Trop d’Etat, oui mais où ça? (6)
Post de Olivier Ezratty du 10 mars 2007 - Tags : Economie,France,Politique | 5 Comments
Après avoir balayé le budget de l’Etat et découvert ses grandes composantes, force est de constater qu’il est plus facile de dénoncer le trop-plein de dépenses que d’identifier des coupes franches et claires.
Je vais terminer cette longue (isn’t it?) série de posts par un point sur le chiffrage des programmes, quelques rappels sur la dette du pays, un rapide point sur les collectivités locales (qui mériteraient une analyse plus fouillée) et lister quelques approches possibles pour réduire le périmètre de l’Etat sans affecter ses missions clés.
Sur le chiffrage des programmes
On peut évidement commencer par remettre en cause le bien fondé de ces coupes mais il faudrait déjà commencer par ne pas prévoir de dépenses supplémentaires. Je fais donc mien ce commentaire d’économistes qui trouvent absurde que Ségolène Royal autant que Nicolas Sarkozy multiplient les promesses qui représentent plus de 35md€ de dépenses supplémentaires dans le meilleur des cas, rien que pour l’Etat. Pour l’une comme pour l’autre, avec peut-être des effets économiques positifs induits, mais assez hasardeux.
Nicolas Sarkozy promet de plus des baisses de prélèvements, certaines allant un peu trop loin comme la suppression de certains droits de succession. Mais ces baisses ne devraient effectivement avoir lieu qu’après qu’un nettoyage du budget de l’Etat et une stabilisation de la dette qui lui permette d’absorber ces baisses de recettes.
François Bayrou ne fait pas mieux car s’il équilibre bien ses propositions de dépense avec des économies ou recettes supplémentaires, il ne s’attaque pas véritablement à la “surface” de l’Etat. Et sa proposition de loi interdisant d’utiliser le déficit budgétaire pour financer le fonctionnement de l’Etat, et pas les investissements, est un non sens. En effet, le déficit sert aujourd’hui à payer les intérêts de la dette, même pas à investir! Voici à nouveau ce schéma de mon premier post sur le “Trop d’Etat, mais où ça?” :
Je ne parle pas des autres candidats car leurs notions d’économies ne vont en général pas bien loin et ils n’ont pas de programme assez complet pour être analysé. On trouve en vrac des suppressions violentes de charges sociales pour les PME, sans financement des dépenses associées de protection sociale, des suppressions d’impôts sur le revenu, des augmentations significatives du SMIC sans amélioration de la compétitivité des entreprises concernées, ou le doublement du budget de la défense (chez Le Pen), soit à lui tout seul 39md€… Bref, ce n’est pas très sérieux!
C’est en partie liée au fait qu’ils ne sont pas affiliés à des partis représentés à l’Assemblée Nationale. La substance des programmes des grands candidats de la Présidentielle provient beaucoup en effet du travail de leurs députés au sein de leur groupe parlementaire. Et pas juste des “débats participatifs” qui s’ils permettent d’identifier des besoins au niveau de la population, ne permettent pas pour autant de définir des orientations stratégiques sur la manière de les satisfaire et de les prioritiser.
Les candidats, souvent de gauche, évoquent souvent des réformes de la fiscalité. Souvent, plus taxer encore plus “les riches” alors qu’ils le sont plutôt plus que dans la moyenne européenne. Et que les faire encore plus fuir de France (soit intuitu personae, soit les entreprises et leurs sièges) ne ferait qu’appauvrir la France.
Si la question de la fiscalité mérite d’être revue pour réduire le périmètre de l’Etat, c’est dans les économies sur le coût de la collecte. Mais dans l’ensemble, la fiscalité est un sujet à part au regard de celui de la réforme de l’Etat et de la diminution des dépenses publiques.
Sur la dette publique
Le déficit budgétaire n’est pas véritablement de 42md€ mais en fait, de 106md€ car en plus des intérêts, il faut la rembourser cette dette, pour 72md€ en 2007!
Autre manière de voir les choses: le remboursement de la dette dans son ensemble correspond au quart du financement de l’Etat (106,5md€ sur un total de 106,5+265+31, soit exactement 26,4%). Pour réduire la dette, il faudrait ne plus emprunter pour la rembourser, et financer son remboursement sur les recettes normales de l’Etat. Mais la part de l’emprunt qui sert à financer son remboursement n’est qu’une manière de la stabiliser au lieu de la diminer. Contrairement au particulier, L’Etat peut se permettre d’avoir une dette stable ou en augmentation au lieu de la rembourser.
Le calcul est donc plus complexe qu’il n’y parait. On peut stabiliser la dette si en gros, le déficit budgétaire n’est pas supérieur à la différence entre les taux d’intérêts moins l’inflation et la croissance du PIB. Cette lettre de l’OFCE publiée début 2006 “Faut-il réduire le déficit public” l’explique et relativise les conclusions alarmistes du rapport Pebereau qui avaient servi de base à la communication de Thierry Breton sur la rigueur budgétaire de l’Etat pendant toute l’année 2006. Ces économistes indiquent ainsi que la réduction de la dette n’est pas une fin en soi. C’est plutôt sa stabilisation qui est critique.
J’ai essayé de synthétiser l’aspect chiffré de cette publication de l’OFCE ici:
Pigé? Pas évident… :). Ce post du site Débat 2007 explique en tout cas cela mieux que moi.
En tout cas, ce qu’il faut comprendre, c’est que la dette est stabilisée si les taux d’intérêt équivalent à la somme de l’inflation et de la croissance du PIB. C’est à peu près le cas aujourd’hui ce qui permet au budget 2007 de stabiliser la dette de l’Etat. Mais si la croissance du PIB n’est pas au rendez-vous ou que les taux d’intérêt augmentent, la dette augmentera!
Sur les collectivités locales
C’est à ce niveau que les prélèvements ont le plus augmenté tout comme le nombre de fonctionnaires ces dernières années: +43% en 20 ans contre 12% pour l’Etat.
Et cela ne s’explique pas uniquement par la prise en charge par les collocs de dépenses jusqu’alors assumées par l’Etat: RMI/RMA, frais de fonctionnement des établissements d’enseignement primaires et secondaires, etc. Sur 20 ans, les budgets des collocs ont augmenté chaque année de 5,5%, bien au delà de l’inflation, hors dépenses liées aux compétences transférées par l’Etat!
Pour en savoir plus sur le sujet, j’ai trouvé deux sources d’informations très riches d’enseignement:
Ces différents rapports concluent notamment, comme la Cour des Comptes, à l’inefficacité des syndicats intercommunaux qui devaient servir à mutualiser certaines activités, mais n’ont fait qu’ajouter une couche de plus.
Un petit benchmark européen montre cette fragmentation des collectivités locales en France (sources: données 2003 provenant d’Eurostat, sauf la population de la France ajustée en 2006). Notre pays représente 30,5% du nombre de communes de l’Union Européenne actuelle, pour 13,9% de la population! les seuls pays qui ont moins d’habitants par commune sont l’Estonie, l’Irlande, Chypre, la Tchéquie et la Grèce. Il n’y a pas forcément de corrélation entre ces données et la performance économique de ces pays (l’Italie va mal et est ici mieux placée), mais c’est un handicap qui s’ajoute à de nombreux autres handicaps!
Conclusion? Oui à la décentralisation! Mais accompagnée d’une défragmentation des collectivités locales. Et là, il y a du boulot. Le Sénat sera mécaniquement contre du fait de son mode d’élection par les élus locaux et les querelles de chapelle – au propre comme au figuré – ralentiront toute réforme. Et pourtant, elle est bien nécessaire et nécessitera un grand courage politique pour ceux qui les déclencheront. Courage dont on entend peu parler au demeurant! Cela peut rapporter plus que la simple chasse aux dépenses inutiles telles que dénoncés régulièrement dans le gaspillothon de l’émission “Combien ça coute” de Jean-Pierre Pernot sur TF1!
Approches de réduction du budget de l’Etat
Alors, quelle approche envisager pour réduire le périmètre du budget de l’Etat?
Tout d’abord, il faudrait être certain que le problème est bien là, car il semble qu’une grosse part de la différence entre la France et les autres pays se situe dans la protection sociale et son coût plut que dans le coût de l’Etat. Un petit benchmark de plus s’impose qui manque bien au débat politique actuel!
Si on part du principe que l’Etat doit contrôler et réduire ses dépenses, il y a tout de même des solutions. De nombreux rapports font des propositions dans ce sens, que l’on pourrait classifier selon les cinq dimensions suivantes:
Une combinaison avisée de ces cinq approches permettrait assez rapidement de stabiliser la dette publique et ensuite, de la réduire, tout en augmentant la richesse produite par le secteur privé.
Dans mon petit tour des dépenses de l’Etat, j’ai en gros identifié:
Ma conclusion est que l’Etat n’est qu’un petit bout du problème et de la solution. Une grosse partie de la différence de prélèvements en France par rapport aux autres pays se situe dans le financement de la protection sociale. La seule manière de les réduire est d’arriver à augmenter l’emploi privé et réduire les charges liées au traitement social du chômage. Il faut également remettre à plat les retraites, mais déjà pour les rendre plus équitables, avant même d’envisager des économies, relativement illusoires avec le vieillissement de la population.
La marge de manoeuvre des politiques est en tout cas plus importante qu’on ne le dit, surtout sur le long terme. Les salaires représentent moins de la moitié des dépenses du budget de l’Etat. Le reste relève du fonctionnement – plus ou moins proportionnel au nombre de fonctionnaires, et d’un gros volume d’investissements et surtout de subventions diverses. La marge de manoeuvre se situe à tous les niveaux, même si la partie “fonctionnaires” ne peut pas évoluer par grands à coups.
Nos politiques – souvent de droite – qui veulent réduire le déficit et serrer la ceinture de l’Etat seraient donc bien avisés de nous indiquer la démarche qu’ils envisagent de suivre! Ceux de gauche gagneraient à démontrer une responsabilité nouvelle en s’engageant dans la même voie, sans pour autant renier le rôle de l’Etat. Bayrou, au centre, devrait creuser un peu plus ses notions d’économie, qui sont encore vagues.
Cette enquête s’arrête donc ici.
Je rassemblerai probablement dans les semaines ou mois à venir ces six posts sur le budget de l’Etat dans un seul document PDF que je mettrai à jour au gré de mes découvertes sur le sujet.
J’espère que tout ceci vous a au minimum informé et au mieux intéressé!
Sources d’informations et références
Voici un petit compendium des principales sources d’information utilisées dans cette série de posts sur le budget de l’Etat :
Lien du blog Opinions Libres : https://www.oezratty.net/wordpress
Lien de l'article : https://www.oezratty.net/wordpress/2007/trop-detat-oui-mais-o-a-6/
Cliquez ici pour imprimer
(cc) Olivier Ezratty - http://www.oezratty.net