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Trop d’Etat, oui mais où ça? (4)

Post de Olivier Ezratty du 3 mars 2007 - Tags : Economie,France,Politique | 1 Comment

Après l’éducation, le triplet défense-sécurité-justice, passons à la suite toujours par ordre décroissant de budget pour l’Etat, à commencer par le volet emploi-cohésion sociale et logement qui est le troisième poste de dépenses de l’Etat puis avec le Minefi.

Petit rappel des conventions au passage: md€ = milliard d’Euros, et m€ = million d’Euros.

Emploi, cohésion sociale et logement (21md€)

Le Ministère de Jean-Louis Borloo dispose d’un budget 2007 de 21md€ auxquels il faut ajouter 39,5md€ d’exonérations fiscales et de charges qui sont comptabilisées comme un manque à gagner dans les recettes de l’Etat. Soit un total de plus de 60md€. Il représente en tout 70200 agents, avec notamment le gros morceau de l’ANPE, soient 28000 personnes et un budget de 1,3md€.

Une grosse part du budget de ce Ministère est allouée en baisses de charges sociales pour les emplois faiblement qualifiés (voir le détail ici, sachant que le budget approuvé par les députés et les sénateurs est inférieur et se trouve détaillé ici). Il finance des contrats de travail aidés en tout genre et surtout de l’apprentissage en alternance (voir le tableau des contrats d’aide à l’emploi et d’alternance): 418000 jeunes concernés en 2007, vs 349000 en 2005… voilà un moyen d’améliorer les statistiques du chômage et probablement à bon escient puisqu’en théorie cette formation en alternance aboutit à une qualification liée aux besoins du marché:

Près de 80% du budget de ce Ministère relève de la redistribution sous forme de subventions et aides. Ce principe des allègements de charges sociales est souvent remis en cause. C’est à la fois un mécanisme de baisse du coût apparent du travail pour les métiers à bas salaire et un outil de redistribution puisque les coûts associés sont supportés par les autres salariés. Il y a de quoi s’interroger sur cette correction du coût du travail. Car même en allégeant les charges sociales au niveau des autres pays développés, les employeurs trouvent toujours que le travail coûte trop cher. C’est une boucle sans fin. Un exemple édifiant : 700m€ des 1,3md€ du budget de développement de l’emploi va aux métiers de l’hôtellerie et de la restauration qui se sont engagés à recruter en échange de baisses de charges. C’est la compensation du refus de la Commission Européenne de leur baisser la TVA à 5%. Cette promesse présidentielle non tenue a donc été remplacée indirectement par ces allègements de charges sociales! Un manque à gagner (TVA) a donc été remplacé par un coût budgétisé. Reste à vérifier son effet sur l’emploi qui n’est pas évident car il y a un autre problème à régler en amont : le manque de jeunes formés (et motivés) pour cette profession. Mais que deviendront ces aides à l’emploi lorsque l’on découvrira que l’économie de ce pays est aussi menacée par la délocalisation de la matière grise, avec la R&D qui se délocalise en Chine ou en Inde, au même titre que la production? Va-t-on aussi proposer des baisses de charges sur les salaires correspondants? Et dans ce cas, qui va payer les charges sociales dans ce pays? Juste les “classes moyennes” comme on les appelle?

Ce Ministère pourvoit également les aides à la ville, notamment la rénovation de quartiers et construction de nouveaux logements sociaux. C’est un effort qui n’est pas assez salué. La courbe de financement de logements sociaux de ces dernières années montre une progression depuis 2001. Pourquoi avait-elle connu une telle baisse pendant les quatre années du gouvernement Jospin? Pas évident. A l’époque, le marché de l’immobilier était moins tendu. Ce n’est pas une explication suffisante. Mais c’est aussi une responsabilité partagée avec les collectivités locales.

Le Ministère finance également 1md€ pour les exclus, et c’est en hausse régulière, qui couvrent entre autres les palliatifs comme les centres d’hébergements de SDF et des moyens divers de lutte contre l’exclusion. Il faut aussi compter 482m€ pour l’insertion des immigrés, en baisse de 19% en 2007 vs 2006.

On connait l’ANPE, l’AFPA et l’INED (Etudes Démographiques), mais ce Ministère aux attributions bien larges regroupe un incroyable cheptel d’organismes divers et notamment: DGEFP, DIV, DAGEMO, DARES, DGT, DPM, SDFE, DILTI, DIIESES, DRESS, SICOM, ANLCI, CLCBE, CNML, CNFPTLV, Conseil Supérieur de la Participation, INTEFP, CNCP, ANSP, CEREQ, ANACT, CEE, Centre INFFO, l’Acsé, ANAEM. L’organigramme est avec le détail pour chaque organisation ici. Chacun semble avoir son utilité, même si j’ai noté deux Directions différentes en charge des statistiques, et un travers classique de la fonction publique avec ces organisations à directions bicéphales avec un “patron du service” et un “adjoint au patron du service” à qui reportent toutes les équipes du service en question. Bel “overhead managérial” comme on dirait dans une boite américaine où l’on mesure le nombre moyen de collaborateurs qui reportent à chaque manager, avec un minimum “normal” d’environ cinq personnes! Que fait donc le “chef de service” dans l’organigramme ci-dessous (d’un bête service de communication)?

Alors, peut-on faire des économies dans ce budget?

Probablement oui et à long terme sur les aides à l’emploi qu’il faudrait revoir de fond en comble. Il faudrait lever cette ambiguité entre réduction des charges et mécanique de redistribution. Certes, il faudrait baisser les charges sociales et le coût du travail, mais voyez-vous, ce n’est pas dans le budget de l’Etat à proprement parler. Cela relève du financement de la protection sociale et de la santé qui sont en grande partie hors du budget de l’Etat. Par des transferts alambiqués, l’Etat transfère néanmoins à certains organismes sociaux les montants des baisses de cotisation sociales accordées dans le cadre de certains allègements.

La mécanique idéale serait : moins de charges sociales liées à la protection sociale (pas à la santé) générant une baisse du coût du travail et plus d’emploi, donc moins de chômage et de subventions à l’emploi. C’est la théorie libérale qui aurait fonctionné aux USA et au Royaume Uni. Elle permettrait d’économiser à ce Ministère au nez entre 1 et 3md€ de budget et de 10 à 20md€ d’allègements de charges et impôts. Tout de même 1,3% de PNB! Plus facile à écrire qu’à faire cependant… Un petit benchmark international s’impose ici avec les pays qui se portent mieux.

On peut aussi creuser du côté d’organismes comme l’ANPE dont la mission n’est pas encore assez tournée vers l’aide à la reprise de l’emploi. Voire envisager une fusion avec l’Unedic et les Assedic car dans ces conditions, ils seraient plus motivés à réellement diminuer le nombre de chômeurs avec une vision d’ensemble de cette mission.

Finances publiques et économie (13,9md€)

Ce Ministère est souvent présenté comme la poule aux oeufs d’or en matière d’économies potentielles. Il incarne l’Etat “peu modeste”, notamment du fait d’un “siège social” – Bercy – où la place ne semble pas manquer au regard de nombreuses autres administrations et Ministères aux locaux étriqués, comme à la Justice! Pourtant, ce Ministère a fait bien des progrès, avec moultes réallocations et réductions de personnels, et informatisation des process à tout va: déclaration des impôts en ligne, paiement des impôts et taxes locales en ligne, modifications dans la comptabilité de l’Etat et des collectivités locales.

Le Ministère est une cheville ouvrière de la mise en oeuvre pratique de la LOLF, la Loi Organique relative aux Lois de Finances, dont on parle peu. Cette loi a la particularité d’avoir été proposée par Didier Migaud (socialiste) et Alain Lambert (centriste et Ministre du Budget du gouvernement Juppé), votée en 2001 sous Jospin, et appliquée à partir de 2006! C’est grâce à cette loi que j’ai pu consulter une grande partie des documents budgétaires qui m’ont permis de rédiger ces “posts”. Elle pousse à une plus grande transparence des budgets vis à vis du parlement. C’est aussi une loi qui pousse le gouvernement à raisonner en “objectifs de programmes”  et non pas simplement en “moyens”. Les anglo-saxons intègrent cela dans une “balanced scorecard” et avec des KPI pour Key Performance Indicators. Le budget de l’Etat est ainsi découpé en mission, découpée en programmes, et en actions. Avec une certaine marge de manoeuvre des l’allocation des budgets à chaque niveau. Et aussi, avec l’intégration dans le budget de chaque mission et programme des “cadeaux fiscaux” correspondant. Ce qui permet d’avoir une vision globale des coûts de ces programmes: en dépenses, et en manque à gagner en recettes.

Pour revenir au Ministère des Finances, il a plusieurs responsabilités: gérer le budget de l’état, et notamment collecter ses recettes, gérer sa dette. Il gère également les finances des collectivités locales. Pas simplement la perception des taxes locales qu’il a à sa charge, mais la gestion financière. Bercy joue donc à la fois le rôle de la banque, du service comptable et du contrôle de gestion des collectivités locales.

Par ailleurs, le Minefi gère “l’industrie” avec les aides à l’innovation (notamment via l’Oseo-Anvar, un des rares à être le résultat de fusions de plusieurs organismes), la protection des consommateurs (DGCCRF), les PME et l’Artisanat et la politique énergétique. Il supporte aussi les retraites des mineurs (200000 ayant droits), le support aux exportations (notamment via UBIFRANCE) et finance quelques écoles d’ingénieur (Mines, Télécom, Supelec). La liste de ces différentes missions avec les budgets correspondants est ici, dans ces “bleus” budgétaires qui sont des sources d’informations remarquables. On y découvre par exemple que le Minefi reverse 161m€ à La Poste pour la prise en charge du transport de la presse dans les zones rurales.

Le Minefi est aussi souvent le représentant de l’Etat dans les entreprises où ce dernier a une participation majoritaire comme minoritaire.

Le budget du Minefi d’environ 13,9md€ se découpe de la manière suivante:

Le Minefi, c’est surtout 6,6md€ de frais de personnels avec 172000 personnes pour la partie “finances” de sa mission. Avec ce budget de 8,253md€ réparti comme suit avec les grandes masses associées à la fiscalité des PME, des particuliers et la gestion des collectivités locales:

Le Ministère gère un nombre imposant d’organismes: l’INPI (propriété industrielle), l’AFNOR (normalisation), le LNE (labo d’essais), l’ANFR (agence des fréquences), UBIFRANCE (aide aux exportations), ADEME (nouvelles énergies), le CEA (dont il assure les dépenses salariales), l’INC (consommation). Voici quelques effectifs (fonctionnaires car il y a aussi les non-titulaires, absents de ces statistiques) de ces établissements:

Renseignements pris, la “Masse des douanes” est un établissement public de gestion de logements sociaux comme son nom ne l’indique pas!

Les sources d’économies potentielles dans ce Ministère sont multiples mais complexes à mettre en oeuvre et à estimer.

On peut parler des coûts:

  • Baisser le coût de la collecte des impôts. Cette démarche a déjà été entamée avec un coût représentant 1,32% des recettes fiscales contre une moyenne entre 0,5% et 1% dans le reste de l’OCDE. Mais il est en baisse constante. La séparation historique de la trésorerie de la perception nécessite un courage politique certain, que Jospin n’a pas eu en désavouant Sautet, renvoyé après quelques mois passés à Bercy après cette tentative de rationalisation de ses services. On peut aussi baisser le coût de la collecte en simplifiant les impôts : à la fois par suppression de certaines niches fiscales et de certaines taxes (comme cette “taxe sur les salaires” dont on se demande qui a pu l’inventer…) et aussi avec le prélèvement à la source. Ce dernier alourdirait peut-être la gestion des entreprises mais pourrait être compensée par une simplification des aurres composantes de l’incroyablement complexe feuille de paye. Bref, simplifier le code fiscal ne peut que générer des baisses de coûts de gestion au Minefi.
  • Simplifier l’organisation des collectivités locales, qui est un programme à part entière. La fragmentation française génère plein de surcoûts, dont celui de la gestion, pris en charge par le Minefi.
  • Revoir l’organisation des douanes, qui n’ont paraît-il pas vu leurs effectifs réajustés après la mise en place des accords de Schengen. Elles représentent un budget annuel d’environ 800m€ et environ 19000 fonctionnaires.
  • Revoir éventuellement certaines aides aux entreprises, qui représentent plus de 70 milliards d’Euros “distribués” surtout sous forme de réductions de charges. Et quelques subventions, notamment destinées à l’innovation et à l’encouragement de la recherche privée. Il faut probablement revoir à la baisse les aides – nombreuses – aux grandes entreprises, pour les focaliser sur les TPE et PME, plus créatrices d’emplois en France.
  • Les dépenses informatiques qui sont conséquentes, plusieurs centaines de millions d’Euros, notamment par le truchement des grands projets qui ont pas mal battu de l’aile ces derniers temps. Et notamment le projet  Accord V2 de mise en oeuvre de la LOLF qui a été relancé sous l’appellation Chorus après un début chaotique (appel d’offre annulé, relancé, découpage en lots du projet). A noter que dans Accord, 11,3m€ de licences sont payés à Oracle pour les bases de données et les logiciels Peoplesoft. Les économies potentielles réalisées par le Minefi dans l’usage de nombreux logiciels libres, surtout sur les serveurs, sont donc bien vite absorbées par les aléas de ces grands projets!
  • Au sein du budget du Minefi, on trouve l’INSEE qui coûte tout de même 400m€ par an et représente environ 6000 personnes! Cela semble énorme, mais visiblement nécessaire pour respecter les engagements de la France vis à vis de l’UE. Un recensement de la population est prévu en 2007. Mais il serait intéressant d’auditer ce qui est fait des statistiques produites par cet organisme.

Mais aussi des recettes :

  • Le thème de la lutte contre la fraude fiscale a été récemment évoqué. Il représente au maximum le montant des intérêts de la dette (et pas son remboursement qui ajouté à la dette, représente plus de 100md€ par an, bien plus que les intérêts qui sont de 42md€). Mais comme le piratage du logiciel, il est illusoire de supprimer entièrement la fraude fiscale. Et d’ailleurs, si celle-ci n’existait pas, il faudrait réduire les prélèvements fiscaux ailleurs car même avec cette fraude, les prélèvements en France sont bien trop élevés par rapport à la moyenne des pays développés. A l’exception de la Suède.

Bon, dans le tas, il doit bien y avoir 1md€ d’économies potentielles à faire, mais dans la durée. Une affaire de spécialiste en tout cas!

C’en est assez pour ce post. Etapes suivantes: transports, fonctionnement des pouvoirs publics, puis culture et agriculture. A la fin, je ferais une consolidation des économies envisagées à la louche.

RRR

 
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