Opinions Libres - Le Blog d'Olivier Ezratty

Un Dyson de la glisse ?

Post de Olivier Ezratty du 5 mars 2008 - Tags : Entrepreneuriat,Innovation,Startups,Technologie | 15 Comments

Je croise des dizaines de startups par an et parfois j’ai un coup de coeur. En voici un qui n’a rien à voir avec les technologies de l’information et les loisirs numériques : la société DreamSlide et ses engins “de glisse” du même nom.

Je les ai découverts dans un comité de Sélection de Scientipôle Initiative. On y voit passer des projets dans plein de domaines: logiciels d’entreprise, sites web grand public, composants électroniques, matériaux innovants, production d’énergie, produits pour la santé, etc. Dans le logiciel, il y a beaucoup de “feature companies” ou de “copycats”, très souvent des solutions pour des marchés niches qui génèreront si tout va bien un chiffre d’affaire de quelques millions d’Euros. Et parfois, on tombe sur un truc qui pourrait en faire des dizaines de millions d’Euros, créer des dizaines voire des centaines d’emplois, et impacter sérieusement la vie des gens. Le déclic. DreamSlide en fait partie. C’est un projet qui étonne par son originalité et par les personnages qui le portent, la famille Gobillard. Donc, autant leur donner un peu de visibilité.

L’équipe

L’équipe de Dreamslide, c’est donc essentiellement la famille Gobillard :

  • Il y a donc le fils, Jean-Marc Gobillard (35 ans). C’est l’inventeur du DreamSlide. Il assure la création, la conception et la la direction technique de la société. Passionné de mécanique depuis son enfance, c’est l’ingénieur par excellence, bricoleur et inventeur ! Il était ingénieur réseau chez Alten jusqu’à il y a quelques mois.
  • Il y a le père, Jacques Gobillard, PDG de la société, qui assure les recrutements (à venir), les montages financiers, la stratégie globale et les aspects juridiques. C’est un Centralien, promo 1964 qui a longtemps travaillé dans l’industrie.
  • Et il y a la mère, Michèle Gobillard, qui assure la gestion, la comptabilité et tous les aspects administratifs.

Dans la famille Gobillard, c’est un peu le fils qui manage les parents, et dans une entente qui parait cordiale et bien équilibrée. Et pour couronner le tout, mécanique oblige, l’invention a été créée dans un garage (ci-dessous, l’inventeur en plein effort).

PICT0044

Le produit

DreamSlide proposera un “moyen de locomotion à propulsion humaine innovant“. C’est une sorte de vélo sans selle avec un pédalier qui fait tourner la roue arrière et apporte un excellent rendement. Voici à quoi ressemblent les prototypes en CAO :

clip_image002clip_image002[6]

Le DreamSlide est à la fois pliant (8 kg) et très efficace, une caractéristique qui n’est pas réunie par les concurrents les plus directs que sont les vélos pliants, au demeurant bien souvent plus chers.

Autre manière de positionner l’engin : c’est un intermédiaire entre le vélo traditionnel et le roller. Y compris dans ses usages et son positionnement, nous le verrons plus loin.

L’équipe de DreamSlide a réalisé une étude de marché très poussée pour positionner son produit. Il est au croisement du marché de la “glisse urbaine” (où l’on peut intégrer les rollers) et de la “mobilité urbaine”. Il a autant une fonction utilitaire pour ce que l’on appelle le déplacement intermodal (intermédiaire entre plusieurs moyens de transports) que pour les loisirs du week-end ! Son public potentiel est bien plus large que les engins de glisse destinés à un public jeune (rollers, skate-board).

La mécanique

Le coeur du DreamSlide est un système de pédales à couple variable selon sa position.

La force est plus grande lorsque l’on est en appui de tout le poids de son corps sur l’une des pédales. Grâce à une sorte de manivelle de longueur variable que l’on peut bien comprendre dans le schéma ci-dessous. Il s’agit de l’un des types de pédaliers du DreamSlide (type 1) sachant qu’un type 2 est également prévu qui est encore plus efficace.

image

J’ai eu l’occasion de voir cela de près sur un prototype de DreamSlide et c’est à la fois relativement simple conceptuellement, terriblement efficace et très ingénieux.

L’inventeur a déposé un brevet international et il n’y a pas d’antériorité. Ce qui est très étonnant après près de deux siècles d’existence du vélo (depuis la draisienne)!

Vous pouvez voir le DreamSlide à l’oeuvre dans diverses vidéos sur http://dreamslide.monsite.orange.fr/page1.html. Une bonne vidéo valant toujours mieux qu’un long discours…

Les bénéfices utilisateurs

Ce qui est agréablement surprenant dans la présentation du projet, c’est la limpidité de l’argumentaire. Les bénéfices du produit se déclinent tout azimut :

  • On en fait l’apprentissage complet en moins d’une demi-heure. Y compris pour les enfants.
  • Les mouvements du corps sont proches de la marche à pieds et ne stressent pas le corps et notamment les articulations des genoux. Contrairement au vélo qui malgré sa position assise, est moins confortable. 
  • Le contrôle des mouvements est bien meilleur : les virages et le freinage sont rapides. On peut quasiment tourner à angle droit et aussi éviter un piéton facilement et sans tomber. Les chocs sont très bien absorbés. Lors de la présentation du projet chez Scientipôle Initiative, nous avons eu droit à une démonstration dans la salle de réunion !
  • Son “enveloppe de vitesse” est très large : il est stable à l’arrêt et il permet d’aller jusqu’à 40 km/2. Il y a un changement de rapport possible comme sur un vélo, mais que l’on utilise moins souvent.
  • Il est facilement adaptable à toutes les tailles. En effet, il n’y a pas de réglage de selle, qui est très souvent mal réglée dans les vélos. Il suffit de régler la hauteur du manche. Il est donc plus polyvalent au sein d’une famille.

image

  • Il y a eu un très bon travail sur le design. L’équipe du projet s’est faite aider par des spécialistes (chez Etud Intégral) pour intégrer dans le cahier des charges les contraintes techniques et de design. Les produits de série sont bien pensés pour faire du DreamSlide un objet stylé en plus d’être fort pratique. Est-ce l’iPod du vélo ?

Les inconvénients

Alors, parfait ? Où est le lézard ? C’est la question que je me pose pour chaque projet innovant qui parait trop “beau” ! On peut en lister quelques uns, mais qui n’apparaissent pas du tout rédhibitoires :

  • La position debout n’est pas toujours optimale. On doit balancer son corps pendant la “glisse” du fait de la position debout et de l’appui alternatif sur les deux côtés.
  • La mécanique est plus complexe que celle d’un vélo classique. Elle combine une chaîne d’entrainement de la roue arrière avec un changement de vitesse avec un système de double poulie. Il y a peut-être des risques d’usure et de défaillances que seul un usage dans la durée permettra de vérifier, invalider et/ou corriger. En tout cas, l’inventeur a déjà utilisé son prototype sur plusieurs années et des centaines d’heures sans rencontrer ce genre de soucis.
  • Le coût de fabrication est plus élevé que celui d’un vélo bas de gamme. Le positionnement prix sera aux alentours de 600€ au lancement. Donc, positionné en milieu-haut de gamme pour des revenus élevés (CSP, CSP+). Mais avec le volume et l’industrialisation de la production à grande échelle, ce niveau de prix pourra certainement être abaissé et permettre de toucher un marché encore plus large.

Le business

Le business potentiel est énorme pour un tel engin. Il se vend une grosse centaine de millions de vélos par an dans le monde. Et 3,5 millions en France. Et surtout, la tendance environnementale aux éco-transports, notamment dans les zones urbaines, créé un marché porteur. La cible de départ sera les jeunes adultes urbains à pouvoir d’achat élevé. Il y en aurait 350K en France.

Le marché est très compétitif. Dans les sports de glisse et les vélos, il y a pléthore de produits bizarres qui cherchent à grapiller une part de ce grand marché. Mais aucun n’a réellement réussi à générer un volume de vente significatif. Soit que leur marché cible était trop étroit, soit que l’invention était trop “tordue” (au propre comme au figuré).

image

image

Un bon marketing pourrait créer un fort effet de mode pour le DreamSlide et générer des ventes se chiffrant en centaines de milliers à l’échelle mondiale. Donc, on a là un business qui pourrait atteindre et dépasser les 100m€. Ce qui serait excellent pour une PME française !

Le système a en tout cas bien plus de potentiel que le Segway (ci-dessous) qui est à la fois cher (aux alentours de 7000€ !!!), lourd (donc pas utilisable en inter-modal), dépendant de l’électricité, et pas adapté aux surfaces disponibles dans nos villes pour la circulation (trop lent pour les couloirs de vélo et trop rapide pour les trottoirs).

Segway

L’industrialisation

DreamSlide n’en est qu’aux débuts de l’aventure. Ils ont terminé la fabrication de nombreux prototypes et vont rentrer dans la phase industrielle. Avec d’abord une préproduction (mi 2008) puis une production (début 2009). Ils ont déjà deux industriels en piste pour ce faire. Ils prévoient une distribution via Internet au début, puis par réseau de vente indirect.

En découvrant ce projet, je ne pouvais m’empêcher de faire un parallèle avec James Dyson et ses aspirateurs sans sac. Ces aspirateurs révolutionnaient l’existant qui était “good enough”. Et ils généraient aussi de l’incrédulité.

Dyson

Les Dyson avaient des qualités mais aussi des défauts comme le bruit et une puissance d’aspiration fournie pas forcément compétitive. Mais à force de nombreux prototypes et d’améliorations continues, les aspirateurs Dyson se sont perfectionnés. Dyson fait maintenant plus de 1md€ de CA, il est leader au Royaume Uni et aux USA (en valeur), et il a été anobli par la Reine d’Angleterre ! Il avait eu aussi des difficultés à protéger son invention, et du faire un procès à Hoover, le leader établi des aspirateurs.

Comment l’aider à réussir ?

A ce stade, plutôt que de trouver toutes les raisons pour lequelles un tel projet pourrait échouer, il vaut mieux se demander ce dont il a besoin pour réussir !

Après avoir découvert ce projet (qui est largement au delà de mes centres d’intérêt), je me suis à la fois dit qu’il y avait un potentiel industriel important mais que cela n’allait pas être un parcours simple pour les créateurs. Ils ont pour l’instant obtenu divers financements d’amorçage classiques de quelques centaines de K€ (Oséo, Scientipôle, …) permettant de lancer le projet. Mais ils auront vite besoin de plus encore pour industrialiser et marketer leur produit. Produit qui devra ensuite se décliner en gamme pour élargir les marchés visés. Est-ce qu’il y a des VCs qui donnent dans le sport en France ? Je n’en connais pas. Par contre, on peut classifier ce projet dans la catégorie “greentech”. C’est un peu tiré par les cheveux, mais pourquoi pas. Il serait en tout cas regrettable que ce soit un VC non français qui investisse dans le projet…

Ensuite, l’équipe aura certainement besoin d’être aidée dans le marketing et la distribution. La vente de ce produit passera pas une distribution “retail”, un domaine nécessitant des compétences spécifiques. Compétences que l’équipe de DreamSlide va recruter.

Et puis, il serait intéressant que des organisations donnent un coup de pouce pour les premières commandes en 2009. Cela pourrait être une ville moyenne lançant un programme à la Vélib, des clubs de sports, des écoles, que sais-je. Si il y a en tout cas bien un endroit où le secteur public devrait aider en priorité les startups, c’est dans les commandes, et pas simplement dans le financement. Car l’accès au marché et à “une référence” est souvent encore plus ardu que l’accès au financement !

En tout cas, je suivrai avec curiosité les évolutions de ce projet auquel je souhaite toute la réussite possible…

RRR

 
S
S
S
S
S
S
S
img
img
img


Lien du blog Opinions Libres : https://www.oezratty.net/wordpress

Lien de l'article : https://www.oezratty.net/wordpress/2008/un-dyson-de-la-glisse/

(cc) Olivier Ezratty - http://www.oezratty.net