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Les caméras d’Appolo 11

Post de Olivier Ezratty du 2 août 2009 - Tags : Innovation,Photo numérique,Technologie,TV et vidéo,USA | 23 Comments

Fin juillet, nous avons eu droit à toutes les rétrospectives possibles sur les 40 ans de la conquête de la Lune. Avec force documentaires, de bonne qualité en général. Ce qui rappelle prosaïquement le rôle que jouaient les astronautes :

  • Livreurs : car leur rôle principal consistait à installer sur la lune des matériels divers pour mener des expériences scientifiques, le plus souvent pilotées à distance. C’est ainsi le cas de la mission Appolo 11 pendant laquelle a été installé le miroir qui permet de mesurer les évolutions de la distance terre-lune avec un laser émis à partir de la terre.
  • Assistants géologues : avec la collecte de roches lunaires, plus de 500 Kg récupérées lors des 6 missions Appolo.
  • Caméramen : enfin, filmer et prendre des photos, un rôle à finalité autant scientifique que médiatique ! C’est cet aspect que j’ai souhaité creuser dans cet article, ce qui est assez facile car les aspects techniques des missions Appolo sont très bien documentés, notamment sur http://www.lpi.usra.edu/lunar/missions/apollo/apollo_11/photography/. Et qui suit une petite tradition de ce blog qui se consacre quelque peu à la photographie pendant la période propice de l’été.

Les dossiers de presse des missions lunaires datant de l’époque sont disponibles sur : http://history.nasa.gov/alsj/alsj-prskits.html. Ils étaient étonnamment très détaillés, notamment sur le minutage précis des missions. Le dossier de presse d’Appolo 11 faisait ainsi 254 pages. A l’époque où Internet n’existait pas, ni même les PC, l’obtenir au format papier était donc une performance pour la presse et ce contenu avait beaucoup de valeur en créant une asymétrie entre les spectateurs et la presse. Maintenant, tout le monde a accès aux mêmes informations et peut les dépiauter, ce qui réduit cette asymétrie d’accès à l’information sur un tas de sujets.

Dans le dossier de la dernière mission, Appolo 17, on peut consulter le temps passé sur la lune et à marcher sur la lune par mission, ce qui rappelle qu’Amstrong et Aldrin n’ont passé que deux heures et demi hors du LEM pendant leur mission et n’ont rapporté que 20 kg de roches lunaires tandis que la dernière mission avait donné lieu à trois sorties de sept heures chacune :

Comparison Appolo Missions 1

Les caméras utilisées étaient différentes dans le LEM (http://www.myspacemuseum.com/apollocams.htm) et dans le module de commande (http://www.myspacemuseum.com/simbay.htm).

Dans le LEM

Pour ce qui est du LEM qui nous intéresse le plus, il n’y avait qu’une seule sorte de caméra vidéo utilisée dans Appolo 11. De marque Westinghouse, elle diffusait 10 images par secondes sur 320 lignes, soit un équivalent de vidéo YouTube de basse qualité aujourd’hui.

La caméra d’Appolo 11 diffusait notamment les premiers pas de Neil Amstrong sur la lune (Restored Videos From Apollo 11 Moonwalk). Elle était fixée dans le MESA, une trappe d’instruments située sur le côté du LEM. En descendant de l’échelle, Amstrong a tiré un levier qui a déployé ce MESA où la caméra était positionnée pour filmer exactement l’échelle. C’est ce qui explique qu’il n’y avait pas de vidéo d’Amstrong avant. Ensuite, Amstrong a pris la caméra et l’a posée sur un pied à une quinzaine de mètres du LEM pour filmer la pose du drapeau américain sur la lune. La transmission avait lieu en HF et en direct. Les transmissions consistaient en un flux d’informations numériques (à 52Kbits/secondes d’Appolo vers la terre pour toutes les mesures télémétriques) et des flux analogiques (TV, radio) transmis à la NASA qui les relayait sur terre avec des satellites divers et son réseau terrestre, les stations de réception étant dotées d’antennes de 9 à 64 mètres de diamètre.

Camera Video Westinghouse Appolo 11

Ce n’était pas ce qu’il y avait de mieux d’un point de vue technologique à l’époque car au moment de la conception du programme Appolo, la télévision n’était pas encore une priorité. Les missions suivantes d’Appolo 11 ont bénéficié d’améliorations substantielles, notamment dans la couleur même si à l’époque, peu de foyers étaient équipés de postes en couleur. Certaines caméras étaient même télécommandées telles que celles qui étaient fixées sur le “rover” lunaire (la jeep) ou sur le sol. C’est ainsi que furent prises les images du décolage du LEM, la caméra étant télécommandée avec une anticipation d’environ deux secondes pour tenir compte du temps de parcours des signaux entre la terre à la lune.

Il y avait par ailleurs une caméra 16 mm argentique, le “DAC” d’origine Maurer, fonctionnant à 10 images seconde. C’était un compromis permettant de filmer à un nombre d’images faibles tout en prenant des photos de qualité correcte. Cette caméra a filmé l’alunissage maintenant bien connu, qui n’avait donc pas été diffusé en direct à l’époque, mais qui a servi à recréer l‘événement audiovisuel après coup.

Appolo 11 DAC Camera 16mm

Plusieurs appareils photo Hasselblad 500 EL 70 mm ont permis de prendre des dizaines de clichés de très bonne qualité. Ces appareils étaient motorisés et équipés d’objectifs Zeiss de grande qualité mais d’ouverture moyenne (5.6 pour l’un et 2.8 pour deux autres). Cette motorisation avait été réalisée pour la NASA, permettant aux astronautes de ne pas perdre de temps, et ensuite été appliquées aux versions commerciales de ces appareils. La pellicule était faite en polyester plus fin que les pellicules habituelles, permettant de conçevoir des magasins de pellicule pour 200 prises. A ce sujet existe un polémique autour de l’absence d’étoiles dans les photos, alimentée par les tenants de la thèse de l’absence d’alunissage et d’un coup monté de la NASA. En fait, l’explication est très simple : c’est lié à l’ouverture utilisée qui était adaptée à la grande luminosité du paysage lunaire, et donc pas assez grande pour capter les étoiles bien moins lumineuses dans le ciel (vu sur http://www.skywise711.com/Skeptic/MoonPics/MoonPics.html). Un des Hasselblad prenait des photos classiques (pour les médias) et l’autre, pour mesurer précisément la taille des éléments photographiés sur la surface lunaire, grâce à une plaque de verre avec des croix permettant de bien calibrer les photos prises.

Hasselblad 500EL Appolo 11

L’ensemble des photos prises par ces Hasselblad pendant la mission Appolo 11 est ici : http://www.lpi.usra.edu/resources/apollo/catalog/70mm/mission/?11 (1407 photos dont 232 prises sur la surface de la lune pendant les deux heures à l’extérieur du LEM).

Enfin, la mission comprenait aussi un appareil photo stéréoscopiques 35 mm avec un flash intégré et un chargeur de film avec 100 paires d’images stéréoscopiques. Il a servi prendre 17 photos stéréoscopiques du sol lunaire en “close up”. La caméra était montée dans un petit cylindre posé à même le sol, ci-dessous à droite (photos prises ici : http://www.lpi.usra.edu/resources/apollo/catalog/alscc/magazine/?45).

Appolo Surface Close-Up Camera

Pour en savoir plus, voir cet excellent article très bien documenté : http://www.capcomespace.net/dossiers/photographier_le_spatial/apollo/index.htm.

Dans le module de commande

Au niveau du module de commande, il y avait par ailleurs une caméra couleur de 30 images par seconde sur 525 lignes (le NTSC) capable d’émettre en direct, la couleur étant générée avec roue de couleur tournante, pratique courante dans les années 60. Cette caméra est à l’origine des images de l’arrimage du LEM et du module de commande à son retour de la lune.

Le module était aussi équipé d’un bloc de quadre appareils Hasselblad équipés de filtres de couleur pour prendre des photos multi spectrales (avec films noir et blanc). Et enfin, d’un appareil Hasselblad similaire à ce lui qui était dans le LEM.

Les astronautes utilisaient enfin un appareil photo réflex Nikon F2 de 35 mm (http://www.cameraquest.com/nfapol.htm). Mais seulement à partir de 1971, donc pas dans Appolo 11.

Les contraintes

Cet aspect est aussi assez bien documenté, notamment sur http://history.nasa.gov/alsj/apollo.photechnqs.htm (190 pages, 1972). Filmer sur la lune n’était pas anodin puisqu’il fallait résister aux contraintes suivantes :

  • Les rayons cosmiques et micro météorites qui pouvaient notamment endommager l’électronique de la caméra vidéo. Mais à l’époque, ces caméras étaient faites avec des transistors et aucun circuit intégré, donc la résistance devait être très bonne aux microparticules.
  • Les températures extrêmes, qui pouvaient affecter notamment les appareils photos. On voit que la caméra vidéo du LEM est entièrement scellée dans un boitier métallique qui a l’air bien étanche. Mais quid des appareils photos et du DAC ? Ils étaient en finition argentée matte, faite d’une peinture époxy qui réfléchit les rayons infrarouges et qui se consomme en brulant (?) pour dissiper l’énergie accumulée. L’intérieur des caméras était rempli d’Azote.
  • La résistance aux poussières, très fines sur la lune. Réalisée notamment avec une protection contre l’électricité statique.
  • Le fonctionnement sous vide qui affecte peut-être la manière dont les films argentiques se déplacent dans les appareils. Les magasins de films d’Appolo 11 n’étaient pas scellés et cela n’a pas posé de problème. Mais cela a conditionné le choix de polyester au lieu de cellulose pour le plastique des films.
  • La résistance aux vibrations, surtout pendant les phases de décollage de la fusée Saturn V. Les contraintes : 20 G d’accélération pendant trois minutes et des chocs de 30 G.
  • La résistance à de fortes variations d’humidité pouvant aller jusqu’à 100% d’hygrométrie.

Et aujourd’hui ?

Dans la navette spatiale, la photo comme la vidéo sont évidemment numériques. Les appareils Canon et Nikon sont de la partie. Dans la dernière mission STS 127, les astronautes utilisaient des objectifs de 400 mm et 800 mm pour prendre des photos des tuiles de protection de la navette spatiale à partir de la Space Station. Une caméra IMAX 3D va bientôt être utilisée pour rapporter des images stéréoscopiques très haute résolution. Enfin, les opérations qui ont lieu dans la Space Station sont diffusées en temps réel sur Internet en vidéo. Et la NASA continue d’abreuver les spécialistes intéressés avec une information d’une richesse incroyable (cf les détails de la mission STS 127 jour par jour).

NASA Space Station Live TV Feed

Quant à Hubble qui produit toujours les meilleures images d’astronomie imaginables, la dernière génération d’appareil de prise de vue photographique est le “Wide Field Camera 3” qui utilise deux capteurs CCD de 2x4K (de 6 cm de côté – ci-dessous dans la photo – , et de 16 mpixels avec un gap de 35 pixels entre les deux capteurs, avec des pixels de 15 microns à comparer à 6,45 microns pour les 21 mpixels d’un Canon 5D Mark II) pour la partie visible du spectre lumineux et un autre de 1x1K (1 mpixels) pour le spectre infrarouge (détails dans ce PDF de 296 pages…). Le capteur du spectre visible fonctionne à -85°C ce qui doit réduire le bruit quantique généré dans les images. Malgré tout, 1,5% à 3% des pixels des capteurs CCD sont atteints par des rayons cosmiques par prise. Jusqu’à quatre photos consécutives sont prises à chaque fois pour éliminer les pixels défectueux par traitement numérique. Tous ces capteurs sont fabriqués visiblement sur mesure par des sociétés américaines inconnues du grand public.

Capteur CCD du Hubble Telescope WFC3

Petite réflexion pour terminer : l’Internet et la politique de communication de la NASA ont permis une diffusion très large d’informations techniques et scientifiques sur ces différentes missions spatiales. L’abondance d’information ne suffit pas à générer les vocations scientifiques. Elle pourrait même leur nuire du fait d’une forme de banalisation. Est-ce que les plans consistant à aller sur Mars ou à retourner sur la Lune vont contribuer à faire rêver les jeunes et créer des vocations, et pas seulement les rares futurs astronautes, mais ceux qui contribuent aux progrès technologiques sur terre dans les nombreux domaines associés ? C’est l’un des vœux de ceux qui communiquent sur ces sujets et j’en fait partie.

RRR

 
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