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Rapport Attali et Innovation

Post de Olivier Ezratty du 31 janvier 2008 - Tags : Actualités,Economie,Entrepreneuriat,France,Innovation,Politique | 9 Comments

A mon tour de me pencher sur le Rapport Attali (plus précisément: Rapport de la Commission pour la libération de la croissance française). Je ne vais ni le détruire, ni l’encenser, mais plutôt essayer de le compléter avec un regard porté sur l’innovation industrielle.

Le rapport propose un beau dépoussiérage du pays, de ses nombreux archaïsmes (professions sur-protégées, etc), de revoir son découpage administratif pesant, de refondre l’université et plein d’autres mécanismes de notre pays, tout en tentant de préserver un équilibre entre entrepreneuriat, investissements, et protection sociale et en s’inspirant des bonnes pratiques d’autres pays.

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Le rapport et son signataire ont aussi des travers. Ils semblent ne traiter que trop indirectement les facteurs de croissance industrielle que nous devrions couvrir en priorité. Ils donnent l’impression de s’attacher trop aux “couches basses” de la croissance: infrastructures, éducation et recherche, fiscalité, santé, mais sans s’occuper suffisamment des “couches hautes” : ce qui va véritablement améliorer la compétitivité économique du pays et lui permettre d’innover et d’en tirer un profit direct. Passons aussi sur l’ire des députés UMP et autres professions protégées, liée à quelques maladresses de communication. Le ton agressif et défensif d’Attali dans ses prises de position la semaine dernière marque une certaine défiance sur la capacité du pays de se réformer et vis à vis de l’establishment. Il n’a rien à perdre donc se moque un peu des convenances. Tactiquement, ce n’est pas forcément optimal.

Il y a donc du bon et du moins bon dans ces 316 mesures. Commençons par le meilleur…

Quelques bonnes pistes du rapport

Le catalogue de réformes à appliquer rapidement est conséquent même si les modalités méritent plus ample réflexion. Prenons celles qui auraient un impact potentiel sur notre capacité à innover et à exporter :

  • Le rappel de quelques fondamentaux dans l’éducation, notamment le besoin de former les enfants le plus rapidement possible à l’anglais et à l’informatique. On aurait pu rajouter “à la présentation”, dont on sait qu’elle est un des points forts de l’éducation aux USA, qui donne confiance et plus tard, créé cette aptitude en communication et dans la vente, y compris chez les personnes qui occupent des métiers techniques.
  • La poursuite des réformes des universités et de la recherche: autonomie, augmentation des financements privés, plus de financements publics de la recherche sur projets (combattu par les chercheurs), mais qui devrait s’appliquer à la recherche appliquée et pas forcément à la recherche fondamentale. Notons que Jacques Attali avait été à l’origine d’un rapport sur l’enseignement supérieur en 1998 dont de nombreuses conclusions ont été suivies d’effet dans la durée. Certaines qui ne l’ont pas été se retrouvent réinjectées dans ce rapport 2008 (réforme des corps de l’Etat, appel au privé pour le financement). Il manque quelques éléments dont nous devrions nous inspirer et qui proviennent entre autres des USA: les étudiants y sont davantage pluridisciplinaires – un peu comme dans les grandes écoles françaises. Un étudiant dans un filière scientifique devra par exemple étudier une branche des sciences molles (humaines, droit, finance, marketing). Ce qui à la fois ouvre des perspectives “business” et fait cotoyer les étudiants scientifiques avec d’autres qui le sont moins. Cette fusion, au sein des universités, contribue à créer des profils plus entrepreneuriaux.
  • La proposition de créer dix pôles universitaires et de recherche de taille mondiale. Le principe, que je soutiens depuis quelques temps, est bon et même indispensable. C’est la mise en pratique qui pêche. Déjà, dix pôles, c’est beaucoup trop. Il faudrait commencer par un maximulm de deux ou trois et concentrer les investissements. Comme l’Europe avec son “MIT distribué”, le rapport préconise des demi-mesures avec synergies, rapprochements et collaborations, et autres notions de campus virtuels. Danger ! Il ne suggère pas de rapprochements dans ces campus entre les filières sientifiques et les autres, comme les écoles de commerce. Il propose aussi de quadrupler la taille des promotions de l’Ecole Polytechnique alors que ce n’est pas forcément là qu’il faudrait faire porter l’effort: les X coûtent cher, et en augmentant leur nombre, on créerait un appel d’air dans les autres écoles militaires (Saint Cyr) qui réclameraient aussi leur augmentation d’effectifs, et rien ne prouve qu’augmenter le nombre d’X améliorera la croissance. Mais il est vrai qu’Attali en est sorti major et qu’il y a enseigné, donc ceci explique peut-être cela ! Il vaudrait mieux doubler le nombre d’ingénieurs INSA, SupTelecom, Centrale, INPG et autres. Autre point, le recours à des appels d’offres, mais sans précision d’une ambition plus large qui serait de constituer non seulement des pôles universitaire et de recherche, mais également, adossés, des pépinières d’entreprises et tout un écosystème de services associés. Bref, OK bien entendu pour des pôles universitaires et de recherche, mais avec une vision globale et un véritable regroupement physique avec de gros investissements.
  • De nombreux plans d’équipement en numérique, le haut débit pour tous (reprenant un crédo de notre ami Jean-Michel Billaut dont la voix a bien porté !), la télévision et la radio numériques, les mobiles, la signature électronique, l’administration électronique, etc. Mais attention à ne pas faire de ces démarches de simples plans d’équipement mobilisant les entreprises locales, en faisant fi d’une logique industrielle qui devrait être surtout tournée vers les exportations. Combien de plans d’équipement dans le passé ont eu cet effet pervers (comme les TO7 de Thomson) !
  • Des mesures pour fluidifier l’activité économique des PME et leur croissance: réduction des délais de paiement, représentation unique des salariés dans les PME de moins de 250 personnes regroupant CE, CHSCT, délégués syndicaux et délégués du personnel. Beaucoup de bon sens. Il propose de créer une agence de conseil aux TPE/PME, sorte de guichet unique, mais sans indiquer lesquelles supprimer ou regrouper. Le rapport suggère également d’élargir le financement des PME pour l’amorçage avec diverses mesures fiscales. Il propose enfin de fusionner les parts salariales et patronales des charges sociales. C’est bien vu car la distinction n’avait pas beaucoup de sens, autre que celui de complexifier la feuille de paye. Mais la décomplexifier aura un coût que les entreprises devront absorber. Les mesures génériques sur les PME sont donc dans l’ensemble bien vues.
  • La proposition de créer des fonds de pension, injectant des capitaux dans l’innovation et le risque. C’est un des facteurs clés de succès de la Silicon Valley (voir ici et ). L’innovation a besoin d’argent qui circule !
  • De bonnes pistes sur le tourisme qui est un énorme gisement de croissance puisque nous sommes les premiers au monde ! On propose même d’installer le haut débit dans les hôtels pour “la clientèle étrangère” (et les français sont des neuneus qui n’en ont pas besoin ?). Par contre, rien n’est dit sur la manière de rendre nos concitoyens plus accueillants, aimables et serviables, histoire d’améliorer notre détestable réputation. C’est un peu tabou.
  • Quelques pointes de réforme des corporatismes, notamment celui des grands corps de l’état. Mais c’est imprécis et le mal n’est pas véritablement diagnostiqué. Comme de surcroît, ce rapport a obtenu la bénédiction des hauts-fonctionnaires du Minefi, on est en droit de douter de la réelle volonté de réformer ! Surtout dans la mesure où ce Ministère en contrôle quelques uns (Télécoms, Mines, Ponts).
  • La relance de l’immigration “choisie” dans des domaines ciblés. Notamment pour attirer les meilleurs étudiants du monde avec une scolarité payante de bon niveau. Plus de 50% des créateurs de startups de la Silicon Valley sont d’origine étrangère (le rapport évoque 60% de chinois et d’indiens, ce qui doit être surévalué). Le melting-pot a du bon pour la croissance aux USA. Ne pas oublier que nous sommes dans une course aux talents à l’échelle planétaire.
  • La volonté de simplification du mille-feuille administratif dans les régions. Elle est bien analysée dans le rapport : il faut regrouper les communes, bien trop nombreuses, la conséquence devenant un appauvrissement mécanique du rôle des départements, voués à disparaître. Evidemment, supprimer les départements ne veut pas dire supprimer les missions qu’ils assument mais les transférer à d’autres niveaux. Il est dommage que le rapport ne s’appuie pas sur des données chiffrées sur le nombre de fonctionnaires à chaque niveau administratif et des économies potentielles à réaliser. De toutes manières, quoi qu’il arrive, les élus locaux hurleront. Malgré, tout, lorsqu’on lit cette partie du rapport, le raisonnement et le plan se tiennent plutôt bien.
  • Enfin, la fin du rapport comprend un semblant de processus avec un calendrier et un plan de travail. On évite un peu les travers des audits de grandes boites de conseil qui ne fournissent presque jamais le mode d’emploi de leurs propositions et cherchent par là générer du récurrent. Ici, le récurrent, ce sont certes les rapports à répétition, mais surtout, la difficulté d’agir dans la durée. Mais la démarche de ce rapport est née de l’illusion de la toute puissance de Nicolas Sarkozy pour impulser le changement et la rupture dans le pays. Il relève d’une approche gaullienne qui serait très “top bottom”. Il n’est pas évident qu’il soit possible de la mettre en oeuvre de la sorte. Surtout dans la mesure où le “politique” manque sérieusement de vision sur l’économie et les industries.

Les aspects déçevants

A force de s’occuper des “couches basses” comme indiqué en introduction, le rapport est presque hors sujet – ou au moins très incomplet – à force de trop vouloir réformer la France dans son ensemble (distribution, professions réglementées, santé). A l’origine destiné à “libérer la croissance”, il se noie dans un tas de considérations et de réformes, certes souhaitables, mais limitées dans leur impact structurel sur la croissance. Il donne l’impression d’être trop tourné vers l’intérieur du pays et ne met pas suffisamment en lumière les éléments qui permettraient à la France d’être plus compétitive et d’exporter plus (cf ce coup de gueule de Jean Peyrelevade). Le mot “exportation” n’apparait que cinq fois dans le document !

Cela commence avec une vision industrielle disséminée dans le rapport. On parle bien de l’économie du numérique, du tourisme, de greentech et de nanotechnologies. Mais quels sont les rationnels ? Pourquoi sommes-nous bons dans certains domaines et pas dans d’autres ? Faut-il investir pour s’améliorer là où nous sommes déjà bons (tourisme) où la où la France faillit depuis plusieurs décennies (le numérique) ? En marketing, on assimilerait cela à un problème de positionnement.

On retrouve aussi un biais français classique: la croyance dans la science et la recherche pour réussir. On la retrouve dans cette obsession quelque peu simpliste sur “l’effort de recherche”. Pourtant, entre la recherche, l’innovation et la réussite économique, il y a des produits, de la vente, du marketing, du volume et de l’internationalisation ! Pas juste de la “valorisation” comme on peut le lire dans le rapport. C’est la combinaison de l’excellence scientifique et technique avec des talents dans la vente et le marketing qui font le succès des pays et des entreprises compétitifs. On peut lire que les chercheurs pourraient être formés à la “gestion” (Décision 31). Ce n’est pas suffisant!

Alors que Jacques Attali l’avait évoqué lors du lancement de sa commission, les aspects “culturels et valeurs” sont un peu oubliés. Comment créer une culture qui accepte le risque, et pas seulement au niveau du principe de précaution ? Comment décomplexer l’opinion par rapport à la réussite économique ? Comment valoriser ces réussites ? Quel est le rôle des médias même si on n’a pas à leur dire ce qu’il faut qu’ils fassent ? Il y a une pathologie spécifiquement française dans le regard de l’économie qu’aucun rapport n’a cherché à traiter. Il relève de l’inconscient collectif, de l’histoire politique et religieuse du pays.

On trouve quelques autres biais pas forcément heureux :

  • La croyance dans la force du secteur public pour régenter et organiser l’économie. Avec la création de nombreuses agences (comme pour la veille et l’orientation industrielle) au lieu de regrouper et de défragmenter l’existant. Et l’incantation ne fait pas la réforme ! Combien de fois une action commence-t-elle par un vague “promouvoir”, “favoriser”, “encourager”, “renforcer” (36 fois) ou “inciter” dans le rapport ! Le rapport préconise bien de réduire très progressivement le nombre de fonctionnaires, de créer des “agences” pour responsabiliser les activités du service public, des mesures techniques diverses pour améliorer l’efficacité de l’Etat, et de poursuivre l’effort déjà lancé dans l’administration électronique. Mais est-ce suffisant pour réduire progressivement le poids du secteur public, notamment dans les prélèvements, tout en préservant l’essentiel ? Est-ce que les gains d’efficacité seront suffisants ?
  • Dans le numérique, il y a ce couplet sur le logiciel libre dans la Décision 58. Curieusement, l’encouragement aux logiciels libres est la seule mesure de cet objectif consistant à développer l’industrie du logiciel ! Une vision bien parcellaire de cette industrie qui intègre les services Internet et les logiciels commercialisés sous forme de services (pour lesquels l’aspect libre ou pas importe peu vu du client). Avec des calculs un peu rapides sur l’avantage économique que cela procurerait. Cet encouragement provenant de la sphère publique est pourtant omniprésent depuis des années (notamment depuis le rapport Carcenac de 2001). Ce qui n’a pas pour autant amélioré la compétitivité de la France dans les TIC. Cela a juste fait croitre quelques SSII d’importance locale, et l’activité de services informatiques  traditionnels des grandes SSII, sans croissance des exportations. D’autant plus que le plus grand succès autour du libre créé par un français… est américain: le serveur Java JBOSS créé à Atlanta par Marc Fleury (un polytechnicien…), et racheté par Red Hat. Promouvoir la concurrence dans le secteur public ? Mais c’est là qu’elle s’exerce déjà le plus ! C’est là aussi que Microsoft souffre au quotidien d’une concurrence difficile. Et aussi quelques autres plus discrets comme Oracle. Augmenter la consommation de logiciels libres en France réduirait peut-être les importations mais n’augmenterait pas pour autant les exportations. Les travers qui limitent nos exportations s’appliquent à tous les éditeurs, quel que soit la licence de leur logiciel : insuffisance de capitaux, d’ambition, d’exportations, de vente et de marketing ! Donc libres ou pas, il faut trouver des modèles économiques “scalables” de vente de logiciels qui permettent de générer du volume et à l’échelle mondiale. Internet apporte une réponse plus générique que les logiciels libres, qui ne sont que des outils créés de manière plus mutualisée que les logiciels propriétaires. Les combats de coq entre sociétés du libre et éditeurs de logiciels propriétaires sont donc presque dépassés !
  • La commission n’a pas eu le courage de proposer de supprimer l’ISF en échange d’augmentations, par exemple, des droits de succession voire d’une augmentation de la progressivité de l’impôt sur le revenu. Ce n’est pas dans l’air du temps il est vrai. Toute proposition de réforme n’échappe pas à la tactique et au choix du moment de la proposer en fonction de l’état de l’opinion !
  • Le mode de fonctionnement de la commission Attali qui présente des travers (inévitables): influence de lobbies divers, décisions qui sont le résultat de consensus mous, l’appel à contributions aux administrations concernées (permettant certes de valider la faisabilité budgétaire, mais intégrant aussi quelques résistances aux changements), décisions du dernier moment (celle qui concerne les logiciels libres n’aurait pas été discutée avec les membres de la commission représentant l’industrie informatique). Autre bizarrerie de ce genre de commission qui est rarement dénoncée: les personnes consultées sont en majorité des “corps constitués” ou des syndicats professionnels ou de salariés (voir la liste à partir de la page 69 du dossier de presse de la commission). Difficile de faire autrement pour aller vers les “vrais gens”. Mais ces organisations ont leur propre fonctionnement qui fait resortir du consensus mou et des intérêts particuliers. Pas toujours l’intérêt général et une véritable vision! En tout cas, la commission Attali a brainstormé sur la croissance quasiment sans patrons de PME innovantes, sans incubateurs et sans sociétés de capital risque (même si Jacques Attali en fréquente personnellement). Bref, il n’a pas été fait appel sérieusement à l’écosystème de l’innovation ! Alors que l’on n’a pas oublié le DG du CNRS ni la fédération des taxis, des notaires ou des pharmaciens. Vieille France !

Après ce petit tour, j’en conclue que les conclusions de la Commission Attali sont plutôt bonnes dans l’ensemble avec une vision d’ensemble rarement vue dans un rapport pour réformer la France. Mais la commission aurait pu traiter plus directement le sujet de la croissance et de la compétitivité en faisant un peu plus appel au privé dans ses consultations.

Cela n’empêchera pas les bonnes idées du rapport d’être mises en place. La Commission a réalisé un gros travail en peu de temps. Il y a certes de la réutilisation d’idées d’autres rapports, une cohérence parfois mise à mal, mais l’ensemble se tient tout de même et mérite d’être repris par les politiques.

C’est maintenant au gouvernement et aux politiques d’agir, mais sans se couper des lumières de la “société civile” (expression consacrée mais un peu dépassée). Espérons juste que les aléas économiques, politiques (municipales) et des corporatismes bruyants ne calment pas l’ardeur des réformes.

RRR

 
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