Marketing de l’informatique d’entreprise en France
Post de Olivier Ezratty du 4 avril 2008 - Tags : Logiciels,Logiciels libres,Marketing,Microsoft,Startups | 18 Comments
J’avais été marqué en 1997 par plusieurs benchmarks présentés par le PDG de Bull, Jean-Marie Descarpentries dans un keynote au Comdex à Paris. Il décrivait le retard de la France en matière d’usage des TIC et l’impact que cela avait sur sa compétitivité. Onze années plus tard, malgré les progrès réalisés dans le pays, on en est toujours au même point. Le retard de la France dans la consommation d’IT est chronique. Les anglais consomment environ 70% plus d’IT par habitant que les français. Ceci est vécu de l’intérieur par toutes les boites IT qui ont un pieds dans la France et le Royaume Uni, et plus généralement, qui peuvent comparer la réactivité de l’ensemble des pays européens et mondiaux aux nouvelles technologies.
Nombreuses sont les réflexions au niveau des lobbies industriels (Syntec, AFDEL, Cigref, etc) pour comprendre ces phénomènes et réduire le retard français. Beaucoup d’efforts sont faits pour sensibiliser les pouvoirs publics. Nous allons tenter de fournir les explications pratiques de ce retard, liées au comportement des informaticiens et clients français de technologies de l’information.
Le marketing de l’IT en France est en effet assez ardu pour les éditeurs. C’est un sujet un peu tabou et peu débattu. En gros, tous les éditeurs de logiciels et constructeurs informatiques constatent – mais se gardent bien d’afficher – que le marketing et la vente des produits IT destinés aux entreprises sont plus difficiles en France que dans la plupart des autres pays. Quel est ce phénomène ? Comment se manifeste-t-il ? D’où vient-il ? Quelles leçons en tirer ? Comment le contourner pratiquement ?
L’exemple des séminaires et conférences
J’ai assisté cette semaine à l’Adobe AIR Tour à Paris, occasion de faire le point sur les technologies RIA (Rich Internet Applications) de l’éditeur, et de Flex et AIR en particulier. L’auditorium de la Bourse était à moitié plein, avec environ 200 participants, ce qui est modeste au regard de l’importance d’Adobe dans le marché du RIA. Adobe avait obtenu 600 inscrits. Mais la conférence était en anglais, ce qui n’aide pas beaucoup en France.
En règle générale, il est plus difficile de faire bouger des informaticiens et développeurs français dans des événements, notamment des conférences ou séminaires. A fortiori s’ils sont ou payants, ou en anglais, ou à l’étranger, ou une combinaison de ces inconvénients.
J’ai aussi vécu cela chez Microsoft avec leur grand événement européen TechEd créé au début des années 1990. Payant (environ 1700€ pour quatre jours de conférence), en anglais et le plus souvent à l’étranger, il cumulait les handicaps pour attirer des participants français. Alors que la conférence attire environ 5000 participants, il est très difficile d’attirer plus de 200 français, le record ayant été atteint en 1996 avec 600 participants alors que l’événement avait lieu à Nice et que des efforts marketing sans précédents (voire délirants) avaient été déployés. Il n’est pas rare d’avoir plus de participants de pays européens bien plus petits que la France, que de participants français. Quand il s’agit d’envoyer des français outre-Atlantique, c’est encore plus difficile. Combien de français participent à JavaOne à San Francisco, vont au CES à Las Vegas ou participent aux conférences sur le Web 2.0 ? Le chiffre n’est pas public, mais officieusement, il est très faible. Ce décalage n’est donc pas spécifique à Microsoft. On le retrouve chez de nombreux autres éditeurs et constructeurs américains. Chez Sun, Oracle ou Adobe pour ne prendre que quelques exemples.
En France, l’informaticien est donc sensible et au prix, et au lieu, et à la langue parlée dans une conférence. Plus que tous ses collègues européens. Quand ces obstacles sont surmontés simultanément, et avec un contenu de qualité, le succès peut être au rendez-vous. Les TechDays de Microsoft en sont l’exemple le plus éclatant : 16000 participants cette année vs 13000 en 2007, plus que tout autre événement de Microsoft organisé en Europe de tous les temps. Les conférences REMIX sur les technologies de développement Web organisées à Paris attirent entre 300 et 500 développeurs, bien plus que la conférence Adobe AIR de cette semaine. Alors pourtant qu’Adobe a une meilleure part de marché dans les technologies web. Les autres éditeurs n’aboutissent pas toujours à ce résultat car soit ils manquent de moyens, soit, comme Adobe, ils n’ont pas encore persuadé leurs centres de décision américains du besoin d’avoir une approche “locale”.
Les lacunes dans la compréhension de l’anglais chez nos ingénieurs informaticiens sont bien connues et vérifiées dans la pratique. Nous sommes avec les japonais et les espagnols les plus déficients de ce point de vue là. Tant dans la compréhension que dans l’expression. Dans les réunions internationales, cela nuit à notre efficacité pour pousser idées et projets. Mais aussi pour se mettre au parfum.
Autre phénomène : le “taux de chute”, diable de l’imprévision pour le marketeur. C’est le ratio entre le nombre d’absents et le nombre d’inscrits à un événement. En moyenne, il était de 30 à 40% dans les années 1990. Maintenant, il dépasse allègrement les 50%. Les sollicitations nombreuses expliquent peut-être cette augmentation.
Il y a une autre caractéristique des audiences IT en France : la grande méfiance par rapport aux discours marketing. Les anglo-saxons acceptent ces discours sans trop broncher alors qu’ils exaspèrent les français. Le temps passé dans les événements doit être un temps utile. Donc, pas de blabla, du concret, des démos. C’est ce qui a fait le succès des DevDays, devenus les TechDays chez Microsoft. A contrario, il est difficile d’attirer du monde avec des séminaires dits “solutions” présentant des produit verticaux pour des audiences “métier” ou “décideurs”.
Cycles de vente
Les séminaires et événements ne sont qu’une partie d’une situation difficile pour les fournisseurs et qui concerne l’ensemble du cycle de vente dans les entreprises. Comment cela se manifeste-t-il ?
Bref, le client (informaticien) français mérite largement sa réputation de “difficile” ! Une partie de ces comportements s’explique par l’appréhension du risque et la peur du changement. Mais pas seulement. La culture managériale des entreprises est aussi en cause.
On peut aussi faire le lien avec la faiblesse de l’industrie informatique locale. Cette industrie est essentiellement faite de SSII, plus lentes à adopter les innovations technologiques que les constructeurs et les éditeurs de logiciels. Les développeurs et autres informaticiens de SSII sont facturés au projet et à la journée et il leur est laissé peu de temps pour faire de la veille technologique ! Sauf en inter-contrats, et encore.
Quelques exceptions
Tout n’est pas si difficile que cela en France. Il existe quelques cas particuliers où la France est plus réceptive aux nouvelles technologies :
Conséquences
La structure de coût de la vente et du marketing de l’IT est plus élevée en France qu’ailleurs. Et cela ne tient pas seulement, loin de là, aux charges sociales et patronales qui rendent le coût du travail élevé en France. Ces coûts de structure ne sont pas benchmarké officiellement, mais c’est mon expérience chez Microsoft, partagée ensuite avec de nombreux autres acteurs de l’IT en France avec qui j’ai pu en discuter en toute liberté. Les responsables des filiales françaises de ces éditeurs se voient régulièrement reprocher la marge qu’ils génèrent, bien plus faible que dans les autres pays européens où le business est plus facile.
Alors que faire ? Voici quelques recettes…
Pour les grands éditeurs : concentrer les investissements sur un nombre plus réduit d’opérations impactantes, bien exécuter le “tir croisé” en marketing (multiplier la variété des sollicitations des clients), investir lourdement pour créer les premières références clients qui génèreront ensuite un effet de suivisme, localiser le marketing, organiser ses événements en français avec des ressources locales et éviter les conférences payantes. Il faut aussi bannir le “pipo marketing”. Et prévoir qu’il faudra plus d’investissements marketing pour obtenir le même résultat que dans d’autres pays européens. Cela sera amorti ensuite dans la durée.
Pour les startups : c’est simple, il faut s’internationaliser rapidement car le marché intérieur est à la fois lent et étouffant, sauf quelques bonnes surprises, notamment avec des clients internationaux et dynamiques (L’Oréal, Accor, etc) car de culture très hybride – anglo-saxonne et française -, et qui peuvent à la fois générer de belles références clients communicables, et ouvrant les portes dans d’autres pays.
Avez-vous pu constater les phénomènes que je décris ? C’est le moment de se lâcher !
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