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Rencontre avec François Drouin, Président d’Oséo

Post de Olivier Ezratty du 16 octobre 2009 - Tags : Entrepreneuriat,France,Startups | 16 Comments

J’ai eu l’occasion de rencontrer en 1/1 François Drouin, le Président d’Oséo le 14 octobre 2009.

C’était une première entrevue à l’initiative de la Direction de la Communication d’Oséo, visiblement suite au post “Alerte – Oséo asphyxie les startups” qui datait de février 2009, et à d’autres écrits de ma part concernant le financement de l’innovation en France. Une occasion pour Oséo d’initialiser des relations avec les bloggeurs, et de corriger certaines erreurs de perception. Il n’est jamais trop tard… même huit mois après !

Logo Oseo

En une heure et quart de discussion, j’ai donc fait connaissance avec le Président d’Oséo qui avait sous les yeux une note préparée par la communication contenant des extraits de mes écrits, certains lui semblant contestables, et d’autres avec lesquels il était plutôt en phase. Mais un abord assez froid tout de même ! Quelle impression bizarre d’être de ce côté du meeting après avoir sévi moi-même comme Directeur Marketing et Communication il y a une dizaine d’années et été impliqué dans la préparation de ce genre de rendez-vous pour “des execs” comme on disait…

On a en tout cas couvert pas mal de sujets que voici. Il en manque sûrement et j’aurai certainement d’autres occasions de traiter des relations Oséo – startups avec d’autres responsables de cette grande maison.

Banque ou aide à l’innovation ?

J’avais évoqué cette perception d’un glissement de valeur vers l’activité “bancaire” au sein d’Oséo dans mon article de février 2009. Une “vieille image” qui n’est pas ou plus justifiée selon François Drouin.

Oséo regroupe trois métiers complémentaires : les aides à ’innovation, le financement des PME et les garanties. Et “accompagner l’innovation reste le métier numéro un d’Oséo”. Avec au passage une compréhension – partagée – du rôle économique de l’innovation : c’est quelque chose que l’on vend et qui génère des emplois. Sinon, “La perception du rôle de banque d’Oséo a peut-être été récemment amplifiée par le plan de relance, qui met l’accent sur les PME et où Oséo joue un rôle important”.

D’un point de vue opérationnel, les équipes d’Oséo sur le terrain sont issues aux 2/3 de la BDPME et au 1/3 de l’ancien ANVAR. D’un autre côté, Oséo consolide de plus en plus de dispositifs d’accompagnement de l’innovation. Cela s’équilibrerait.

Il y a eu ensuite la digestion de l’Agence de l’Innovation Industrielle (AII) début 2008. Elle s’est transformée en programme d’aide au projet d’Innovation Stratégique Industrielle (ISI). Les aides ISI sont focalisées sur les TPE/PME (de moins de 5000 personnes) et sur des projets collaboratifs regroupant au moins deux entreprises. Je n’ai malheureusement pas eu le temps de discuter des aspects de stratégie industrielle liés à ces programmes.

Oséo gère aussi maintenant le Fond Unique Interministériel (FUI) qui alloue les aides de l’Etat aux Pôles de Compétitivité, aides complétées par les régions. Cela représente un peu plus de 200 millions d’euros par an. Et les pôles numériques tirent très bien leur épingle du jeu.

Donc, les interventions d’Oséo se sont accrues à la fois dans sa branche financement et garantie qui relève d’un fonctionnement assez bancaire, et dans sa branche innovation qui associe aides et avances remboursables. La ventilation au sein de cette dernière ayant évolué, ce que nous verrons plus loin.

Voici ci-dessous une vue d’ensemble de tous ces montants que j’ai consolidée. En vert, vous avez les budgets liés aux aides à l’innovation gérés de près ou de loin par Oséo. En dessous, vous avez d’autres lignes qui correspondent aux activités de prêts et de garantie d’Oséo, certaines couvrant des FCPI et SIBA. Et puis, en bas du tableau, la grosse masse des aides, prêts, investissements et garanties prévus dans le cadre du plan de relance et dont la gestion incombe à Oséo.

Budget Oséo Innovation et PME 2007 à 2009

La question des fonds propres

J’avais relayé en février 2009 le cas de plusieurs startups qui s’étaient vu dire par leur contact Oséo que les budgets d’aides et avances remboursables avaient été épuisés pendant l’été 2008. Et lorsque leur dossier avait repris en main début 2009, les conditions pour obtenir ces avances remboursables avaient subitement changé : elles étaient conditionnées par des ratios de fonds propres délirants (de 1 à 6) alors que la norme était 1 pour 1 à 1 pour 2.

Voici à ce sujet quelques éléments d’éclaircissements de la part de François Drouin :

  • L’épuisement du budget des aides et avances remboursables était spécifique aux périmètres de l’Ile de France et des TICs. Ce qui explique les retours positifs d’entrepreneurs en région dans les commentaires de l’article.
  • Est-ce que le budget était bien géré en 2008 ? François Drouin ne voulait pas couper le robinet des aides en cours de route sur la première partie de 2008 (sur TIC + IDF) . Oséo Innovation aurait aussi manqué de sélectivité dans le choix des projets sur cette période. Comme si il y aurait eu un emballement type “web 2.0”. En tout cas, il n’y a pas de lissage dans l’année des attributions d’aides et avances remboursables chez Oséo.
  • Pour ce qui est des ratios de fonds propres demandés aux startups, je citais la qualification des startups à qui c’était arrivé : deux passées par Scientipôle Initiative, et une autre, financée par un VC. François Drouin, comme d’autres à qui j’ai pu poser la question, me confirme que les ratios de fonds propres demandés chez Oséo sont au maximum de 1 pour 2 (pour des avances). Donc, ce que j’ai pu relater n’est pas le fait d’une politique, mais d’un “bug”, dont la traçabilité n’est toujours pas claire.

Alors, Oséo abandonne-t-il ou aspyxie-t-elle les startups ? Sans doutes non. Mais la baisse du budget d’Oséo Innovation pour les subventions et avances remboursables est un fait avéré sur 2009. Certes, Oséo gère aussi le FUI et l’ISI, mais les budgets correspondants n’ont pas augmenté pour compenser la baisse des budgets d’Oséo Innovation. Donc, au total, il y a une décrue réelle de l’accompagnement de l’innovation dans les dotations de l’Etat vers Oséo.

Relayant la demande courante d’entrepreneurs de diminuer l’exigence de fonds propres pour l’obtention d’aides et avances remboursables, j’évoque avec François Drouin les problèmes de dilution du capital que cela pose pour les entrepreneurs en phase d’amorçage et la relative faiblesse de l’investissement des business angels en France. Mais la réponse n’est pas une surprise : il n’est pas question de changer la règle actuelle. Le secteur privé doit jouer son rôle dans le financement…

Il existe une exception : l’aide aux fonds propres pour les PME établie dans le cadre du plan de relance. Il s’agit notamment du “contrat de développement participatif”. Ce contrat n’est d’ailleurs pas encore documenté chez Oséo dans les régions car la mesure est toute nouvelle. Oséo a jusqu’à la fin du mois pour la déployer, donc patience. Mais elle ne concerne que les PME qui ont déjà une taille critique, des marchés et des clients. Pas les startups en phase d’amorçage.

Prévisibilité des aides et avances

Comment améliorer la prévisibilité d’Oséo ? C’est une demande fréquente d’entrepreneurs qui aimeraient bien maitriser un peu mieux la dimension temps dans leurs recherches de financement, notamment chez Oséo.

Réponse : “Il faut laisser les projets mûrir. Le temps compte dans les innovations”.

Traduction : certains projets en demande de financement Oséo ne sont pas assez bien préparés et doivent mûrir avant d’être éligibles à des demandes de financement public. Je partage bien ce point de vue sur un grand nombre de startup que je peux croiser au quotidien. On pourra inférer que l’attente est inversement proportionnelle à la qualité perçue des projets dans les équipes d’Oséo. Un indicateur pour l’entrepreneur ! A ceci près que cela doit dépendre des conseillers Oséo auxquels les entrepreneurs ont à faire.

Quid de l’évaluation des projets chez Oséo ? Elle prend en compte les dimensions technologiques, les marchés, les modèles économiques et la notion (un peu floue) de risque. “Des experts externes sont toujours sollicités sur ces différentes dimensions, ni plus ni moins qu’avant. Il faut en tout cas convaincre que le projet permet de gagner de l’argent”. A noter que les spécialistes sectoriels d’Oséo sont situés au siège à Maison Alfort.

Cependant, comme les budgets de base d’Oséo Innovation (pour aides et avances remboursables) sont en baisse, que le nombre de projets demandeurs est plutôt en hausse, et que les montants alloués par projets ont vocation à être stables, la sélectivité est maintenant plus forte sur les projets.

Les décisions chez Oséo Innovation sont prises à l’échelon local et ne remontent au siège que pour les montants supérieurs à 750K€. Au delà de ce seuil, les startups en phase d’amorçage ne sont généralement pas concernées. Il s’agit plutôt des TPE et PME de plus d’une vingtaine de personnes ou bien les startups dans des métiers nécessitant beaucoup de capital comme dans la santé.

Les autres sources de financement pour les startups

Nous avons discuté de l’environnement économique du financement privé des startups. Comme Oséo a développé des partenariats avec la quasi totalité des grands acteurs publics et privés du financement de l’innovation, François Drouin a une bonne vision d’ensemble du secteur.

Ecosystème d'Oséo

Il a conscience de la crise actuelle que traversent les FCPI, dont on ne parle d’ailleurs pas encore beaucoup. Elle est selon lui amplifiée par l’évolution légale sur la gestion des risques : dans les assurances avec Solvency 2 qui rend difficile l’investissement dans les actions et dans les banques avec Bâle 2. Les FCPI – donc les VC français – vont être à court de source de financement de projets entre 2010 et 2011. Ils vivent pour l’instant encore sur des fonds levés en 2007-2008.

J’ajouterai même d’autres facteurs : la mauvaise performance du capital risque en Europe en général et surtout le glissement des investissements dans les FCPI vers les fonds ISF intervenu en 2009 du fait d’une progressivité inversée de la fiscalité ISF selon le risque (50% d’exonération pour les FCPI dont les entreprises doivent être labellisées par Oséo et 75% pour les fonds ISF dont les startups n’ont ni besoin d’être innovantes ni labellisées). Si François Drouin reconnait bien cette inversion, il remarque qu’il faut éviter de créer une usine à gaz fiscale (je dirais plutôt d’ailleurs… de l’upgrader…).

Aujourd’hui en France, l’ISF draine un gros morceau de l’investissement privé dans l’innovation. Sans la fiscalité et les exonérations associées, le financement privé de l’innovation serait sérieusement tari en France. Nous évoquons le cas de l’amendement Artuis du Sénat sur la vitesse d’investissement dans les startups par les FCPI et les fonds ISF, qui relève d’une mécompréhension du cycle de financement des entreprises innovantes, au moins pour les FCPI. Il reste un danger en seconde lecture à l’Assemblée Nationale que cet amendement passe.

Autre point traité : les liens qu’Oséo développe avec les business angels. Cela a commencé avec la création des bases Capital PME et InvestNet qui permettent à ces derniers d’identifier des projets en attente d’investisseurs. Capital PME est ouvert aux projets de toute nature, InvestNet est plus sélectif et focalisé sur les projets innovants. François Drouin intervenait le matin même dans une conférence organisée par France Angels.

Enfin, une nouveauté concernant les business angels : les garanties Oséo peuvent maintenant s’appliquer aux véhicules d’investissement des clubs de business angels que sont les SIBA. Cette garantie rembourse les moins values des fonds, un peu comme les garanties s’appliquant aux FCPI. Finalement, de part et d’autres, le pays a visiblement un fort besoin de nivellement du risque.

Les aides à l’innovation pour les grandes entreprises

Reprenant une de mes remarques récurrentes sur le trop plein d’aides aux grandes entreprises dans l’innovation, François Drouin remarque que seul le quart des aides du Fond Unique Interministériel (FUI) qui finance les pôles de compétitivité revient aux grandes entreprises, un autre quart aux PME et le reste, la moitié, aux laboratoires de recherche.

La transformation de l’AII en ISI déjà citée aurait déplacé le centre de gravité de subventions vers les PME (de moins de 5000 personnes). “Aurait” car c’est bien théorique puisqu’en pratique, les filiales des grands groupes s’arrangent pour rentrer dans les critères d’éligibilité.

Par contre, il est en phase sur le fait que le Crédit Impôt Recherche penche (en masse) vers les grandes entreprises. Et avec un budget qui n’est plus vraiment contrôlable. Pour donner un ordre de grandeur, le CIR en 2010 pourrait bien représenter plus que le poids du “paquet fiscal” de la loi TEPA votée en 2007 (>5 milliards d’Euros) !

L’aval de l’innovation

Dans la lignée du CIR, François Drouin est plutôt séduit par l’idée d’un “Crédit Impôt Innovation” qui existe déjà en Espagne. Il couvrirait ainsi les phases d’industrialisation des offres voire le marketing, et pas juste la R&D amont et l’approche expérimentale. Ce “CII” pourrait être focalisé sur les startups qui en ont le plus besoin et ne sont pas là pour faire de la R&D, mais créer des produits et des services et les vendre, pas faire de l’expérimentation. Reste à comprendre quels sont les obstacles – autres que simplement financiers – pour faire avancer cette bonne idée !

Mais comment Oséo aide les startups dans les phases aval de l’innovation, après la R&D ? Il existe pas mal d’aides, surtout concernant l’export (prêt pour l’export, contrat de développement international, garantie des apports à une filiale étrangère). A une remarque de ma part sur une faiblesse dans le packaging qui est perçu comme bien complexe par les entrepreneurs, François Drouin répond que c’est le rôle du contact unique chez Oséo de présenter l’éventail des offres en fonction de la situation. Sachant que certaines sont plus adaptées aux entreprises plus matures.

Je crois donc que je vais me farcir un de ces jours un schéma des aides Oséo pour une mise à jour du Guide Entrepreneur. A moins que quelqu’un en ai déjà publié un ?

Conclusion

Je tire trois grandes impressions au sortir de cet entretien et d’une analyse des budgets d’Oséo :

  • La confirmation du renforcement du rôle central d’Oséo dans les aides publiques à l’innovation, et la tendance à aller vers le guichet unique, ou tout du moins, vers un point de contact unique multi-usage. Sachant que cette tendance est amplifiée par les très nombreux partenariats public-public ou public-privé déclenchés par Oséo. Le gouvernement se tourne presque toujours vers Oséo lorsqu’il s’agit de financer l’innovation ou d’aider les PME. Et pas pour rien, il n’a pas beaucoup d’organisations adéquates sous la main avec 1800 collaborateurs et un maillage de l’ensemble du territoire. A terme, cela pourrait entrainer une certaine rationalisation des aides publiques.
  • Les budgets sur les aides standard à l’innovation sont en baisse. L’accent est clairement mis sur les des aides aux projets de R&D collaborative (Pôles de compétitivité / FUI et ISI). Accent renforcé par divers appels à projets comme ceux qui sont gérés par la DGCIS, tel celui qui concernait le web 2.0 et le serious gaming. Cette focalisation sur la R&D collaborative, poussée par le gouvernement et les milieux de la recherche, me rend plus que dubitatif. Elle génère beaucoup de pertes en ligne, notamment lorsque l’on se rapproche des marchés et du business. Domaines où il n’est pas question de faire de l’expérimentation, mais de créer des produits et des services puis de les vendre. La R&D en réseau est certes nécessaire pour les grands groupes (c’est le concept de “l’open innovation”) mais elle n’est pas la panacée pour les startups.
  • Il existe chez Oséo une volonté de bien accompagner l’ensemble du cycle de l’innovation. Cela ne semble pas encore très bien compris par la tutelle politique, ni bien packagé ou communiqué. Une belle zone de progrès à la fois pour le gouvernement et pour Oséo.

J’avais plein de sujets qui n’ont pas pu être couverts pendant ce court entretien : les aspects de stratégie industrielle pris en charge par Oséo, le fonctionnement de sa relation avec la tutelle gouvernementale et politique, l’excès de focalisation sur les projets collaboratifs, les doublons dans les différentes aides à l’innovation, la couverture d’Oséo Garantie et les risques pris par les entrepreneurs, quels sont les défis d’Oséo dans les années à venir, son organisation humaine, etc. Ce n’est donc que partie remise.

En tout cas, Oséo est devenu LE maillon essentiel des aides publiques à l’innovation et plus généralement aux PME. Son action compense les faiblesses de l’investissement privé et sa disparition voulue par certains n’entrainerait pas forcément un phénomène de vases communiquant augmentant la part des financements privés. Par contre, une grande transparence est nécessaire pour identifier les ajustements nécessaires à son fonctionnement. Ici comme ailleurs, vous – entrepreneurs – avez peut-être une opportunité d’être entendus.

RRR

 
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