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Les temps nouveaux de la décroissance

Post de Olivier Ezratty du 5 septembre 2009 - Tags : Economie,Environnement,Sociologie | 13 Comments

Ce thème était abordé dans au moins un table ronde et deux plénières de l’Université d’Eté du MEDEF 2009 : “La décroissance prospère”, “Notre planète du pôle sud au pôle nord” et “Quand nos enfants auront 100 ans”. Voici en vrac quelques points forts de ces débats. En tout cas, qui m’interpellent…

Pourquoi la décroissance ?

La décroissance n’est plus une lubie d’illuminé écologiste, c’est maintenant quasiment une certitude et même une nécessité. La croissance est la drogue des économistes et des politiques qui mesurent la santé des économies par l’évolution du PNB. Mais la décroissance à la fois économique et démographique, les deux étant intimement liés, sont inéluctables pour au moins trois raisons :

  • Il y aura moins d’énergie car la majorité de l’énergie que l’on consomme est un stock d’énergie fossile qui ne se renouvelle pas et les énergies renouvelables vont trop lentement prendre le relai. Le choc sera rude d’ici quelques dizaines d’années, voire même avant. L’atteinte du pic de production du pétrole va enclencher des réactions en chaînes multiples : moins de transports et d’échanges, moins de mondialisation, plus de productions locales. Toute la production humaine va se renchérir.
  • Il y aura moins de ressources végétales du fait du réchauffement climatique et de la montée des océans, sans compter ce que l’homme a détruit sur la planète.
  • Nous aurons probablement une conséquence indirecte de ces deux phénomènes mais aussi de l’enrichissement général de l’ensemble de la planète (à l’exception peut-être du continent Africain) : la baisse de la population mondiale. L’impact de la baisse de la natalité sera postérieur à celui de l’allongement de la durée de vie (cf Gilles Pison de l’INED, et son étude des pyramides des âges, aussi ci-dessous pour la Chine). Sachant paradoxalement que la première population à baisser devrait être celle de l’occident puisque, par tête de pipe, c’est celle qui use le plus la planète. Cela tombe bien, c’est là que la natalité est la plus faible. Russie, Japon, Italie… Même si, à part au Japon, elle est en partie compensée par l’immigration.

Pyramide des ages en Chine

La décroissance est donc à la fois une nécessité (c’est l’homme qui détruit la planète) et une conséquence des événements en marche (il détruit des ressources limitées donc conduit à une décroissance, et la décroissance démographique en route sur le long terme).

Comment gérer la décroissance ?

Ce n’est pas le tout de prédire, il faut gérer. Personne ne gère encore la décroissance !

  • On est déjà dans la décroissance à l’échelle de l’histoire humaine. Par la déplétion et par la raréfaction, notamment des matières premières et de l’énergie. Les richesses viennent du sous-sol et s’épuisent. Ce capital s’épuise. Il faut s’habituer à cette phase de décroissance et il faut montrer que c’est possible.
  • Il faut commencer en France à arrêter d’encourager la natalité, ce que l’on fait depuis un siècle. En France et en Europe, on est très nombreux par rapport à notre empreinte écologique. Il faut multiplier le nombre de personnes par leur impact écologique. L’Afrique est un continent “très creu” par rapport à sa surface et à l’empreinte carbone de sa population.
  • On peut (malheureusement) continuer à détruire la planète même avec juste un milliard d’habitants (vs 7 actuellement). Il faut faire de manière différente et pas seulement “moins”. Et notamment redéléguer des processus à la nature qui sont aujourd’hui artificiels.
  • Le développement écologique génère beaucoup de travail manuel. Il permet ainsi une meilleure distribution du travail et donc des richesses (vs des usines automatisées et une concentration de la richesse sur les détenteurs de capital).
  • La décroissance amènera à limiter les échanges physiques. Il y a aujourd’hui de l’import et de l’export de lait entre le Royaume Unis et la France, ce qui est incensé. Il faut créer des zônes de “régionalisme critique” pour augmenter les échanges intra-région. Une grande partie de la mobilité est futile. Il faut produire plus localement. Cela interviendra tout seul avec le renchérissement des coûts du transport.
  • Internet est-il une chance pour la décroissance ? Pas beaucoup débattu. A noter que Cisco a divisé par trois ses frais de déplacements en développant l’usage de la visioconférence avec son offre Téléprésence.
  • Le capitalisme peut-il accepter la décroissance ? Le capitalisme fonctionne par l’emprunt, le taux d’intérêt et la croissance pour rembourser ce qui est emprunté et avec tous les intermédiaires financiers. Cette forme de capitalisme va disparaitre en 2025 selon Yves Cochet. On va assister à une démondialisation qui fera la part belle à la monnaie d’échange (fondante) vs la monnaie d’accumulation (spéculative, etc). Toutes les crises proviennent d’un excès de dettes. Maintenant, on en est au niveau des gouvernements. Qui va sauver les gouvernements ? La dette a un côté artificiel et c’est un problème dans le contexte de la décroissance. La décroissance fera à terme exploser la bulle de la dette des états.
  • Le développement durable est un alibi des capitalistes, une imposture. Il y a des choses non monnayables qui font partie de la prospérité. Et d’ailleurs, est-on nécessairement pauvre et/ou malheureux dans les petits pays ?
  • Les besoins vitaux des êtes humains ne sont pas satisfaits d’un côté (accès à l’eau potable, …) et le superflu prédomine de l’autre avec une abondance, sans satisfaction pour autant. Les billets d’avion devraient être au poids et pas à la personne. Les nomades ne portent pas de superflu sur eux et sont donc maigres…
  • La décroissance ne sera pas forcément heureuse. Elle est porteuse de dangers et de troubles.

La décroissance vue des pôles

Le titre de cette plénière était “Notre planète du pôle sud au pôle nord” (vidéo). A noter l’absence remarquée de Jean-Louis Borloo dans cette plénière, seul ministre annoncé ayant semble-t-il fait défaut.

Trois éléments clés ou clivages du débat :

  • La glace fond, c’est là où l’impact de l’homme est le plus fort et le plus visible. En même temps, les pôles ont enregistré l’histoire de la terre (air emprisonné dans les couches de glace) permettant de comprendre l’impact du CO2 sur le climat. On sait ce qui va arriver…
  • Mais l’homme refuse d’accepter la réalité. On sait mais on ne fait rien quand même. Heureusement, maintenant que les américains ont changé de position après l’absurde refus de Kyoto par Bush 43, on va pouvoir aller de l’avant. Le scepticisme est cependant ambiant sur le sommet de l’ONU sur le climat qui a lieu en décembre 2009 à Copenhague. Et un échec serait dramatique.
  • Il faut adopter nous-mêmes un nouveau mode de consommation, une approche poussée par Yann Arthus-Bertrand. Consommer moins et mieux. Cette approche bottom-up sera-t-elle suffisante ? Michel Rocard pense que non et prône une approche top-bottom influencée notamment par les politiques publiques et par la fiscalité (taxe carbone, etc). Il faudra probablement les deux pour réussir…

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Quand nos enfants auront cent ans

Le plus étonnant dans ce débat est qu’on y entendait quasiment rien sur l’impact du réchauffement climatique sur la vie de nos enfants dans plus de 100 ans. La discussion était plutôt sociologique. Inconscience ? Lacune de prospective ?

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  • L’économiste Michel Godet met en parallèle l’inquiétude sur le taux de natalité des baleines… et celui des italiens et des catalans qui est le même, mais ne soucie personne. On a toujours peur de la population des grands pays (Inde, Chine). Au regard du thème de la décroissance, pourquoi donc faudrait-il tant s’inquiéter quand un Européen a une empreinte carbone dix fois supérieure au moins à celle d’un chinois ? Il évoque aussi un autre phénomène sociologique mal étudié : les familles monoparentales et la solitude dans les villes. A mon sens, les familles monoparentales sont un luxe des pays riches qui explique beaucoup de choses : le manque de repères pour de nombreux enfants, les troubles scolaires, la crise du logement, et indirectement, une petite part du bilan carbone (on consomme plus pour se chauffer du fait d’un trop grand nombre de logements par rapport à la population).
  • Toujours Michel Godet, pas avare de simplification marquantes : les retraites sont un système Madoff : les derniers arrivés payent pour les premiers arrivés. Au passage, dans un autre sujet, les TIC n’améliorent pas la communication. Cela permet surtout de parler avec les gens qui ne sont pas là et pas avec les gens qui sont là…

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  • Roger Bessis, pionnier de l’échographie, met en parallèle la sexualité et la reproduction. La reproduction biologique serait un romantisme en voie de disparition. On peut maintenant détecter des défauts anatomiques et géniques et déclencher un eugénisme à petite dose. Quel est l’eugénisme licite ? Quelles nouvelles inégalités d’accès va-t-il créer ? On pourrait avoir deux espèces humaines en cohabitation : l’une, dépouillée de problèmes génétiques, et l’autre, sujette à maladies diverses. Le politique doit se mêler de cela. Il y a un gros manque de pédagogie sur les lois bioéthiques. Les enfants auront-ils cent ans? Cela va arriver…
  • Pourquoi les français sont-ils tristes et pessimistes ? S’inquiéter, c’est s’occuper de l’autre. Un ado qui va mal se porte mieux avec un entrepreneur. Il lui donne confiance, le renarcissise. Les entreprises peuvent diminuer le travail des psy.

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Je retire quelques conclusions de ces différents débats : la décroissance est enclenchée mais ses mécanismes ne sont pas encore bien compris et encore moins planifiés. Surtout au niveau des entreprises. La concurrence économique mondiale pollue tous les raisonnements alors qu’à l’échelle de la planète, on travaille dans un environnement fermé et fini. Enfin, ce genre de session aurait pu être éclairé par un ou deux prospectivistes.

RRR

 
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