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Valeur enlevée du logiciel

Post de Olivier Ezratty du 12 mai 2007 - Tags : Logiciels,Microsoft | 9 Comments

Certains détracteurs de Microsoft ont souvent enfourché le cheval de bataille de l’obésiciel, ou “bloatware“. Roberto Di Cosmo avait vulgarisé cette notion dans son acrobatique brûlot contre l’éditeur publié en 1998, le “Hold Up Planétaire”, qui est maintenant disponible en téléchargement.

L’obésiciel serait cette tendance condamnable des éditeurs de logiciels, Microsoft en premier, à augmenter sans cesse le nombre de fonctionnalités des logiciels pour justifier la vente de mises à jour. En fait, c’est un phénonène relativement normal : il s’appuie sur l’évolution de la puissance des microprocesseurs et la baisse du coût de la mémoire et du stockage. Il n’y a pas tant de manières différentes de faire vivre un logiciel : augmenter ses fonctionnalités, sa rapidité, son interopérabilité, sa sécurité et sa fiabilité. Et comme l’ajout de fonctionnalités ne justifie pas normalement d’en enlever qui existent déjà, il se développe une entropie naturelle des logiciels. C’est d’ailleurs également le cas des logiciels libres. Un Linux, un MySQL, un TheGIMP d’aujourd’hui sont bien plus riches et nécessitent plus de stockage et de mémoire qu’à leurs débuts. C’est aussi le cas du lecteur Adobe Acrobat Reader qui est devenu une véritable usine à gaz à tel point que j’utilise maintenant à sa place FoxIt Reader, un lecteur aussi gratuit, mais au chargement presque instantané.

Ce post a pour objet de jouer le contre-point de cette notion d’obésiciel et de mettre en évidence le cas opposé où de la valeur est enlevée aux logiciels dans leurs nouvelles versions et avec un impact négatif pour certains utilisateurs. Je vais m’appuyer sur quelques exemples qui concernent Microsoft et me gênent particulièrement. Mais on pourrait certainement faire une analyse équivalente chez d’autres éditeurs.

Commençons par le constat. Dans les dernières versions de Windows et d’Office, Microsoft a revu l’interface utilisateur de ses logiciels, mais en a profité pour les simplifier au point de retirer parfois des fonctionnalités qui étaient bien pratiques. Leur équivalent maintenant est certes toujours possible, mais au prix de manipulations bien plus complexes. Ce sont peut être des détails, mais ils me font perdre du temps au quotidien.

Valeur enlevée dans Windows Vista

  • On ne peut plus déclencher son scanner directement à partir de la fenêtre “My Computer” (cf ci-dessous, un scanner et un appareil photo qui apparaissaient dans “My Computer” sous Windows XP).   On le verra plus tard, ce n’est pas plus facile dans Office 2007. Il faut pour ce faire lancer Windows Photo Gallery. Et d’ailleurs, on ne peut pas y scanner plusieurs pages à la suite, il faut relancer à coup de clicks multiples l’outil de scan pour chaque page à scanner. Le nouveau “My Computer” de Windows Vista est plutôt devenu un “My Storage” puisqu’il ne contient plus que les disques internes ou externe et liens réseaux pour accéder à des fichiers, mais plus aucun autre périphérique permettant d’accéder à des données comme les appareils photo, caméras et scanners.

  • Il me semble que sous Windows XP, on pouvait accéder à sa webcam à partir de “My Computer”. Maintenant ce n’est plus possible. Si une webcam est reconnue au niveau matériel par Vista, aucun logiciel de Windows Vista ne permet de l’utiliser. Alors, on peut toujours installer de Windows Media Encoder dont le téléchargement est gratuit avec les Windows Media Tools 9.0, mais c’est un outil technique pas orienté utilisateur.
  • On ne peut pas non plus accéder à sa webcam à partir de Movie Maker! C’est un comble. Ce serait pourtant bien pratique d’enregistrer directement une petite vidéo à partie de cet outil! Mais cette fonctionnalité n’a peut-être jamais existé donc elle n’a pas forcément été retirée de Movie Maker.
  • La gestion des écrans en mode dual screen est devenue un cauchemard, en tout cas avec les drivers nVidia. Le changement du modèle de programmation des pilotes de périphériques a été dur à prendre en compte par les développeurs de ces processeurs graphiques. Six mois après la sortie de Vista en novembre 2006, nous n’avons toujours pas de pilotes qui fonctionne correctement avec Vista pour les cartes graphiques des laptops pour le mode double écran. Je constate sur deux ordinateurs différents de nombreuses bizarreries qui sont trop longues à énumérer ici, certaines ayant lieu lorsque l’on connecte le laptop à un projecteur pour une présentation.
  • Petit détail, le bouton “Search” dans le menu Windows/Start ne trie pas les résultats de la même manière qu’avant avec Windows Desktop Search. Résultat: les contacts n’arrivent pas en premier, ce qui est pourtant bien pratique lorsque l’on recherche les coordonnées d’un contact à partir du bureau (cf ci-dessous).

  • Il n’est plus possible de synchroniser son mobile sous Windows Mobile avec le Wifi et Active Sync. Cela s’explique par des contraintes de sécurité. Mais c’est tout de même curieux qu’aucune solution n’ait été trouvée!
  • L’interface de Media Center a changé par rapport à celle de Windows XP Media Center. Problème: elle est bien moins élégante et bien plus complexe que celle de Windows XP. On a perdu la simplicité comme fonctionnalité!

Bien entendu, heureusement, il y a des nouveautés intéressantes dans Windows Vista qui font qu’il est difficile de revenir en arrière (search un peu partout, le gestionnaire de fichiers, Photo Gallery, la sécurité, etc). Mais il est vraiment consternant de constater que certains détails bien pratiques passent à la trappe.

Valeur enlevée dans Office 2007

Les modifications de l’interface utilisateur d’Office 2007 sont encore plus troublantes que celles de Windows Vista car il n’y a aucun moyen de revenir en arrière alors, qu’encore, avec Vista, on peut modeler son bureau un peu à sa guise.

  • Les barres d’outils personnalisables ont disparu. On ne peut plus maintenant qu’ajouter des icones, bien petites, au dessus de la barre de menus. Mais pas les organiser comme on le souhaite dans plusieurs barres d’outils.

  • Les “ruban” (ribbon) complique les tâches et il est difficile de s’y habituer même après plusieurs mois d’usage. J’ai constaté une réelle baisse de productivité dans l’usage quotidien dès que je souhaitais mettre en page un document, aligner des objets dans Powerpoint et modifier leur style, etc. La raison est simple : pour enchainer plusieurs actions qui dépendent de plusieurs rubans différents, il faut à chaque fois chercher où elles se situent, et comme leur arrangement n’est pas toujours très logique et qu’il ne peut pas être personnalisé, on perd systématiquement du temps à trouver la fonction. Essayer de modifier la police de deux rectangles et de les aligner sous Powerpoint et comparez le nombre de clicks entre Powerpoint 2003 et 2007…
  • On ne peut plus synchroniser des tableaux Excel avec des listes sous Sharepoint. Cela ne me gêne pas, mais ceux qui se sont habitués à ce mode de fonctionnement en entreprise en sont pour leurs frais.
  • On ne peut plus importer d’images à partir d’un scanner dans Office (comme dans Office 2003, cf ci-dessous). L’aide en ligne indique qu’il faut lancer son logiciel de scanner préféré, scanner son image, la sauvegarder quelque part et ensuite l’importer à partir d’Office. Résultat: c’est bien plus long alors qu’avant, cela se faisait en quelques clicks. Quel est l’imbécile qui a pu décider qu’il en soit ainsi et pourquoi donc?

Le “instead, you can add pictures from your camera or scanner by downloading the pictures to your computer first, and then copying them from your computer into PowerPoint or Excel” de l’aide en ligne ci-dessous est vraiment fort de café! Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué?

  • Les macros Word de son normal.dot ne sont pas prises en compte lors de la migration d’Office 2003 à 2007. Résultat, il faut se débrouiller pour le récupérer à la main et les réassocier à des boutons dans cette petite barre. Au passage, aucune information n’indique que le normal.dot n’a pas été récupéré après la migration!
  • Quand vous lancez une présentation Powerpoint en public, vous obtenez une boite de dialogue avec une alerte de sécurité (ci-dessous). Elle est liée à ce que des contenus tels que des images ont pu être copiés dans la présentation à partir de sites externes, Internet ou Intranet. Et ces contenus pourraient être mis à jour au moment du déroulement de la présentation et présenter des risques de sécurité. Certes. Mais petit problème : quand on présente, on est souvent avec un laptop en mode double écran et il n’est pas toujours facile de déplacer la souris d’un écran à l’autre pour valider cette boite de dialogue. Et puis, il serait intéressant de paramétrer cela autre part car cela fait toujours désordre de démarrer une présentation en public avec ce genre de message!

  • L’interface utilisateur d’Access 2007 (j’utilise cette base depuis la première mouture sortie en 1992) est devenue bien alambiquée. On ne s’y retrouve plus du tout. Il est bien difficile de sauvegarder une requête ou d’en copier une sous un autre nom (cf ci-dessous, le menu contextuel sur une requête… plus de “Save as…”). Les menus contextuels ne fonctionnent plus comme avant. L’interface utilisateur est devenue un véritable souk généré par un apprenti ergonome qu’il faudrait muter sur un ile déserte dans le Pacifique!

  • La fonction permettant de déclencher une animation d’objet dans le menu contextuel des objets dans Powerpoint a disparu (cf ci-dessous à gauche le nouveau menu sans “custom animation” et à droite, le menu équivalent dans Office 2003 avec cette fonction).

 

  • L’accès aux Services Web dans Excel était auparavant possible via VBA. Il nécessite maintenant de passer par l’outil de développement Visual Studio. Tant pis pour ceux qui appréciaient de travailler dans l’environnement VBA d’Office! C’était trop simple, et maintenant, il leur faudra faire dans le compliqué!C’est tout le contraire d’une démocratisation de leur usage. Alors qu’au contraire, il aurait fallu que Microsoft propose un accès directement aux utilisateurs avec la possibilité de fournir les caractéristiques d’un service Web pour y accéder à partir de cellules. On est bien loin de la promesse des services Web de l’annonce de .NET en 2001!
  • Je reçois dans Outlook des mails avec des lettres accentuées converties en signes cabalistiques sur certains mails. Je ne sais pas trop pourquoi mais imagine qu’un processus de conversion a été oublié, alors qu’il existait auparavant. Mais cela peut concerner autant Outlook que Vista ou les serveurs de messagerie (dont Hotmail). 

Ce qui est curieux avec Office, c’est que nombre de ces évolutions partent d’une bonne intention: simplifier l’interface utilisateur, améliorer la visibilité des fonctionnalités, accélérer la prise en main. Résultat: c’est apprécié par certains, mais les utilisateurs experts y perdent leur latin et perdent au passage un temps précieux.

Valeur enlevée dans Hotmail

L’accès à sa boite aux lettres Hotmail à partir d’Outlook (ou Outlook Express) a subit le plus d’aléas dans ce service. Il fut un temps où il était possible de le faire, si son compte Hotmail avait été créé il y a suffisamment longtemps. Puis, Microsoft a décidé de supprimer cette fonctionnalité pour les comptes créés plus récemment. Pour obtenir ce support dans Outlook, il fallait s’abonner à une formule Premium de MSN. Ce support d’Outlook est réapparu “comme nouveauté” cette semaine avec l’annonce de la dernière évolution de Hotmail, Windows Live Hotmail. On comprend bien le pourquoi de ces atermoiements. Microsoft a intérêt d’encourager ses utilisateurs à utiliser Hotmail à partir de l’interface Web car elle contient de la publicité qui permet de monétiser le service. Mais lorsque l’on a plusieurs boites aux lettres, on peut préférer utiliser un client de messagerie tel que Outlook. Et là, pas de publicité. Donc, pas de monétisation.

L’autre problème pour Hotmail, c’est qu’il n’est toujours pas possible d’y accéder à partir des standards POP3/IMAP qui sont supportés dans tous les logiciels client de messagerie et dans presque tous les emails gratuits (Yahoo, Gmail) et ceux de votre fournisseur d’accès Internet. Microsoft préfère garder ses clients dans la sphère de l’éditeur et donc tolère l’usage d’Outlook, mais pas d’un autre client de messagerie. Cela se comprend mais si l’on est soucieux d’utiliser son mail où bon nous semble, Hotmail n’est pas un bon choix!

Je me suis ici contenté de logiciels très diffusés, mais on pourrait faire le même inventaire avec d’autres logiciels de l’éditeur.

Le pourquoi du comment

Il est courant que des fonctionnalités soient enlevées entre les phases bêta et la version finale des logiciels. Ce genre d’événement n’affecte pas un grand nombre d’utilisateurs. Il risque juste de déçevoir les bêta testeurs. Et il s’explique par un arbitrage fonctionnalité / délai opéré par l’éditeur. Mais la suppression de fonctionnalités a un impact bien plus important.

Les “program managers” de Microsoft aux USA sont ces gars qui décident des évolutions des logiciels en fonction à la fois d’impératifs marketing et d’impératifs de coûts et de délais. Ils ont une vision très statistique du monde. S’ils considèrent que seulement 95% des utilisateurs exploitent une fonctionnalité, ils peuvent tout bonnement décider de l’enlever. En oubliant que les 5% qui sont pénalisés représentent parfois des millions d’utilisateurs, souvent expérimentés, vocaux et donc influents. Ils peuvent aussi privilégier les nouveaux utilisateurs (comme avec ces foutus rubans dans Office 2007) au détriment d’une part significative des utilisateurs existants. Ce sont des arbitrages bien délicats et déstabilisants pour la base installée. Arbitrages qui pourraient être réalisés en tenant plus compte de la base installée en permettant par exemple un fonctionnement dans l’ancien mode. Comme lorsque l’on peut configurer l’interface utilisateur de Windows XP pour reprendre celle de Windows 98 ou Windows 2000.

Par ailleurs, l’impact de ces suppressions, comme ce qui concerne les macros et le développement peut se retourner contre l’éditeur. Ces fonctionnalités sont exploitées par l’écosystème de l’éditeur. Si ce qui génère l’adhérence à la plate-forme n’est pas préservé dans le temps, cela augmente l’intérêt d’aller voir ailleurs et réduit le coût de migration. A l’heure où OpenOffice et Linux pointent sérieusement du nez, l’attitude de Microsoft est donc pour le moins risquée. Même si c’est certainement un risque mesuré et modéré de leur point de vue.

Il est probable que ma petite liste de valeur enlevée est incomplète. Elle n’est liée qu’à mon usage personnel, mais je suis certain que certains d’entre vous pourraient la compléter. Tout comme relativiser ou bien amplifier mon point de vue. A vous de voir!

Et j’espère au passage que mes anciens collègues de MS remonteront cela à qui de droit…

RRR

 
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