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Le bruit dans les réseaux sociaux

Post de Olivier Ezratty du 6 juillet 2011 - Tags : Blogs,Facebook,Google,Internet,Sociologie | 15 Comments

Petite réflexion libre pour les vacances qui démarrent…

Il y a quelques dizaines d’années, lorsque l’on choisissait les éléments d’une chaine hifi et notamment son amplificateur analogique, on était très sensible à la notion de rapport signal/bruit qui était exprimée en décibels. Elle décrivait le rapport qui existait entre le signal audio qui était amplifié, transmis ou restitué par rapport au bruit de fond généré par toute l’électronique. On aboutissait à des ratios situés entre 65db et 90db selon les cas. Le signal était bien supérieur au bruit ! 3db équivalent à un doublement en terme de puissance ! Le passage au numérique pour à la fois les outils des studios d’enregistrement et avec le CD audio ont permis de se débarrasser d’une grande partie du bruit analogique de la hifi. On a ainsi pu profiter de la dynamique du son, pour profiter de concerts de Brückner ou Haendel sans “shhhhhh”. Côté musique de djeunes, la compression de la dynamique a au contraire éliminé tout silence et toute dynamique dans l’audio. Tandis que les facultés auditives déclinantes des anciennes générations les empêchent d’entendre le “shhhhh” que la technique s’efforçait auparavant de réduire.

Denon AVR 5308

Dans l’univers des communications électroniques et notamment dans les réseaux sociaux, le ratio du bruit est complètement inversé. Il y a bien plus de bruit que de signal utile ! Le phénomène a commencé par se manifester avec la messagerie. Dans les entreprises, le bruit provient des collaborateurs qui envoient des mails à bien trop de monde “pour se couvrir”. Au point qu’il existe des chartes de l’usage de l’email dans certaines d’entre elles pour limiter le spam interne aux entreprises. Dans le grand public, le bruit se manifeste surtout par le spam non commercial, qui n’est jamais entièrement filtré par les systèmes anti-spam. Par certains côtés, les grands réseaux sociaux tels que Facebook fonctionnent tels de gigantesques machines à spam. Loin d’avoir tué l’email, elles l’ont même plutôt engorgé !

Inversion du bruit entre hifi et reseaux sociaux

C’est dans les réseaux sociaux que le phénomène de génération de “bruit” prend donc toute son ampleur, en en particulier dans Twitter, Facebook et le dernier né Google+. Combien de messages reçus dans Twitter via les personnes que vous suivez sont pertinents pour vous ? Combien d’informations sur votre wall Facebook vous concernent vraiment ? Le phénomène est amplifié par le côté polymorphe de ces réseaux sociaux. A force de vouloir y faire trop de choses, on se retrouve dans des situations absurdes.

Dans Facebook, on a ainsi des “amis” qui n’en sont pas toujours vraiment à force de répondre positivement aux invitations que l’on reçoit par email qui encombrent votre boite aux lettres. On ne dit pas non pour ne pas vexer ses connaissances, surtout professionnelles. Le niveau d’intimité que l’on a avec elles est évidemment très variable. L’outil ne permet pas réellement de classifier le niveau de relation avec ses amis dans le filtrage des informations qu’ils émettent. Google+ a résolu ce point mais micro-manager sa liste d’amis deviendra vite un casse-tête car le degré de proximité avec les gens que l’on rencontre évolue en permanence. Nos “amis” dans Facebook n’ont évidemment pas du tout les mêmes centres d’intérêt que vous, et pourtant, la plateforme – et d’autres réseaux sociaux – se veulent utiles dans la notion de “recommandation”. Résultat : les recommandations des “amis” de vos réseaux sociaux sont similaires à celles qui viendraient d’un panel TNS-Nielsen dès que vous avez quelques centaines d’amis. A savoir qu’elles ne sont pas plus pertinentes que n’importe quel TOP 50 pour ce qui est de la recommandation de contenus. Sauf à être extrêmement rigoureux dans le choix de ses amis dans les réseaux sociaux ou à hyper segmenter les offres, notamment via la géolocalisation. Le bruit dans Facebook est accentué par un autre phénomène : les centaines de milliers d’applications qui y pullulent et déclenchent leur propre méta-spam ou méta-bruit, en générant invitations à gogo, elles aussi, agents d’encombrement de vos boites d’emails.

Dans Twitter, le bruit est à l’avenant. On y envoie des messages à une seule personne en mettant dans les faits en copie tous les utilisateurs qui vous suivent. C’est le spam et le bruit assuré pour ces derniers ! Le comble du bruit étant le message “Il faut me suivre pour que je puisse t’envoyer un DM”, alors qu’un simple email ferait l’affaire sans générer autant de dérangements pour les autres. Il y a aussi ces “threads” de conversation dont on a parfois du mal à saisir le contexte et qui évidemment relèvent du bruit pour la plupart des gens qui vous suivent (exemples récents ci-dessous qui ont alimenté le compte Twitter d’environ 6000 personnes !).

Twitter conversation absurde

Reponses à un Tweet

Un même article va être retwitté plusieurs fois par les personnes que vous suivez, mais elles ne les ont pas forcément lus. Et je ne connais pas de client Twitter qui permette d’éliminer automatiquement ce bruit. Cela reste à inventer. Certains utilisateurs se complaisent à baigner dans le bruit. Exemple extrême : Robert Scoble (@scobleizer) qui est suivi par 189K personnes et en suit lui-même plus de 32000 ! Comment fait-il ? En utilisant des filtres dans son client Twitter. Il trie le bruit qu’il reçoit avec plein de tamis, comme un chercheur d’or du Klondike, de peur de louper quelque chose. Pour sa part, Loic Lemeur (@Loic) est plus raisonnable avec 64K suiveurs, mais seulement 1350 personnes suivies, ce qui génère toutefois pas mal de bruit en réception pour ce qui le concerne ! Ce qui donne un ratio de suivis/suiveurs de 2%. Pour ma part, il est de 4%. C’est le lot commun des “broadcasters”, ceux qui génèrent le bruit pour les autres soit du fait de leur notoriété soit du fait de l’intérêt de leur bruit, soit les deux ! Twitter vous permet même de consulter le bruit que je reçois ! Un bruit qui peut être mis en page via les services tels que Paper.li dont l’inutilité frise l’absurde tellement le méta-bruit qu’ils génèrent ne sert à rien malgré une mise en page meilleure que celle des clients Twitter usuels !

Robert Scoble Twitter account

Sur YouTube, on est facilement amené à consulter des vidéos de qualité plus que variable. C’est une autre forme de bruit, qualifiée d’UGC. Il y a aussi le bruit généré par les commentaires dans les articles de news ou de blogs. Dans les supports Internet à fort trafic, plus la bêtise humaine peut s’exposer… plus elle le fait !

Le bruit n’est cependant pas l’apanage des réseaux sociaux. Google Search génère ainsi son lot de bruit à chaque recherche. Il parait que sur Bing, il y a moins de bruit. Mais c’est normal : comme il y a moins d’utilisateurs, il y a moins de sites qui y font du SEO (Search Engine Optimisation). D’ailleurs, malgré le bruit sur Google Search, rares sont les utilisateurs qui vont plus loin que les cinq premiers résultats pour affiner leurs recherches.

Là-dessus interviennent des outils dits de “curation” pour faire le ménage dans le grand bazar du web ou tenter de l’organiser. La curation porte souvent sur les informations sources plus que sur le bruit directement engendré par les réseaux sociaux. C’est le cas de l’agrégation de news par thème chez Wikio, de l’organisation plus rationnelle que permet un Pearltrees ou de la mise en valeur des meilleurs commentaires dans Rue89 où l’on vote sur les meilleurs commentaires. Le tout, non pas pour trouver ce que l’on cherche précisément à un moment donné, une tâche plutôt dévolue aux moteurs de recherche, mais pour identifier ce qui est le plus pertinent dans le bruit ambiant, que cela nous intéresse ou non. Au lieu de boire une rivière, cela permet de boire dans un ruisseau. Quoique le ruisseau reste dur à avaler avec son débit de quelques hectolitres à la seconde. Faire la curation du web, de manière automatique comme manuelle, c’est vider le tonneau des Danaïdes ou bien faire bouillir l’océan, au choix.

Pearltrees

Le bruit semble s’être sensiblement amplifié depuis que les auteurs de blogs les ont délaissés pour aller alimenter les réseaux sociaux. Ils sont passés de la page (Blog) au paragraphe (Facebook) ou à la phrase (Twitter), le SMS étant juste derrière mais heureusement pas “one to many” dans sa forme de diffusion usuelle. Je n’ai pas d’étude sous la main le prouvant, mais cela donne l’impression qu’il y a moins de producteurs de contenus et plus de générateurs de gazouillis (les tweets en français…). Au point que cela renforce paradoxalement le rôle des médias traditionnels, ou tout du moins leur version “en ligne”. Mais le filtre mental que l’on se construit pour échapper au bruit “social” accentue la tendance au zapping dans la consommation des contenus et contribue à réduire l’attention. Cela génère ce que l’on appelle l’Attention Deficit Disorder, un comportement considéré comme pouvant être pathologique pour les enfants dans le système scolaire traditionnel.

Comme l’email, les réseaux sociaux semblent combler un vide relationnel et occupent le temps de leurs utilisateurs. J’ai parfois l’impression que cela occupe surtout les gens qui n’ont rien à faire, ou tout du moins les gens lorsqu’ils n’ont pas grand-chose à faire, comme dans les transports en commun. Ce bruit ne constitue visiblement pas tant une gêne que cela. Il procure même une sorte de réconfort dans un monde où la concentration de la population dans les villes génère paradoxalement beaucoup de solitudes. Dans le métro, il est bien rare de démarrer une conversation avec son voisin pour savoir ce qu’il fait dans la vie alors que l’on peut discuter dans les réseaux sociaux avec un tas d’inconnus. Dans les campagnes, on utilise moins les réseaux sociaux, et pas seulement parce que l’ADSL y est difficile d’accès ! Conséquence pernicieuse : la préférence à la consultation du “bruit” par rapport à la lecture linéaire “à l’ancienne” (livres, revues, journaux).

Someone_Is_Wrong_On_The_Internet

L’autre conséquence du bruit se situe dans l’usage des réseaux sociaux par les marques. Comme les gens passent leur temps à consommer du bruit dans les réseaux sociaux, les marquent se disent : bien, on va aussi en profiter pour faire du bruit là où les gens écoutent le bruit. Et cela contribue à amplifier la cacophonie. Il parait qu’une marque se doit maintenant d’être sur Facebook pour exister et pour entretenir une relation avec ses consommateurs. Mais l’opportunité d’y être vu ne me semble pas plus élevée que dans le bruit généré par toute autre forme de publicité ou communication puisque presque tout le monde y fait du bruit (affichage, TV, radio, presse écrite). Et si l’interaction avec les vrais gens de la marque est possible, elle est quelque peu illusoire dans les faits et n’est pas très “scalable”. Ce n’est pas parce qu’un Loic Lemeur obtient une réponse rapide d’Air France lorsqu’il signale un problème sur Twitter que tous les voyageurs sont ainsi traités ! Et puis, on n’a pas forcément envie d’être en “relation” avec toutes les marques que l’on consomme et de se noyer dans le bruit qu’elles génèrent pour vous vendre plein de trucs et vous fidéliser.

Cette consommation du bruit des réseaux sociaux est très variable et assez générationnelle. Le phénomène est évidemment accentué chez les plus jeunes utilisateurs de ces outils. Ils ont reproduit le bruit de la cour de récréation dans les réseaux sociaux. Et aussi le comportement social marginalisant ceux qui restent seuls sur leur banc (les producteurs ?). Résultat : même les producteurs dont je fais partie se mettent à faire du bruit dans les réseaux sociaux, et en frisant parfois la schizophrénie entre le souhait d’apporter une valeur ajoutée dans le retweet et celui de la civilité consistant à citer les sources du lien ou à ajouter un laconique mais synthétique “+1” de plussoiement. Les djeunes dits “génération Y” vivent dans leur wall Facebook au point que l’envoi d’un email à leur intention aura moins d’impact qu’un post sur Facebook. Les moins djeunes sont plus passifs qu’actifs dans Facebook et Twitter. Ils reçoivent les demandes d’amis par email et les acceptent, mais ne consultent pas régulièrement leur wall. Ils se gardent bien d’y publier des informations sur leur vie privée, notamment dans leur profil. Mais ces utilisateurs génèrent des pages vues tous les jours qui alimentent les statistiques d’usage mirobolantes de Facebook. Dans Twitter, ce sont les “listeners” qui suivent les autres mais n’émettent pas ou quasiment pas de messages.

The dumbest generation

Alors, Google+ est-il la solution ? Je suis dedans depuis une semaine, mais sans y passer beaucoup de temps. Le “wall” de l’outil me semble aussi bruité que celui de Facebook malgré le tri que l’on peut faire dans ses “amis”. Et le bruit ne fera qu’augmenter au gré de l’ajout d’Internautes dans l’outil. Cela reste une machine à générer du bruit. Et cumuler ce bruit avec son email, ses photos et ses recherches dans la même société ne m’inspire pas vraiment confiance. Il vaut mieux diviser ses données pour régner en tant qu’utilisateur ! Même si on ne règne pas sur grand-chose.

Le monde est aussi trop injuste : ceux des réseaux sociaux qui se voudraient à taille humaine et limiteraient le nombre d’amis que l’on pourrait avoir à un niveau raisonnable ont peu de chances d’émerger. La raison est simple : leur viralité est plus faible que les réseaux “extensifs” type Facebook et il n’y a pas de place pour un grand nombre de ces réseaux dans le temps disponible des utilisateurs. Les réseaux spécialisés ont aussi beaucoup de mal à émerger car il leur faut reconstituer leur “graphe social”. Au point qu’il est parait-il plus censé de créer une application dans Facebook qu’un réseau avec son propre graphe social.

Alors, où vais-je en venir ? A crier “silence !” ? A demander l’application à l’échelle de l’Internet d’une charte de bonne conduite des utilisateurs dans les réseaux sociaux, à l’instar des chartes d’utilisation d’email des entreprises ? A participer aux mouvements “alter” qui luttent contre le bruit en se déconnectant de Facebook ou en instituant des “journées sans connectivité” comme Tiffany Shlain ? Pas vraiment.

Il faut juste accepter de vivre dans ce bruit ambiant mais y porter toutefois un regard quelque peu distant. Notamment pour pouvoir prendre du recul sur le succès de sociétés comme Facebook, qui est peut-être aussi éphémère que l’a été celui de MySpace il y a cinq ans, sans compter celui des Skyrock/Skyblogs. Et aussi pour faire attention à ne pas céder à la facilité des relations superficielles que permettent les réseaux sociaux.

RRR

 
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