L’écosystème israélien de l’innovation 1/3
Post de Olivier Ezratty du 4 juin 2010 - Tags : Economie,Entrepreneuriat,France,Innovation,Startups | 6 Comments
L’écosystème de l’innovation high-tech israélien est souvent érigé comme exemple à suivre vu d’Europe. Le pays conjugue en effet de nombreux superlatifs : la high-tech représente les trois quarts des exportations du pays, sa densité de startups par habitant est sans équivalent au monde, le financement des startups est voisin de celui de pays européens douze fois plus grands, les succès à la pelle de la taille d’un Business Objects, une quantité impressionnante de startups cotés au Nasdaq (numéro trois mondial après les US et la Chine), des universités aux premiers rangs mondiaux, etc. De quoi faire des envieux dans la vieille Europe !
Mais les mécanismes internes de ce succès ne sont pas forcément bien connus ni bien compris dans l’écosystème français de l’innovation. Comme dans la Silicon Valley, ces succès résultent d’une longue histoire, d’un environnement socio-culturel très particulier et de divers mécanismes économiques.
Suite à un voyage (en solo) en Israël à la rencontre d’entrepreneurs, d’investisseurs et d’industriels, je me propose d’aider à décrypter tout cela et surtout à identifier ceux des facteurs de succès d’Israël qui pourraient d’une manière ou d’une autre être importés en France. Un peu dans la logique de mon voyage de 2007 dans la Silicon Valley ou en Corée et au Japon en 2009.
Ce compte-rendu est découpé en cinq parties :
Il s’appuie sur diverses rencontres sur place, dont notamment Karen Gordon (de la Mission Economique rattachée à l’Ambassade de France), Bernard Nabet (Crédit Agricole Private Equity), Yosi Glick (de la startup Jinni), Ido Wiesenberg (de la startup Tvinci) et de Zack Weisberg (de Microsoft R&D à Herzliya) et Jérémie Berrebi (Kima Venture), que je remercie tous au passage pour leur accueil.
Je complèterai tout cela avec un point spécifique sur l’écosystème israélien de la télévision numérique, l’autre objet de ce voyage.
La culture locale
Israël est un petit pays de 7,3 millions d’habitants dont 1,5 millions d’arabes israéliens. Son histoire est bien connue : le sionisme de Herzl, le rôle de la Shoah, la création de l’Etat en 1948, les nombreuses guerres et la difficile question de la création d’un Etat palestinien. S’y ajoutent le Hamas, le Hezbollah, l’Iran et tout le toutim. Le pays est géographiquement isolé par rapport à l’ensemble de ses voisins. Son sort économique est dont lié aux zones géographiques non limitrophes.
Le pays dispose aussi de ressources naturelles limitées, notamment en eau. L’économie locale s’est développée initialement avec l’agriculture, l’industrie et le le tourisme. La high-tech a pris le relai de la croissance dans les années 80 et 90. C’est en effet un secteur d’activité qui ne nécessite pas ou peu de ressources naturelles, un peu comme en Corée du Sud, à Taïwan ou Singapour. Et c’est surtout un business d’exportations, là où le marché intérieur est insignifiant à l’échelle mondiale.
Les adultes israéliens que l’on trouve dans la high-tech ont plusieurs origines :
Il existe aussi une immigration du travail significative dans le pays, essentiellement d’origine asiatique (Philippines, Thaïlande) avec une spécialiste de ces différents pays dans les emplois à faible qualification qui ne nous concernent pas ici.
Le contexte du pays pèse lourd sur le psyché local. Les israéliens partagent des éléments de culture voisins des américains, surtout de la côté ouest, mais bien plus affirmés. Une ambition forte qui pousse à attaquer les marchés les plus prometteurs comme celui des USA. Un fort instinct de survie, Israël étant l’un des rares pays au monde que certains de ses voisins souhaitent détruire. Un côté un peu têtes brulées. Une habitude à prendre des risques, sans avoir peur de l’échec. Une grande rapidité d’action. Pas de tabou social de l’argent et de la réussite économique. L’israélien est aussi plutôt tenace et dur en affaires, ce peut être perçu négativement en Europe et même aux USA. Il est aussi pragmatique et sait respecter les règles du marché. Un jeune CEO accepte ainsi facilement de devenir CTO ou Chief Scientist de la société qu’il a créé sans faire entrer l’égo dans l’équation.
L’autre élément notable est la diversité culturelle et linguistique. Les liens avec la diaspora juive, l’origine variée des immigrants récents ou anciens font du pays un petit concentré du monde assez fascinant. Il ne doit pas y en avoir autant où le nombre de langues parlées est si varié sur la majorité de la population. C’est un élément de culture qui permet au pays de rester très ouvert sur le monde.
Enfin, il faut rappeler le rôle du service militaire obligatoire pour les hommes comme pour les femmes. Dans l’équivalent de feu le service scientifique du contingent français (avant 1995), l’armée identifie les jeunes les plus talentueux pour les orienter vers les services de renseignement. L’un d’entre eux, le service 802, est une véritable référence car c’est là que sont passés les créateurs de CheckPoint, Verint, Comverse ou Amdocs. C’est l’équivalent israéliens de la NSA, mais avec beaucoup moins de moyens. Donc, l’obligation d’être “smart” pour remplir les missions. Ceci a été très bien documenté dans l’excellent livre “Spies Inc” sorti en 2004 (couverture ci-dessous). D’une manière générale, le service militaire de trois ans forme de plusieurs manières : à résister au stress, à travailler en équipe, à prendre des décisions rapidement et à survivre en environnement difficile. Sachant que rien n’y est parfait, de nombreux épisodes récents montrant les limites du modèle. En tout cas, l’armée est perçue comme un véritable “firewall” du pays. D’où d’ailleurs, une parenté avec la force technologique dans la sécurité informatique, là où le virtuel remplace le réel.
Ce qui est reproductible en France
A la lecture de ces lignes, vous devez vous dire : pas grand chose ! Les pays européens n’aspirent pas du tout à se retrouver dans la situation géopolitique d’Israël.
Je vois cependant deux pistes à creuser :
Une intervention publique pragmatique
Comme dans tous les pays qui cherchent à développer leur économie, l’Etat joue un rôle structurant. Instigateur (par l’investissement), incitateur (pas la fiscalité), voire inspirateur (sur les domaines où investir) et avec une vision aussi long terme que possible.
75% des exportations du pays se situent dans les secteurs de la high-tech (surtout : numérique, santé et armement). Il n’est pas étonnant que l’on trouve ainsi un “Chief Scientist” dans chaque Ministère, celui du Ministère de l’Industrie et du Commerce ayant le rôle le plus important (Eli Opper, ci-dessous, bientôt remplacé après 8 années de service), étant en charge de définir les priorités sectorielles du pays (par exemple, les nanotechnologies).
Les mécanismes publics se sont amplifiés dans les années 90 avec l’immigration russe consécutive à la fin de l’empire soviétique. Comme de nombreux immigrants avaient un niveau de formation très élevé, il fallait trouver de quoi les occuper ! Le tout s’appuie sur des universités israéliennes d’un très bon niveau et très focalisées dans les “sciences dures”. On trouve ainsi 7 universités israéliennes dans le classement dit de Shanghai de 2009, à comparer aux 28 françaises.
Au menu de l’intervention de l’Etat et de l’OCS (Office of the Chief Scientist), nous avons donc :
Au bout du compte, le pays se retrouve avec une R&D civile très élevée (4,7% du PIB, hors militaire), le secteur privé dépassant de loin le secteur public et pas le contraire comme en France. Le tout, grâce à une approche très pragmatique, focalisée sur des technologies ayant de larges débouchés de marchés à l’échelle mondiale et à des partenariats publics/privés originaux, certains étant d’ailleurs bilatéraux avec d’autres pays dont la France.
Ce qui est reproductible en France
Il y en a des choses à changer au niveau de l’Etat pour développer l’innovation et la compétitivité industrielle et Israël n’est pas la seule source d’inspiration possible ! Ceci étant, voici quelques pistes :
Dans les épisodes suivants, je traiterai du financement privé, des liens avec les USA et des infrastructures du marché intérieur.
Lien du blog Opinions Libres : https://www.oezratty.net/wordpress
Lien de l'article : https://www.oezratty.net/wordpress/2010/ecosysteme-israelien-innovation-1/
Cliquez ici pour imprimer
(cc) Olivier Ezratty - http://www.oezratty.net