Retour des Assises du Numérique
Post de Olivier Ezratty du 3 juin 2008 - Tags : Economie,Enseignement supérieur,Entrepreneuriat,France,Innovation,Internet,Logiciels,Politique,Startups,Technologie | 10 Comments
Comme plus de 1000 autres participants, j’ai assisté au lancement des Assises du Numérique le 29 mai 2008 à l’Université Paris Dauphine. C’était le “kick-off” du “plan numérique” qu’Eric Besson, secrétaire d’Etat à la prospective et à l’économie numérique, doit préparer pour François Fillon et Nicolas Sarkozy avant la fin juillet.
Je vais ici survoler ce qui s’est dit pendant cette journée du 29 mai et évoquer la méthode choisie par le gouvernement pour créer ce plan numérique. Dans un second post, je traiterai des 27 propositions et de leur teneur, ainsi que du diner organisé entre Eric Besson et quelques bloggeurs le 29 mai. En vous mettant en garde sur mon intérêt plus poussé sur l’économie de l’offre et des entrepreneurs des TIC que sur le marché intérieur et la demande.
Enregistrement des Assises
J’ai capté le son de presque toute la journée du 29 mai avec un petit enregistreur audio. Vous pourrez ainsi télécharger les parties qui vous intéressent. Elles sont sous la forme de fichiers WMA sur :
1 – Keynote Eric Besson
2 – Keynote Viviane Reding et table ronde haut débit
3 – Table ronde contenus
4 – Table ronde compétitivité
5 – Table ronde Internet 3.0
6 – Table ronde Mediterranée
7 – Table ronde eGov
8 – Table ronde environnement
9 – Discours cloture Eric Besson
De quoi alimenter quelques trajets en voiture avec votre baladeur !
Sinon, les vidéos intégrales du 29 mai sont disponibles en streaming sur le site de La Chaine Parlementaire.
Une nouvelle méthode
La préparation de ce “plan numérique” qui a démarré après la prise de fonction d’Eric Besson sur le dossier du numérique, juste après les municipales de mars 2008 est conduite au pas de charge. Mais avec une volonté d’impliquer les acteurs concernés au sens large du terme et en partant d’une base construite.
D’où un catalogue de 27 propositions publié le 29 mai et des dizaines d’Ateliers qui se dérouleront dans toute la France pour les discuter, les approfondir et les amender.
Un wiki a été sinon mis en place pour permettre aux uns et aux autres de contribuer autour des 27 mesures du plan. Les conseillers du cabinet d’Eric Besson et le travail interministériel feront le tri de tout cela pour constituer le plan qui sera finalisé fin juillet 2008.
Un “plan numérique” pour la France est un vaste programme. Toute l’économie est touchée, des TPE aux grandes entreprises. L’éducation, la santé, la sécurité, l’accessibilité, la vie privée, le commerce électronique, les contenus, tout y passe. Il y a autant l’économie de la demande (équipement des ménages, des TPE) que de l’offre (du haut débit aux startups). Tout “plan numérique” prend le risque de devenir un catalogue à la Prévert. Et celui-ci n’est pas près d’y échapper. D’autant plus que chacun voit midi à sa porte. Les Assises étaient un bon moyen de s’en rendre compte.
En France, les acteurs influents sont très préoccupés de haut débit et de contenus. Le premier point est lié à la force de notre économie des télécoms – prépondérante en France avec celle des SSII – et aussi à la pression des territoires et collectivités locales qui luttent contre la fracture géographique de l’accès au haut débit. Le second est lié à notre “exception culturelle”. On a tendance à parler plus contenus que technologies. Ce qui est quelque peu dommage, car pour être un peu brut de fonderie : les contenus, cela ne rapporte pas ! Dans l’échelle des activités d’entreprises, les médias et contenus sont parmi les moins profitables du monde. Et nos contenus sont par ailleurs plutôt réservés à un marché limité, celui de la francophonie. Les activités plus profitables dans la high-tech sont l’Internet, les logiciels, les composants électroniques et les télécoms. Il faut donc absolument nous améliorer industriellement dans ces domaines pour capter une partie significative de la valeur de l’industrie des TICs à l’échelle mondiale.
Le keynote d’Eric Besson
Dans son discours d’introduction (vidéo ici), Eric Besson explique la méthode de la préparation du plan numérique. Le poids (trop faible) du numérique dans l’économie française, dans les investissements comme dans la R&D. Les 27 pistes et la concertation qui va avec.
Ces 27 pistes ont déjà été validées en conseil des ministres restreint avec les ministres concernés. Il y aura un autre conseil du même genre pour validation du plan en juillet. Eric Besson loue la coordination gouvernementale autour du numérique. C’est vrai que l’on n’a pas eu (encore?) de “couac” dans le domaine. Même si quelques Ministres comme Christine Albanel et Jean-Louis Borloo s’étaient fait diplomatiquement porter absents, la première pour la raison valable d’un conseil des ministres qui avait lieu exceptionnellement ce jeudi matin.
Il a ainsi passé en revue très rapidement les éléments clés des 27 pistes du “plan numérique”, qui comme le présente chaque ministre de ce gouvernement, est là pour respecter un engagement de campagne du Président de la République. Pour le grand public, Eric Besson vise un taux d’équipement des ménages en PC de plus de 70% (vs environ 54% aujourd’hui) en 2010. Il veut lancer un portail “équipement et formation” et une offre de PC à 1€ par jour. Et aussi des offres pour les artisans, la relance du “Passeport numérique” et faciliter les dons d’ordinateurs usagés. Il évoque aussi les enjeux de la TV numérique et le basculement total vers la TNT fin 2011. Et aussi la radio numérique. Dans les aides à la création, une focalisation est faite sur les jeux vidéo, un des rares points forts de la France dans le logiciel. Bon, à ce stade, je n’avais pas encore les 27 propositions sous les yeux, donc il était difficile de juger.
Eric Besson était sinon très posé mais un peu trop formel dans la lecture de son discours.
Le keynote de Viviane Reding
Viviane Reding est la commissaire européenne en charge des TIC. Je la découvrais pour la première fois (vidéo ici). Elle est “brute de décoffrage”, très dynamique, volontariste, donneuse de leçons, en apparence sans langue de bois, et limite méthode coué sur la possibilité de créer un grand marché intérieur européen pour le numérique. Le paradoxe étant que la grande diversité culturelle de ce marché est une sacrée barrière.
Avec une vision très régulatrice du marché et centrée sur les télécoms, elle a tendance à négliger deux enjeux majeurs dans son intervention : l’entrepreneuriat et la stratégie de propriété intellectuelle.
Avec elle comme avec de nombreux intervenants, on a beaucoup entendu parler de la “présidence française de l’Union Européenne”. Presque un Graal qui permettra d’accomplir des merveilles. Il faut rappeler qu’elle ne dure que six mois et qu’on lui prête bien trop d’influence à cette Présidence. En quoi consiste-t-elle ? Quelles sont les pouvoirs de la France dans le cadre de cette présidence ? Peut-elle traiter de tous les sujets à la fois (PAC, politique étrangère, économie, social, numérique, etc). J’en doute un peu. Même si cette Présidence française est effectivement plus attendue que celle de la Slovénie qui se termine.
Les tables rondes
Elles constituaient le coeur de cette journée. La formule était la suivante : un Ministre en keynote (Besson, Pécresse, Santini, la secrétaire d’Etat aux TIC de Tunisie) ou son DirCab (pour Albanel), un animateur (souvent un député de gauche comme de droite), puis une grosse demi-douzaine d’intervenants parlant de 3 à 10 minutes pour présenter leur point de vue. Pas vraiment de débat puisqu’il s’agissait d’une suite de monologues.
Côté Ministres, les discours étaient bien trop souvent lus. Donc, manque de punch et de sincérité. Classique car ils doivent enfiler à longueur de journée des discours sur des sujets qu’ils ne maitrisent pas forcément dans les détails et qui leur sont préparés par leur cabinet. Valérie Pécresse me semblait plutôt à l’aise, et s’appropriait son discours avec un peu de vécu. Le pire étaient ces panélistes qui lisaient aussi leur intervention. Degré zéro de la communication !
La plupart des intervenants présentaient leur point de vue sur la thématique mais trop peu faisaient des propositions. Donc, on avait plus affaire à un colloque qu’à des assises où se bâtissent des plans. Cela devrait mieux fonctionner de ce point de vue là pendant les Ateliers du mois de juin, qui devraient être moins formels et je l’espère plus participatifs. En effet, seuls deux ateliers ont donné lieu à des interventions de la salle, et encore, sans grande utilité.
Les grandes lacunes de telles tables rondes sont surtout qu’il n’y a pas de diagnostic partagé, pas de prospective (sauf pour celle traitant de l’Internet 3.0) et que l’on y parle peu des consommateurs. Résultat, chacun milite pour sa chapelle sans faire beaucoup avancer le schmilblick.
Mais de grands clivages apparaissaient tout de même sur les TIC :
Ces clivages vont certainement persister et il sera intéressant de découvrir les arbitrages gouvernementaux qui en résulteront !
Les participants
Qui participait donc aux Assises ? Il y avait une forte proportion de représentants de grandes entreprises du secteur (très teintée télécoms, le plus souvent, les responsables des activités secteur public et leurs lobbyistes associés, soit internes, soit de cabinets de lobbying). Des organismes publics divers (ARCEP, etc) et quelques associations. Et ensuite, des divers.
Surtout : beaucoup de costumes cravate, peu de jeunes et de femmes, comme d’habitude dans ce genre d’événement, et le peu qui sont présentes sont très souvent dans les métiers de la communication et du lobbying.
Mais il y avait au moins une femme par Atelier comme Emmanuelle Gauthier de l’ARCEP (ci-dessous), un peu seule dans un panel d’hommes, tout comme Catherine Trautman ou Isabelle Falque-Pierottin.
L’audience de la salle s’étiolait en fin de journée avec environ 20% de présents au moment du discours de cloture d’Eric Besson, normal car la journée était harassante et difficile à suivre de bout en bout sans attraper de migraine ! Le discours de clôture d’Eric Besson, qui passait en revue les points clés de la journée était bien meilleur que son discours d’introduction du début de la matinée.
Quelques anecdotes
Bilan
Comme indiqué en introduction, je trouve que ces Assises étaient trop focalisées sur le haut débit et les contenus. Et pas assez sur les conditions de succès des entreprises, notamment startups, du secteur des TICs. On n’a même pas parlé de l’industrie du matériel : pourtant, la France n’est pas absente du marché des composants (STM, SOITEC), ni des accessoires (Danelec, LaCIE, Archos). Un autre thème n’était pas abordé : la sociologie du numérique. A savoir : l’impact sociétal des TIC, et les raisons sociétales qui peuvent nous handicaper autant dans l’entrepreneuriat qu’au niveau du marché intérieur trop timoré. Traiter ces facteurs en profondeur me semble indispensable pour avancer.
Je suis par contre favorablement impressionné par la méthode de travail d’Eric Besson qui souhaite faire appel à un maximum de contributions pour finaliser son plan numérique. En cela, il pourrait devenir un véritable “Ministre 2.0” s’il arrivait à mener à bien cette délicate mission en si peu de temps (fin juillet). Et sans tomber, de plus, dans des clivages politiques gauche/droite stériles. Ni sans trop subir d’influence des différents lobbies industriels ou associatifs du secteur des TIC.
Dans le post suivant, je creuserai quelques unes des 27 pistes du “plan numérique” puis évoquerai ce diner entre Eric Besson et une dizaine bloggeurs auquel j’avais été convié le soir du 29 mai.
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