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Ecosystèmes virtuels ou réels ?

Post de Olivier Ezratty du 16 juin 2008 - Tags : Economie,Enseignement supérieur,Entrepreneuriat,France,Innovation,Startups | 5 Comments

L’un des facteurs clés de succès de la Silicon Valley souvent mis en avant est la taille et la concentration de son écosystème. Il est centré autour de l’université de Standford à côté de laquelle se trouve Sand Hill Road à Palo Alto, la rue où sont rassemblés l’essentiel des VC (sociétés de capital risque) qui comptent. Puis tout le reste autour à moins d’une demi-heure de route, notamment une palanquée de sociétés de services divers: avocats, spécialistes en propriété industrielle, agences de design, agences de presse, agences de communication, etc. Et surtout, au delà de milliers de startups, les sièges et/ou laboratoires de R&D d’entreprises mondiales puissantes et pourvoyeuses d’emplois de haut niveau : Google, Yahoo, eBay, Sun, Cisco, Hewlett-Packard, IBM, etc. Le rôle de l’université de Stanford dans la Silicon Valley, tout comme celui du MIT sur la côte est des USA, sont reconnus comme fondamentaux dans la création de ces écosystèmes d’innovations.

En Europe, notre fragmentation de l’enseignement supérieur est endémique. Et l’approche la plus courante pour essayer d’égaler la Silicon Valley consiste à créer des écosystèmes très distribués ou virtuels, faute de mieux. En estimant notamment que les technologies de la communication, exploitées de manière exemplaire, permettent de s’affranchir des distances.

Est-ce donc la bonne approche ? Pas si sûr !

Nous avons quelques exemples sous la main :

  • Le “MIT Européen” (European Institute of Innovation and Technology) est cours de création par l’Union Européenne est un groupe d’universités distribué sur plusieurs campus européen (Barcelone, etc). Elles sont regroupées transversalement en “Knowledge and Innovation Communities”… virtuels ! Difficile d’atteindre la taille critique avec cette approche dispersée. Donc, peu de chances de recréer une Silicon Valley ou quoi que ce soit d’approchant. Tout au plus va-t-on améliorer à la marge la recherche collaborative entre laboratoires européens.

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  • Le concept des PRES (Pôles Régionaux d’Enseignement Supérieur), lancés en avril 2006, et qui sont en train d’être mis en oeuvre comme UniversSud Paris, regroupant l’Université d’Orsay, l’ENS Cachan, Supelec, Centrale Paris et d’autres. En région parisienne, nous avons également Paristech qui regroupe uniquement des grandes écoles soucieuses de “rester entre elles” (Polytechnique, certaines de ses écoles d’application, l’ENSAM, Agro et Physique et Chimie Paris) et Paris Est Université centré autour de Marne la Vallée. Ces structures virtuelles pourraient permettre d’atteindre une taille critique vue des classements internationaux et pour la communication (les travaux de recherche sont signés des PRES, par exemple “UniverSud Paris”). Ils sont aussi destinés à favoriser la collaboration entre établissements, notamment entre universités et grandes écoles. Mais ce n’est pas suffisant car l’absence de rapprochement physique et de synchronisation des offres d’enseignement limitent l’impact réel au niveau de la “cross-pollinisation”. Le rapport ci-dessous qui date de septembre 2007 est toujours d’actualité presque un an après. Il montre la complexité et la lenteur des rapprochements entre établissements d’enseignement supérieur.

Rapport PRES

  • Les pôles de compétitivité, lancés en 2005. Ils sont parfois articulés autour d’un centre universitaire, mais surtout autour de grandes entreprises. Ils sont trop monolithiques dans leur approche – exclusivement monothématique -, trop nombreux (71) et n’ont pas donné lieu à une véritable restructuration du territoire (grandes écoles, universités, etc). Et on soupoudre des subventions d’un “fond d’aide interministériel” sur des projets après appel d’offre plus ou moins semestriel (tout de même 830m€ sur 3 ans, détails ici), en plus des aides des diverses agences publiques (Oséo, ANR, et de la CDC) et de diverses exonérations fiscales. Cette mise en réseau des entreprises d’un même secteur est louée par ses bénéficiaires. Mais pour quels résultats probants à ce jour ? Le bénéfice avancé est “la mise en réseau” et la création d’un certain nombre de partenariats entre laboratoires, PME et grandes entreprises. Le paradoxe est que ce genre de mise en réseau est plutôt fermé, et limité aux thèmes des pôles. Alors que l’innovation nait souvent de la rencontre entre disciplines et marchés très différents.

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Le hic avec tous ces écosystèmes virtuels, c’est qu’ils ne peuvent pas être aussi efficaces que les écosystèmes du monde réel, très concentrés géographiquement. Ce sont de nouvelles approches de gouvernance, pas des ruptures de fond permettant de véritable changer la donne et créer des écosystèmes plus concentrés et dynamiques.

Pourquoi donc ? Parce que la création d’entreprises requiert une proximité physique entre ses principaux acteurs. Elle requiert une forte relation de confiance entre chercheurs, entrepreneurs, investisseurs et accompagnateurs divers. D’où le besoin de rencontres physiques malgré les progrès des outils de télécommunication: visioconférences, SkyPe, VOIP etc.

C’est un peu comme pour créer une bombe atomique ou même une centrale nucléaire : il faut créer une masse critique sans cela, elles ne fonctionnent pas. Ici, c’est la même chose : sans concentration des talents, l’écosystème n’éclot pas ou alors, il fonctionne au ralenti. On en est donc encore au stade de l’Uranium appauvri qui sort à peine de la mine ! Sachant que l’on parle ici de l’impact dans la création de PME innovantes capables de se développer rapidement.

Ceci n’est pas pour autant contradictoire avec une évolution majeure : le concept “d’innovation ouverte” qui voit le processus d’innovation dépasser de loin le cadre des laboratoires de grandes entreprises ou de recherche, et devenir très collaboratif et fait de réutilisation et transferts divers, maintenant à l’échelle planétaire. Il faut donc d’un côté des masses critiques, mais interconnectées les uns aux autres. Et notamment, faire plus circuler les élites de ces établissements dans les meilleurs équivalents mondiaux.

La difficulté de création d’écosystèmes concentrés “réels” réside dans le coût des restructurations physiques. Elles demandent des moyens financiers considérables, sortes de “plan Marshall” de l’enseignement supérieur et une vision à long terme. Et aussi, de passer outre les baronnies qui empêchent des regroupements. Valérie Pécresse en fait actuellement l’expérience dans la mise en oeuvre des PRES qui vise ultimement à créer des rapprochements physiques et des fusions d’établissements. L’approche actuelle et coercitive basée sur les financements des PRES, pourrait lentement aboutir à quelques résultats.

Il serait cependant préférable que la voie soit tracée plus clairement vers des regroupements. Cela demande une vision politique forte, pas simplement l’exercice d’une certaine forme de machiavélisme. Même s’il faut savoir gérer la “concertation” avant d’annoncer quoi que ce soit dans le pays. Pour l’instant, les changements sont trop lents à aboutir, et le monde, lui, continuer d’avancer plus vite que nous !

RRR

 
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