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Le cas difficile de l’entrepreneur isolé

Post de Olivier Ezratty du 8 novembre 2009 - Tags : Entrepreneuriat,Management,Startups | 41 Comments

J’ai souvent l’occasion d’être contacté, de rencontrer ou de croiser dans divers comités de sélection des entrepreneurs “seuls” dans leur projet. C’est-à-dire qu’ils sont seuls à fonder leur entreprise et qu’ils n’ont donc pas d’associés. Ils ont tout au plus des investisseurs plus ou moins investis dans le projet et éventuellement des employés, souvent des stagiaires embauchés à bon compte.

En général, je n’y vais pas par quatre chemins : j’indique le plus souvent à ces entrepreneurs que leurs chances de réussite sont très très faibles. Voire même les chances de créer l’entreprise tout court. Et qu’ils feraient bien toutes affaires cessantes de trouver des associés.

Et là, la réaction la plus classique est : “Mais je ne peux pas les payer”.

Avec une variante : “C’est difficile de trouver quelqu’un qui voudra bien prendre le risque avec moi” (de ne pas être payé pendant un certain temps).

Examinons d’un peu près ce genre de situation.

Pourquoi les chances de réussite s’amenuisent lorsque l’on est seul

Tout d’abord, pourquoi ce préjugé sur les chances de réussite d’un projet qui démarre avec un seul fondateur ?

C’est à la fois le résultat de l’observation et d’une certaine logique d’entreprise.

L’observation : les entreprises high-tech qui ont réussi ont été la plupart du temps créées par une équipe de fondateurs, et pas par une seule personne. Steve Jobs et Steve  Wozniak (Apple), Bill Gates et Paul Allen (Microsoft), Larry Page et Sergei Brin (Google), Larry Ellison, Bob Miner et Ed Oates (Oracle), Bernard Liautaud et Denis Payre (Business Objects), etc. Il en va de même pour les startups plus récentes telles que DailyMotion, Deezer, NetVibes, Ventes Privées. Dans la plupart des cas, l’un de ces fondateurs avait une dimension plus business que celle des autres et il a rapidement pris le leadership du projet (Jobs vs Wozniak, Gates vs Allen, etc). En fait, j’ai bien du mal à identifier un succès, même modeste, dans l’industrie du numérique, qui ait été créé par un seul associé au départ.

Larry Page et Sergei Brin Bill Gates et Paul Allen

La logique : pourquoi un entrepreneur seul a plus de mal à réussir ? Parce qu’il (a donné le signe qu’il) a raté le premier acte de vente de son projet qui consistait à convaincre d’autres personnes, amis ou relations professionnelles, à prendre le risque avec lui sur son projet. Cela va le handicaper pour trouver des financements. Cela va le gêner pour attirer des talents complémentaires à son profil (qui est souvent, technique). Avec l’effet d’oeuf et de poule suivant : pour attirer un calibre, comme dans la vente et le marketing, il faut pouvoir le payer, mais pour le payer il faut avoir du financement. Et pour avoir du financement, il vaut mieux avoir une équipe en place. Même si certains investisseurs se font fort de vous proposer un dirigeant “business” s’ils trouvent le projet très intéressant. Une autre raison, tout aussi simple, est que pour créer une entreprise, il faut mener un nombre incalculable de tâches : techniques, marketing, vente, statutaires, financières, etc. Une personne isolée est vite débordée. Elle peut certes se faire accompagner par des ressources externes, mais pour certaines, il est critique d’en disposer en interne de sa structure. Enfin, créer une entreprise, c’est créer un corps collectif, c’est mener une équipe, c’est aussi développer sa capacité d’écoute, puis de management. Tout cela démarre mieux lorsque l’on commence à plusieurs.

Comment éviter d’être seul

Pour n’importe quel investisseur (business angel, capital risqueur, autre), la première qualité d’une startup, c’est son équipe. Bien avant le business plan, le produit et tout le reste. Car tout le succès découlera de la capacité de l’équipe. C’est d’autant plus vrai que de nombreux succès sont le fruit de changements fréquents d’orientation. Voire même de produit.

Pour bien démarrer un projet, il faut donc rassembler dès le début des compétences que l’on trouve rarement sur une seule personne. Avec la technologie d’un côté, éventuellement issue de la recherche, et le business de l’autre. Sans compter la capacité d’exécution et d’organisation. Même la technologie nécessite plusieurs compétences, entre la conception du produit et son industrialisation. C’est vrai dans le matériel, dans le logiciel comme dans les services en ligne.

Je croise souvent des équipes d’anciens élèves des mêmes établissements d’enseignement supérieur (grandes écoles d’ingénieur, de commerce, ou universités). C’est moins séduisant que d’avoir des équipes bigarrées avec des formations plus diverses. Mais en général, les équipes issues d’une même école ne sont jamais constituées de compétences homogènes. Il y en a toujours un qui est plus technique et un autre plus business. Ce n’est pas idéal, mais c’est toujours 100 fois mieux que d’avoir un seul créateur de la startup.

Pourquoi il faut le faire très tôt en montant son projet

Un entrepreneur en herbe est souvent motivé au départ par une idée. Mais avant même de la creuser très en détail, le mieux qu’il puisse faire est de trouver des compagnons de route. En fait, il faut trouver des personnes à même de s’engager dans une création de startup. Cela suppose de ne pas être payé ou d’être très peu rémunéré pendant au moins une année.

Il existe quelques cas de figure typiques en mettant de côté les serial entrepreneurs qui savent déjà comment créer une équipe :

  • L’entrepreneur est jeune, fraichement ou récemment issu de l’enseignement supérieur (ou pas…). Il peut prendre des risques car il n’a pas ou peu d’obligations familiales (pas d’enfants, etc). Le cas classique est de s’associer avec d’autres jeunes dans le même cas.
  • L’entrepreneur est salarié d’une entreprise, souvent cadre. Il peut dans certaines conditions bénéficier des ASSEDIC pendant la création de son entreprise. Et encore plus selon les conditions du départ de son entreprise. Il peut aussi choisir de prendre un congé de création d’entreprise, lui permettant de réintégrer son entreprise si son projet tourne court. En général, c’est pour la quitter, après une transaction financière qui donnera un peu de mou pour poursuivre le projet. Le mieux à faire est de trouver des collègues ou relations professionnelles qui souhaitent s’engager également dans un projet. Avec le plaisir de travailler ensemble sans dépendre de son “ancien management”.
  • Un mix des deux cas précédents est possible, et suppose que les réseaux personnels des uns et des autres se croisent.

Les réseaux justement ! Les jeunes entrepreneurs en herbe doivent apprendre à rapidement se constituer un réseau dense d’amis et relations professionnelles. Cela passe à la fois par le monde réel et par le virtuel des réseaux sociaux.

Dans le réel, il y a les conférences et colloques, les salons, les réunions d’anciens élèves, les entreprises où l’on a fait ses stages, les associations diverses. Certains se font aussi aider par leur milieu familial, mais si cela aide bien, c’est loin d’être indispensable. Dans l’enseignement supérieur, on mène souvent des projets pendant ses études. J’insiste toujours pour que mes élèves à Centrale constituent des équipes de 2 à 4 personnes, en évitant les singletons. Les projets “singleton” fonctionnent rarement bien. Et sont de mauvais augure sur la capacité du porteur à constituer… une équipe !

Dans le virtuel, on peut bien entendu s’inscrire sur LinkedIn, Facebook et autres Twitter, mais c’est largement insuffisant. Le mieux est de se faire remarquer par des contributions : créer un blog thématique, intervenir dans des forums ou contribuer à un projet (open source, par exemple). Ce sont des manières de se faire repérer et d’augmenter les chances de rencontres (professionnelles). Le virtuel a ceci de surprenant que l’on peut se faire repérer comme un talent avant même d’entrer sur le marché du travail. Ce fut le cas avec certains de mes élèves à l’Ecole Centrale qui avaient un blog avant même d’entrer en troisième année (où j’officie). Ils ont depuis créé leur entreprise et avec des associés rencontrés aux débuts de leur parcours.

Revenons au sujet du “pourquoi s’y prendre très tôt”. C’est lié à l’appropriation du projet de l’entreprise. Plus tôt vous impliquez des associés, meilleur sera le projet et meilleure sera son appropriation par l’ensemble des associés. On soutient plus facilement ce que l’on a contribué à concevoir qu’un existant tout prêt. Ensuite, on sera mieux préparé pour chercher des financements. Et on pourra paralléliser des tâches critiques de la création de l’entreprise : créer le produit, trouver des clients, chercher des financements.

A bons entendeurs…

Et vous, entrepreneurs, avez vous utilisé un truc spécifique pour constituer votre équipe ? Vous pouvez le partager ici !

RRR

 
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