J’ai l’habitude de commenter sur ce blog l’évolution des solutions de consommation de média numérique, notamment dans le champ de la télévision. Le point d’orgue est le Rapport annuel du Consumer Electronics Show, relatant la grande foire d’empoigne technologique des loisirs numériques. Cela concerne souvent le dernier maillon de la chaine de valeur des contenus : leur consommation par le grand public. Mais leur production est un autre monde éminemment passionnant !
L’occasion m’a été donnée de découvrir de manière l’autre côté du miroir côté chaine TV en visitant l’ensemble des infrastructures techniques du groupe M6, situées dans plusieurs bâtiments à Neuilly-sur-Seine. J’ai été accueilli par le Directeur des Moyens Technologiques Christophe Foglio et par son équipe. Ils m’ont ainsi fait visiter non pas simplement les studios (un grand classique), mais également l’amont et l’aval : de l’acquisition des contenus externes jusqu’à la régie finale et en passant par les salles de la rédaction pour la partie information.
Ce n’est pas la première fois que je mets les pieds dans une chaine TV. Habitant à Paris au début de mon adolescence, j’avais découvert la Maison de la Radio du Quai Kennedy. C’était du temps de l’ORTF, c’est dire si ça date ! Plus récemment, je suis aussi passé plusieurs fois dans des studios divers, notamment chez LCI, mais pour des interviews et débats et sans avoir le temps de visiter grand-chose !
Depuis le milieu des années 2000, pas mal de choses ont changé qui ont affecté la production télévisuelle : le passage à la haute définition, la numérisation de bout en bout et la dématérialisation totale de la vidéo dans tout processus de production et de diffusion, l’interactivité naissante, la diffusion des contenus des chaines dans des tuyaux et formats de plus en plus diversifiés, chez les FAI pour l’IPTV, pour la TV de rattrapage sur Internet, et puis l’accès aux contenus en direct ou différé via les smartphones et autres tablettes.
La numérisation des infrastructures des chaines TV a démarré il y une bonne dizaine d’années. Elle a notamment affecté très tôt la production des journaux télévisés et accompagné l’arrivée de nouvelles chaines d’information comme LCI et BFM TV. Le groupe M6 était quelque peu en retard dans ce passage au numérique. En 2008, ils ont décidé de mettre les bouchées doubles et de refondre l’ensemble de leur workflow télévisuel pour passer au tout numérique et au dématérialisé. Le timing était bon : il correspondait à l’extinction de la TV analogique, au décollage de l’IPTV, à l’éclosion des nouveaux usages et de la TV haute définition. Ils ont appris des erreurs des uns et des autres. Christophe Foglio et une partie de son équipe sont eux-mêmes des anciens du groupe TF1.
Gestion du changement
Le groupe M6 a mené cette transition au numérique tambour battant en 2008/2009 grâce à quelques recettes simples mais efficaces :
- La création d’une Direction technique unifiée rassemblant toutes les fonctions techniques du métier de la télévision. Cela simplifie le processus décisionnel par rapport à d’autres organisations où cette responsabilité est éclatée dans plusieurs divisions. Une bonne partie de la nouvelle équipe provient du groupe TF1, une autre très bonne école des technologies de la télévision numérique.
- Une forte mutualisation entre les chaines et programmes. Cela se retrouve à tous les niveaux du workflow : dans l’acquisition des contenus, dans la versatilité des studios tout comme dans la régie finale. Le titre du post est d’ailleurs inexact car nous allons parler de l’ensemble des chaines TV du groupe M6 et pas seulement du vaisseau amiral M6.
- La maitrise des couts en gérant le projet en interne, et en réalisant tous les achats en direct avec les fournisseurs. Ceci a permis de faire de sérieuses économies dans les investissements. Le groupe M6 est connu pour cela : faire grand avec peu de moyens. Leurs moyens techniques sont en effet bien plus limités que ceux de TF1 ou de France Télévision, mais avec une part de marché des plus respectables !
Le plan de déploiement initié en 2008 est toujours en cours, mais l’essentiel a été fait. Il reste surtout un studio à moderniser. Les technologies évoluent vite mais pas au point de rendre obsolètes des investissements de 2009. Il m’est cependant arrivé de découvrir des matériels déployés qui n’existaient plus chez leur fabricant et avaient été remplacés par des références équivalentes plus récentes. L’obsolescence programmée n’affecte donc pas que les produits grand public !
Avec le secteur de l’événementiel, les ressources techniques d’une chaine TV sont les plus variées qui soient. On y trouve l’informatique traditionnelle (réseaux, serveurs, postes de travail), le workflow vidéo et audio, le stockage et l’archivage de gros volumes de données, la gestion des studios, leur éclairage, et puis aussi le lien avec les FAI et les sites web.
Allons-y donc, parcourons cette chaine du workflow des contenus dans le groupe M6, sous forme de reportage photo commenté et en trois parties. La première sur le workflow des contenus, la seconde sur la production en studio, et la dernière sur la réalisation des journaux télévisés et sur la régie finale.
Acquisition des contenus
L’acquisition des contenus était la première étape de cette visite. C’est le seul endroit où sont manipulés des supports physiques de contenus. En effet, l’alimentation en programmes (séries, films, etc) des chaines du groupe M6 passe encore par des livraisons de K7 vidéo au format professionnel HD-CAM. Mais de plus en plus de contenus sont livrés sous forme dématérialisée. Il en va ainsi des spots publicitaires qui arrivent ici via une ligne spécialisée, en provenance d’IMD et d’AdStream.
L’ingestion des contenus sous forme de K7 HD-CAM passe par des magnétoscopes Sony classiques (ci-dessous). Ceux-ci lisent les bandes et elles sont acquises numériquement pour être transformées en fichiers. La lecture se fait en 1:1 (temps réel, pas en accéléré). Le pilotage de l’ingestion est réalisé avec le logiciel Media Recorder de la société française MBT.
Lors de leur numérisations, toutes les vidéos sont converties en format HD et de ratio 16/9, quelle que soit leur qualité de départ. Les images qui arrivent en 4/3 sont converties en 16/9 avec l’ajout de bandes noires sur le côté avant d’entrer dans l’encodeur. Côté format, le format d’origine (SD ou HD) est conservé et les deux types de fichier peuvent cohabiter au moment de la diffusion. Le “downconvert” en résolution SD peut avoir lieu en bout de chaine pour générer un signal SD à partir de la version HD pour certains canaux de diffusion.
La normalisation concerne également les canaux son. Tout est converti en son multicanal 5.1 s’il existe dans la source ou bien en stéréo. la version originale est conservée lorsqu’elle existe dans la source. Sa présence dépend des fournisseurs de programmes (séries TV US).
Stockage et archivage
Derrière la salle des acquisitions se trouve un petit centre de données pour le stockage et l’archivage de tous ces contenus ingérés. Elle est principalement construite autour de serveurs d’acquisition Omneon Spectrum adossés à un stockage mediaGrid d’Omneon (ci-dessous). Le Spectrum comprend des serveurs lame MediaPort 5000HD 1U empilés dans des racks. Ils sont accédés par les services en ligne de M6, par celui de la TV de rattrapage ainsi que par tous les PCs internes du groupe M6, et en basse résolution.
Les données qui sont stockées dans ces serveurs sont ensuite exploitées dans tout le reste du workflow des chaines du groupe M6. Elles sont vérifiées, et elles sont injectées dans la diffusion des chaines en fonction de conducteurs de programmes en régie finale par le biais de quatre serveurs de diffusion de programmes, toujours de chez Omneon qui peuvent jouer 44 programmes en simultané et ont une capacité de 1300 heures de programmes. Deux autres serveurs de diffusion Omneon sont dédiés à la publicité et aux annonces, avec 262 heures de capacité. Ces six serveurs sont exploités par la régie finale que nous verrons plus loin. Il y a aussi un serveur dédié au sous-titrage.
Un stockage de longue durée pour l’archivage des contenus qui ne sont plus diffusés est réalisé sur des serveurs IBM avec des cartouches Sony LTO de 80 Go et 30000 heures de capacité. En cas de rediffusion, il est plus simple de puiser dans ces archives que de renumériser le support d’origine, même s’il s’agit d’une nouvelle négociation de droits de passage.
Certification des contenus
Ce n’est pas le tout de numériser et d’archiver les contenus provenant de l’extérieur. Il faut aussi les “certifier”, c’est-à-dire, vérifier leur qualité technique et aussi la conformité de leur contenu. Pour ce faire, le groupe a mis en place huit salles de visionnage des contenus : séries, films, publicités. Ce processus est grandement simplifié grâce à la numérisation complète des contenus, qui évite de faire circuler des supports physiques (K7 HD-CAM). Les postes de certification accèdent aux contenus sur les serveur media grid d’Omneon.
Les contenus sont visionnés intégralement et en temps réel. L’image comme le son (5.1 ou stéréo) sont patiemment vérifiés. La conformité “parentale” est vérifiée en amont de ce processus mais des alertes peuvent être signalées aux équipes de programmation en cas de mauvaise surprise. Une fois certifiés les contenus sont dits “PAD” pour “prêts à diffuser” et archivés au moyen du logiciel Diva de la société française FrontPorch.
Production de contenus pour la TV de rattrapage
La multiplication des supports de diffusion de M6 replay a nécessité de mettre en place une véritable architecture de fabrication de ces contenus, pilotée par le logiciel Phoenix Labcast de la société française MBT. Celui-ci déclenche des batchs de conversion de plusieurs étapes. Une conversion à partir du format de numérisation, utilisé pour la diffusion broadcast en 1080i, est réalisée dans une douzaine de formats d’exports différents.. Il existe un format de diffusion IPTV différent pour chaque FAI avec des variantes pour l’audio (AAC ou MPEG) et pour la vidéo (H264 pour la HD et MPEG2 pour la SD). Et puis ensuite, les formats adaptés à la diffusion sur Internet, pour les tablettes et smartphones (iPad et iPhone en premier) et les TV connectées. L’ensemble de l’activité numérisation et de conversion est piloté dans une salle de contrôle (ci-dessous).
La conversion est gérée sur deux serveurs dédiés d’Omeon, capables de traiter 30 conversions simultanément et de stocker 900 heures de vidéo. L’architecture de redondance est située au niveau des serveurs, où les données sont dupliquées, plutôt que des disques en RAID.
Suite…
Dans le post suivant, nous irons faire un tour dans les studios et dans leur régie associée.
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Merci de ces infos ultra pro, précis et utiles. En tant qu’étudiante étrangère en production audiovisuelle à Ina, j’ai appris beaucoup de chose sur la technologie de la chaîne télé française en lisant votre blog. Merci et bonne contiuation.
Nicole
Waw ! Franchement, merci d’expliquer un peu tout ça… C’est super intéressant de comprendre ce qui se passe derrière =)