Les chamboulements en cours du financement de l’innovation
Post de Olivier Ezratty du 8 avril 2010 - Tags : Entrepreneuriat,France,Innovation,Politique,Startups | 26 Comments
Une petite révolution silencieuse se déroule sous nos yeux dans le financement de l’innovation et des startups en France, sous le coup de plusieurs modifications de comportement des acteurs tout comme de l’environnement fiscal et régulatoire.
Elle a déjà un impact sur la manière dont les startups doivent s’y prendre pour lever des fonds dans leurs différents tours de financement. Mais ce n’est peut-être que le début d’un changement encore plus profond comme nous le verrons à la fin de cet article.
Voici les cinq points que je vais traiter ici :
Les menaces qui pèsent sur les sociétés de capital risque
L’indicateur Chausson Finance H2 2009 montre une baisse séquentielle de –19% des investissements dans le capital risque français sur le second semestre 2009 en France. En 2009, ces investissements ont baissé de 11% par rapport à 2008. C’est une décrue qui n’est pas catastrophique puisqu’elle nous ramène aux niveaux de 2006.
De son côté, la plus officielle AFIC a publié fin mars 2010 une étude sur la situation du secteur en 2009. Elle intègre l’ensemble des composantes du capital-risque : de l’amorçage jusqu’aux LBO et retournements. Les investissements seraient en baisse de 59% sur 2009 vs 2008 avec une décrue concentrée dans l’aval du cycle de vie des entreprises, le capital-transmission (-78,3%) et dans l’amont, le capital-risque (-22,6%). Entre les deux, le capital développement a cru de 8,8% à 1,8Md€. Cette étape du financement correspond aux troisièmes tours de financement des startups et concerne donc peu de startups, celles qui ont déjà fait leurs preuves et sont dans une phase de croissance forte.
Ce phénomène tout aussi marqué aux USA avec –36,5% d’investissements en 2009 vs 2008 dans l’ensemble du venture capital (ci-dessous, données NVCA, l’équivalent américain de l’AFIC en France).
C’est dans les levées de fonds des sociétés d’investissement que la crise couve. L’AFIC annonce une baisse de 71% des capitaux levés en 2009 par ses membres (à 3,7Md€). Là encore, la baisse est concentrée dans le capital-transmission tandis que le capital-risque et le capital-développement auraient été préservés. Ces derniers auraient été fortement soutenus par les dispositions fiscales de la loi TEPA ayant permis aux FIP et FCPI de lever 1,1Md€ auprès de personnes physiques, souvent les redevables de l’ISF.
Alors, tout va bien ? Non, car deux menaces pèsent sur ces levées de fonds dans les années à venir :
L’impact exact de ces deux facteurs reste cependant difficile à évaluer.
Tout ceci est complété par une remise en cause du mode de fonctionnement du capital risque en France. Ses rendements sont très décevants et ne sont tolérés par les investisseurs privés que grâce à la carotte fiscale associée. L’AFIC annonce ainsi un rendement de 1,3% pour le capital risque en 2008 (performance nette à long terme), le taux le plus faible des composantes du capital investissement. Et surtout, un taux inférieur à celui du Livret A sur la même période ! Dans le même temps, le capital risque américain surperforme les indices boursiers sur les 10 dernières années. C’est étroitement lié au faible développement international des startups françaises du numérique. Elles n’atteignent pas la taille critique assez vite et, quand il y a une sortie positive, elle est de moindre valeur que chez nos homologues américains. C’est un phénomène qui touche d’ailleurs la plupart des pays européens.
Conséquences de tout cela ? L’appel au capital risque sera plus difficile pour les startups dans les années qui viennent. Les tickets moyens seront moins importants au début, et plus concentrés ensuite, dans le capital développement.
La baisse relative des investissements dans les secteurs du numérique
L’autre transformation en cours concerne les secteurs privilégiés par le capital risque. Les secteurs du logiciel, de l’Internet, de l’ecommerce et des télécoms semblent affectés d’une baisse, amorcée depuis quelques années en tendance longue (le graphe ci-dessous exploite les données de l’indicateur semestriel de Chausson Finance).
Cela semble provenir en grande partie d’une réallocation des investissements vers les cleantechs. Et les cleantechs ne représentent que 10,5% du total des investissements des VC en France pour une moyenne mondiale de 24% (les deux tiers étant aux USA).
Le poids des investissements dans les cleantechs devrait en toute logique continuer de croitre, et probablement encore au détriment du numérique et notamment des logiciels, même si le total Internet+ecommerce+logiciel semble rester stable.
Il faut dire que l’innovation dans le numérique peut avoir tendance à user les nerfs des investisseurs. Encore trop de projets Internet hasardeux financés par le mirage publicitaire, énormément de projets “me-too”, des projets situés dans des niches trop étroites et – c’est dur à dire – un manque de savoir faire et de professionnalisme des entrepreneurs qui se lancent. Evitez donc ces différents écueils si vous souhaitez avoir une chance de faire financer votre projet par le capital risque.
Le rôle du Grand Emprunt dans le numérique
Ces apports seront focalisés sur la R&D collaborative comme le sont généralement les apports de l’Etat dans l’innovation.
Nous avions vu dans un autre post que ces investissements seraient significatifs dans le numérique. Les 1500m€ d’investissements dans les “usages”, ceux qui vont aller en partie aux startups, représentent une manne d’environ 300m€ par an si on l’étale sur 5 ans. C’est à comparer aux 375m€ de capital risque qui sont allés au numérique en 2009.
Bien entendu, la part de ces aides/prêts/avances qui ira aux grandes entreprises du secteur sera significative. Et elles seront sélectives comme l’a annoncé NKM fin mars 2010, visiblement plus que pour l’appel à projet Serious gaming / Web 2.0 de 2009 qui ressemblait fort à un bon galop d’essai.
L’Etat souhaite visiblement se comporter comme un investisseur espérant un retour économique plutôt que d’un distributeur d’aides et subventions. René Ricol, le Commissaire au Grand Emprunt, insiste notamment sur l’intégration des projets dans des “écosystèmes”. Une bien bonne idée en soi et qui mériterait d’être précisée. Il faudrait éviter de concevoir ces écosystèmes uniquement à l’échelon local (régions et autres pôles de compétitivité) mais à l’échelle industrielle, sectorielle et mondiale. L’autre intérêt du Grand Emprunt est de permettre le financement de projets transversaux au numérique et à d’autres domaines d’activité et en particulier dans les écotechnologies, comme le “green IT” (250m€) mais aussi dans les transports.
Si ces financements divers sont forts séduisants et attirants, il faut en tout cas se garder de s’éloigner des couples produits-marchés les plus solvables de votre business plan lorsque vous vous investissez pour en profiter.
L’émergence de nouvelles structures de business angels
Nous l’avions déjà vu dans ce post sur Xavier Niel et Marc Simoncini. Ces structures ont ceci d’intéressant qu’ils peuvent mutualiser des montants qui commencent à être significatifs (notamment dans le cas de Marc Simoncini), qu’ils couvrent le ventre mou de l’amorçage du financement des startups avec des tickets entre 100K€ et 1m€, et qu’ils sont gérés le plus souvent par des entrepreneurs expérimentés à même de transmettre un véritable savoir faire et ce que l’on appelle du “smart money” aux entrepreneurs. Il semble par ailleurs que les initiatives récentes provoquent un effet d’émulation entre les gros business angels.
Tout cela est très positf pour le paysage français de l’investissement dans les startups. Le phénomène devrait être pérenne par rapport à ce qui va suivre concernant l’ISF car les motivations de ces investissements ne sont pas fiscales pour l’essentiel. Reste à savoir si il pourra devenir significatif en masse d’investissements.
Vers une suppression de l’ISF ?
Les grands changements à venir concernent les évolutions assez imprévisibles de la fiscalité. Le gouvernement et le législateur s’en donnent à cœur joie chaque année pour changer les règles. Une spécialité bien française !
Le changement le plus profond aussi bien qu’inattendu et impactant pourrait bien être la suppression dans quelques années de l’ISF (voir cette étude intéressante sur le rationnel économique de la “wealth tax”, trouvée via Wikipedia). Il pourrait devenir une victime collatérale du grand rafus autour du “bouclier fiscal”. Ce bouclier a été créé à l’origine (sous Rocard en 1989…) pour éviter certains effets indésirables de l’ISF : surimposition de familles ayant un patrimoine mais pas assez de revenus pour le payer, conséquences sur le démembrement de certains patrimoines, menant parfois à des acquisitions par des investisseurs ou fortunes étrangers. Il aurait été plus simple d’exonérer la résidence principale de la base de calcul de l’ISF, mais l’Etat a préféré l’usine à gaz du bouclier fiscal, depuis 21 ans maintenant !
A force de l’avoir diabolisé dans l’opinion (surtout lorsqu’il est passé à 50% CSG+RDS comprise en 2007), les politiques de droite et même de gauche admettent que pour supprimer (entièrement) ce bouclier fiscal honni, il faudrait se débarrasser au passage de l’ISF et le remplacer par une augmentation des tranches hautes de l’impôt sur le revenu et avec une réduction des fameuses niches fiscales bénéficiant aux contribuables les plus aisés. Les déclarations du PS à ce sujet sont tout bonnement étonnantes et tout autant contradictoires car Benoit Hamon parle de de “fusion de l’ISF dans un impôt plus large qui serait un impôt sur le patrimoine” (au lieu de “sur les revenus du patrimoine”). En effet, en français, au lieu de “supprimer le machin” cela veut dire “fusionner le machin dans un bidule identique au machin et avec un nom différent mais faisant la même chose, voire pire” ! Un élargissement ? Cela signifierait d’intégrer dans l’assiette de cet “impôt sur la patrimoine” des éléments qui échappent aujourd’hui à l’ISF : les oeuvres d’art et les parts détenues dans sa propre entreprise (sous certaines conditions). A moins que Hamon confonde patrimoine et revenus. C’en est à se demander si le boucan autour du bouclier fiscal ne serait pas une manoeuvre habile pour supprimer l’ISF alors qu’autrement, il aurait été impossible, politiquement, de la faire ! Mais on n’y est pas encore.
Nonobstant les nombreux aléas politiques pouvant mener à une suppression sous sa forme actuelle de l’ISF, son impact serait significatif sur le financement des startups en France. Ce sont les effets de la disparition des nombreuses exonérations associées à l’ISF qui seraient en effet assez désastreuses. C’est en effet la loi TEPA qui a accéléré l’apport des business angels et autres investisseurs privés dans le financement de l’innovation. Cela représente plus d’un milliard d’Euros qui sont réinjectés chaque année dans les entreprises sous une forme ou une autre (FCPI, FCPR, FIP, investissement direct, holding ou fond ISF). Certes, pas seulement dans les startups et l’innovation car les entreprises familiales ou simplement celles des assujettis à l’ISF sont aussi bénéficiaires de ces incitations fiscales. Mais tout de même une bonne proportion… qui reste à déterminer !
Pour éviter de créer un trop gros déséquilibre du financement des PME innovantes, la suppression de l’ISF devrait s’accompagner d’un transfert d’une partie des exonérations d’ISF vers des exonérations d’impôt sur le revenu. Elles existent déjà (25% d’IR en moins pour ce qui concerne la part des FCPI non couverte par les exonérations d’ISF) mais pourraient être accompagnées de “capital gains exemptions” comme aux USA (exemption de tout ou partie des plus-values sur la revente des titres d’entreprises non cotées, ou pas…). Ce sont des exonérations plus intelligentes d’un point de vue fiscal car elles portent sur “l’arrivée” de l’investissement plus que sur le “départ”. Le coût budgétaire est nul à court terme, sans pour autant être moins incitatif. On incite à gagner plus sur le long terme plutôt que de perdre moins sur le court terme. Si l’économie va bien, le contribuable y gagne et l’Etat indirectement aussi. De plus, le taux d’exonération d’IR actuel de l’ordre de 25% créé un meilleur effet de levier pour l‘Etat par rapport aux exonérations d’ISF (x4 au lieu de x2 ou x1,3). Reste à trouver des mécanismes qui incitent fiscalement à l’investissement dans l’innovation pour tous les niveaux de revenus et de patrimoines, sans pour autant annuler l’impôt comme c’est parfois le cas aujourd’hui. L’enjeu politique reste en tout cas inchangé : faire accepter des mesures fiscales qui soient efficaces économiquement et justes socialement (ou tout du moins perçues comme telles).
Conclusion
Un bon schéma valant mieux qu’un long discours, voici en résumé le propos de cet article en forme de montagnes russes : certaines sources de financement vont se développer et d’autres décliner plus ou moins fortement, le tout dépendant étroitement des évolutions de la fiscalité.
Et j’ai sûrement oublié d’autres évolutions du financement des startups, notament dans la sphère publique (Oséo, etc)…
Lien du blog Opinions Libres : https://www.oezratty.net/wordpress
Lien de l'article : https://www.oezratty.net/wordpress/2010/chamboulements-financement-innovation/
Cliquez ici pour imprimer
(cc) Olivier Ezratty - http://www.oezratty.net