serait comprise entre $75B et $100B. Ce qui donne un “price earning ratio” (PER) de 75 à 100. Le PER est le rapport entre la valorisation et le résultat net de la société. Modulo l’histoire des $668m vs $1B. J’ai calculé le PER avec le résultat net total de $1B.

Un PER de ce type est évidemment très élevé. L’histoire a montré qu’il en était ainsi pour toutes les IPO de sociétés “dans le vent” présentant une forte croissance. Le PER de Google juste après son introduction en bourse était supérieur à 130. Celui de Zynga qui a été introduit en bourse fin 2011 est supérieur à 200. Donc, comparativement, Facebook serait un petit joueur ! A ceci près que Google était plus petit que Facebook au moment de son introduction et présentait probablement des perspectives de croissance plus alléchantes. Depuis quelques trimestres, le PER d’Amazon est supérieur à 50 et il est actuellement de 132 ! Alors que cette société, certes en croissance, a un résultat net de 1,5% de son chiffre d’affaire qui rappelle celui de la grande distribution ! Explication : les investisseurs s’attendent à une croissance soutenue de la société et à de bonnes économies d’échelle dans son business (cf ce thread dans Quora).

Apple Google Amazon PER History

Dans le bizarre, il faut aussi citer SalesForce dont le PER est à un niveau délirant : plus de 700 depuis juin 2011 et avec un historique où il n’est jamais tombé en dessous de 76. Et aussi Groupon qui avait un PER infini lors de son introduction en bourse en novembre 2011 puisque son résultat net était négatif !

Il faut aussi évoquer le cas d’Apple qui malgré sa croissance insolente, présente un PER très décevant, actuellement aux alentours de 13, pas très éloigné de celui de Microsoft (10,9) qui génère pourtant une croissance bien moins élevée que celle d’Apple, et dans le passé et dans les prévisions. C’est le syndrome du “les arbres ne montent pas jusqu’au ciel”. Les investisseurs se demandent si et comment Apple pourra poursuivre sa belle croissance maintenant qu’il est devenu le plus grand constructeur américain en CA, et juste derrière Samsung au niveau mondial.

Bref, comme toujours, le marché a peut-être “raison” mais il n’est pas toujours facile à comprendre ! Et le seul PER de Facebook qui comptera sera celui qu’il aura après son IPO.

Stock-options

Le formulaire S-1 devrait permettre d’en savoir plus sur les stock-options émises pour les salariés. Je vous passe le détail. Lorsque l’on aura une idée de la valorisation en bourse de la société, on saura calculer la plus-value potentielle des stock-options (émises aux alentours de $31 par action) pour les salariés. Comme pour Google il y a quelques années, l’IPO va mettre à jour des centaines de salariés millionnaires en dollars. Il est curieux de constater que même Mark Zuckerberg bénéficie d’un plan de stock-options. Pour 120 millions d’actions. Si l’IPO se fait disons à $50, cela génèrera un complément de $6B au portefeuille de Zuckerberg. En plus des 533 millions d’actions qu’il possède déjà. Sa fortune a été estimée à $17,5B début 2011 qui doivent correspondre à ces 533 millions d’actions qui sont à lui (avec une valeur d’environ $33). Avec une IPO à $50 et ses stock-options, sa fortune serait réévaluée à $32B.

Contrôle

Mark Zuckerberg a été bien entouré d’avocats lorsqu’il a construit les différentes versions du pacte d’actionnaire de sa société. Le bon exemple est que le fondateur va contrôler la majorité des droits de votes du fait du poids de ses actions dans la société et d’une délégation irrévocable de droits de votes d’actionnaires qui ne sont pas nommés dans le formulaire S-1. Cela lui donne un contrôle de 56,9% des droits de vote de la société. Malin !

Risques

Comme dans tous les formulaires S-1 ainsi que dans toutes les publications de résultats trimestriels, les sociétés cotées déversent une litanie de facteurs de risque qui peuvent les affecter. Cela fait la joie des commentateurs. Au-delà des risques juridiques (vie privée) et relatifs à la concurrence (Google et autres), il y a un facteur de risque intéressant qui est cité : le fait que le déport des usages du fixe (PC, Mac) vers les mobiles peut réduire leur revenu et leur croissance. Parce que la version mobile  de Facebook est plus difficile à monétiser que la version web classique. Sauf dans les jeux. C’est un risque intéressant car il correspond à une vague du marché. On peut espérer pour eux que l’usage intermédiaire, sur les tablettes, ne présente pas le même risque. Leur écran plus grand laisse plus de place à la publicité. Et il est très prometteur dans ses usages liés à la consommation de la télévision, autant comme second que comme premier écran.

Conclusion

On en sait plus sur Facebook. Après l’IPO, on suivra leurs résultats trimestriels comme pour toutes les entreprises cotées. On bénéficie d’une plus grande transparence des données ce qui permet de mieux comprendre la dynamique financière des réseaux sociaux. On se rend compte que la croissance ne sera pas si facile à poursuivre au même rythme pour Facebook. Comme si l’IPO arrivait presque un peu trop tard. L’histoire nous en dira plus !

RRR

 
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