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Retour de Corée et Japon – politiques de l’innovation

Post de Olivier Ezratty du 27 février 2009 - Tags : Economie,Entrepreneuriat,Innovation,Internet,Logiciels,Politique,Technologie | 13 Comments

Presque une semaine après avoir décanté ce voyage avec Nathalie Kosciusko-Morizet en Corée et au Japon, on peut se demander ce que la Secrétaire d’Etat en a retiré et comment il pourrait infléchir la politique numérique du gouvernement. D’autant plus que François Fillon avait demandé à NKM d’étudier comment le numérique pouvait aider à préparer la sortie de la crise.

Le rôle réel de NKM

Quel est le pouvoir réel de la Secrétaire d’Etat en charge du Numérique ? A ce que j’en comprend, elle a surtout de l’influence et un rôle de coordination comme de gouvernance, mais ni administration ni de budget en propre. Les gros dossiers du numérique sont gérés par Bercy (surtout les aides à l’innovation, la tutelle croisée d’Oséo avec la recherche et la supervision du marché des télécoms), la Culture (avec la fameuse loi HADOPI), l’éducation (l’équipement des écoles), l’enseignement supérieur et la recherche (re-aides à l’innovation, les incubateurs) sans compter les ministère régaliens qui couvrent ce qui touche à la sécurité ou ce qui touche à la santé ou à la e-administration.

Son travail d’influence et de coordination dépend donc de son engagement personnel. Il doit s’appuyer sur une vision forte, une stratégie, un leadership visibles et des relais d’alliés dans la société dite “civile” comme dans le sérail politique, notamment local. NKM a visiblement une vision assez claire de ce qu’elle souhaite pousser dans les usages et les contenus. J’espère qu’elle trouvera le moyen d’associer cette vision à une ébauche de stratégie industrielle pour notre pays.

Echange avec bloggeurs et experts

Mercredi soir 25 février, NKM avait invité à diner rue Saint Dominique à Paris une petite vingtaine de bloggeurs et experts pour faire connaissance et discuter de ses orientations à la lumière de son voyage en Asie. Répartis sur trois tables avec les membres de son cabinet, NKM passait d’une table à l’autre au cours du repas après une introduction d’une douzaine de minutes pour tous. Elle a fait preuve d’une bonne posture d’écoute et souhaite visiblement rencontrer des bloggeurs et autres experts régulièrement. Top la ! Il est critique que NKM prenne le pouls de personnalités indépendantes et pas seulement des nombreux lobbies qui représentent chacun le silo de leur profession.

Son agenda est visiblement bien rempli : télévision numérique terrestre à déployer, télévision mobile à imaginer, créer une loi sur le télétravail. Dans la prospective, elle souhaite intégrer la dimension sociale, impliquer des sociologues et faire de la prospective sur un moins long terme que ce qu’avait lancé Eric Besson (2025) pour la réaligner quelque peu avec les échéances politiques. Nous sentions bien en filigrane la “pollution” de la loi Hadopi pilotée par le Ministère de la Culture. L’assistance est inquiète à juste titre sur son bienfondé, de ses modalités application (la fameuse riposte graduée), sur la différence que la France va créé une fois de plus dans le mauvais sens avec le reste du monde. Mais solidarité gouvernementale oblige, NKM n’y peut pas grand chose et n’en dira rien.

Fred Cavazza a bien commenté ce diner et Natasha Quester-Séméon a réalisé une rapide interview de NKM sur place et publié quelques photos (c’était un peu relâche pour moi ce soir là…). Ils ont tous les deux apprécié la qualité du dialogue avec NKM. Je ne suis plus seul… !

Pour ma part, j’espère surtout qu’elle prendra un jour à bras le corps le dossier de l’écosystème de l’innovation et des startups qui est actuellement malmené.

Une méthode pour l’action gouvernementale

Nous avons vu beaucoup de choses et de personnalités pendant ce voyage en Corée et au Japon. J’en déduis pour ma part trois grandes pistes méthodologiques pour le gouvernement, alimentées par quelques convictions déjà bien ancrées.

Développer notre marché intérieur pour conquérir les marchés extérieurs

Des deux pays que nous avons visités, la Corée est le meilleur modèle. Un dynamisme interne placant le pays dans les premiers usagers du numérique au monde, mais mis au service d’industries fortement exportatrices. La Corée est résolument tournée vers le monde entier alors que le Japon est un peu trop refermé sur lui-même.

Quelles que soit leur forme, les aides publiques à l’innovation devraient encourager nos entreprises à se tourner résolument vers l’extérieur. Cela veut dire que lorsque l’on encourage des usages locaux, il faudrait avoir en tête l’impact industriel et sur nos exportations et encourager la création de produits aussi génériques que possible répondant aux besoins de la commande publique. Et éviter les projets où il y a trop de spécifique et de sur-mesure voire sur des micro-niches de marchés.

Une solution consisterait à transformer certaines des aides à l’innovation en commandes publiques (payées rapidement). C’est une approche courante aux USA, pays connu pour ses gros contrats de R&D avec le privé, surtout dans le complexe militaro-industriel. Il accélère le développement des entreprises là-bas. Alors que nos aides concentrées sur la R&D ne sont pas lancées dans un mode “client-fournisseur” et ne poussent pas assez les startups à être orientées clients et marchés. Si elle en avait le courage, NKM pourrait carrément mettre à plat avec Bercy et le Ministère de la Recherche tout le système des aides à l’innovation qui est devenu un fatras par toujours bien cohérent ni bien équilibré. Même si cela ne touche pas qu’au numérique.

L’extérieur, cela passe aussi par un investissement sérieux et une influence dans la création de standards internationaux, au besoin avec des alliances. Nous n’avons pas comme la Corée et le Japon de gros conglomérats TICs dans le grand public. Nos grands groupes du secteur sont essentiellement les télécoms, les médias et les SSII. Et les industriels que sont Thomson et Alcatel ne sont pas tournés vers le grand public et sont plutôt en déclin. Mais notre tissu de startups ne demande qu’à se développer. Il faut l’aider à vendre et à exporter, pas seulement à faire de la R&D. Et ne pas oublier que le marché US structure le marché occidental à défaut du marché asiatique, qui est plus complexe. Au passage, saluons cette initiative privée, une conférence sur l’export aux USA destinée aux startups qui aura lieu près d’Aix en Provence le 8 avril prochain. Un bon exemple qui devrait être généralisé. Mais dans la mobilité voire la télévision numérique, il peut être cependant judicieux d’orienter nos startups vers des partenariats en Asie. On n’est effectivement pas obligé de mettre tous nos oeufs internationaux dans le panier de l’oncle Sam.

Penser chaines de valeur et écosystèmes

Et ce sont des aspects que les sociétés asiatiques ne semblent pas bien maitriser, surtout dans l’immatériel.

Cela commence par un bon positionnement dans les chaines de valeur, notamment lorsque les marchés s’horizontalisent. En faisant attention à ne pas nous focaliser trop sur les contenus qui sont l’arbre qui cache la forêt des autres business qui sont bien plus profitables ! En Corée comme au Japon, nous avons eu pas mal de discussions qui tournaient sans qu’on le dise explicitement sur la structure horizontale ou verticale du marché. Notamment pour les écrans TV plats équipés d’une liaison Internet et d’un écosystème de contenus et services en ligne. La faiblesse logicielle de l’Asie est notre force, pour l’instant. Nous devons renforcer notre industrie du logiciel, qui est clé dans les chaines de valeur. Et plus généralement, sur les technologies transversales qui couvrent des marchés mondiaux (composants, logiciels d’infrastructure, software as a service). Il faut aussi penser intermédiation, commerce et publicité.

Réussir dans le numérique, c’est aussi bâtir des écosystèmes construits autour de plateformes extensibles. Hormis dans les jeux, les sociétés asiatiques que nous avons rencontrées n’excellent pas de ce point de vue. Cela explique leur faiblesse dans les logiciels. Ceux qui réussissent à l’échelle mondiale ont autour d’eux des écosystèmes bien plus puissants que les contenus et ils sont souvent américains (Google, Microsoft, Oracle, etc). A ce titre, l’intérêt de NKM pour la télévision mobile broadcastée m’interpelle. Cette technologie est sommes toutes classique, sans écosystème riche, notamment dans les logiciels. Elle n’est pas véritablement intégrée avec l’Internet. S’il fallait pousser la télévision mobile, je le ferai bien avec la 3G et la 4G / LTE. Certes, cela pose des problèmes de bande passante, mais cela ferait véritablement avancer l’écosystème avec des nouveaux services.

Améliorer la gouvernance du numérique et des technologies

Que l’on apprécie ou pas les orientations coréennes ou japonaises (dans les robots), force est de constater que leurs gouvernements s’activent pour imprimer une direction stratégique à leur pays et en liaison avec les communautés scientifiques. Les coréens sont particulièrement efficaces, avec des investissements publics modérés couplés à un très fort effet de levier dans le privé. Nos communautés scientifiques, elles sont dans la rue !

ConseilTechnoJapan

Il faudrait créer de véritables espaces de discussion institutionnalisés sur la high-tech au niveau national comme international. Le premier ministre japonais est entouré d’un “Council for Science and Technology Policy” qui influence la politique industrielle de son pays. Est-ce que le pouvoir politique en France a un tel dispositif sérieusement établi ? Il faut faire contribuer les élites de manière un peu plus structurée et pas seulement les lobbies professionnels. Je crois que NKM a bien compris cela.

Enfin, alors que les 154 propositions du plan France Numérique 2012 manquaient clairement de ce sens, le défi pour NKM est finalement de redonner du sens à la stratégie numérique du pays. Quels problèmes souhaite-t-on résoudre ? Quel est le diagnostic ? Quels objectifs se donne-t-on ? Quels choix stratégiques fait-on pour les atteindre ? Comment s’articule l’aspect opérationnel du plan ? Comment cela va changer la vie des gens et aussi notre compétitivité économique ? Le message politique a besoin de se clarifier et d’intégrer plus de pédagogie.

C’est une belle opportunité de faire la différence pour NKM, en espérant que les événements la préserveront suffisamment longtemps à son poste pour construire quelque chose de durable qui survivra à son passage !

RRR

 
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