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Trop d’Etat, oui mais où ça? (3)

Post de Olivier Ezratty du 28 février 2007 - Tags : Economie,France,Politique | 1 Comment

Je poursuis mon petit inventaire de la dépense publique avec le secteur de la défense, de la sécurité et de la justice, qui sont intimement liés, avec des missions adjacentes ou partagées.

Le cumul de ces trois postes représente 63md€, soit un peu plus que le budget de l’éducation nationale (59md€):

La France est plutôt dépensière dans la défense et la sécurité, avec des spécificités géopolitiques qui coûtent cher, et un policier pour 250 habitant, l’un des taux les plus élevés d’Europe (mais je n’ai pas pu mettre la main sur les statistiques correspondantes). La justice est par contre un peu en retrait avec des besoins de financement structurels flagrants.

Défense Nationale (39,5md€ en 2007)

Le budget de la défense nationale est de 36md€ auxquels il faut ajouter 3,5md€ de  budget “anciens combattants”. L’ensemble représente environ 337000 personnes (les effectifs de la gendarmerie étant sortis de ce périmètre pour faire partie de la sécurité intérieure au même titre que la police).

La France cumule quelques spécificités “dépensières” plus qu’aucun autre pays au sein de l’Union Européenne – hors UK:

  • Une présence dans le monde et surtout en Afrique, qui mobilise des milliers de soldats, et au sein de l’ONU au Liban. Aucun pays Européen n’a une telle présence. Il y a jusqu’à 37000 soldats français présents à l’étranger dont 15000 dans des conflits situés dans une quinzaine de pays (voir cet article du Monde sur le sujet). Le tout avec la logistique qui va derrière, et qui mobilise actuellement près de la moitié des effectifs de la défense nationale. Au point que la marge de manoeuvre pour intervenir ailleurs n’existe quasiment plus.
  • Nos DOM/TOM répartis sur un grand nombre de fuseaux horaires et les milliers de kilomètres de nos côtes en métropole justifient une marine nationale bien développée. Aucun pays Européen n’a un territoire aussi grand et dispersé à protéger.
  • Un armement (aviation, chars, marine, missiles) payé au prix fort à des industriels locaux qui ne produisent pas sur une assez grande échelle et n’arrivent plus à exporter comme avant. Les échecs commerciaux des chasseurs Rafale et des chars Leclerc ont un impact direct sur le coût de nos équipements. Notre indépendance industrielle dans l’armement pèse directement sur les finances de l’Etat, même si elle protège d’un autre côté des emplois qualifiés chez Dassault, Matra et autres industriels.
  • Une dissuasion nucléaire avec notamment quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins et six sous-marins à propulsion nucléaire, qu’il faut remplacer régulièrement, tout comme les lanceurs de missiles nucléaires. Sans compter les moyens techniques et industriels qui vont avec – notamment au CEA qui consommait 1,36md€ dans sa Direction des Applications Militaires en 2006 – puisque la France est autosuffisante en apparence dans la conception et la fabrication de ces armements, et cela a un coût énorme. La dissuasion nucléaire représente environ 10% du budget de la défense en France (3,6md€ en 2006) alors qu’en en pesait le tiers il y a 15 ans. Cette tendance à la baisse aurait fait atteindre le niveau de “stricte suffisance” dans la dissuasion.
  • Et un porte-avion, lui même à propulsion nucléaire. Et toute la force aéronavale qu’il embarque, notamment les couteux Rafale version “marine”. Charles de Gaulle bien seul en mer car il doit être en maintenance le 1/3 du temps, et nécessite donc un jumeau pour préserver une capacité d’intervention permanente. Comme c’était le cas du temps des porte-avions Foch et Clémenceau jusqu’à la fin des années 1990.

Tout ceci impacte surtout le budget de l’équipement et de la capacité industrielle publique (DGA, DCN) qui va avec, de l’ordre de 10md€ par an. D’où le réflexe de la mutualisation avec l’Europe proposée notamment par Ségolène Royal. Mais n’est-ce pas un voeu pieux? La dissuasion nucléaire ne se mutualise pas facilement, au moins au niveau opérationnel, sinon la France serait restée dans le commandement intégré de l’OTAN en 1966. Quand au porte-avion, surtout au second qu’il faudrait construire pour pouvoir assurer une continuité de mission, sa construction pourrait être mutualisée avec les anglais. La dernière fois que la France s’est lancée dans un projet de ce genre, c’était avec le Concorde! Les deux pays en sont encore au stade des discussions.

Un rapport publié sur le site de l’OTAN permet de comparer les budgets de défense – à périmètre égal – par rapport au PNB, pour de nombreux pays. J’y ai ajouté Israël qui est particulièrement dépensier, sans compter une aide de $2B provenant des USA. Le tableau suivant reconstitué à partie des données OTAN pour 2006 montre que la France n’est dépassée finalement que par des pays en guerre (USA et Israël) ou le couple Grèce/Turquie (à tradition militaire forte et avec une rivalité toujours permanente):

Et une autre vue en % du total qui rappelle le poids des USA qui représentent en gros la moitié des budgets de défense du monde entier, tous les pays (surtout d’Asie et du Moyen Orient) n’étant pas représentés ici:

La France consacre 1,1% de son PNB de plus que l’Allemagne à sa défense! Cela n’est pas rien dans les comptes de la nation et dans les prélèvements obligatoires! En gros, si le budget de la défense de la France était voisin de la moyenne européenne, d’environ 1,7% du PNB, on pourrait économiser de l’ordre de 10md€, de quoi stabiliser la dette. Mais on en est évidemment loin car la France tient à son rang dans le monde, notamment dans le Conseil de Sécurité et à l’ONU, où elle est dans les cinq plus gros contributeurs aux interventions de casques bleus comme au Liban, et c’est financièrement pour notre pomme!

Des économies sont-elles donc possibles? Peut-être au niveau de la dissuasion nucléaire, qu’il faut certes maintenir, mais en regardant de plus près son déploiement. A-t-on encore vraiment besoin de quatre sous-marins lanceurs d’engins alors que les principales menaces sont plus terroristes que territoriales? On peut gagner au moins 1md€ à 2md€ dans ces domaines.

On peut certainement aussi économiser quelques broutilles dans les coûts de gestion avec un peu de rationalisation, déjà bien en route d’ailleurs. Comme dans tout le budget de l’Etat.

Sécurité (16md€ en 2007)

Nous aurions donc un taux parmi les plus élevés de forces de l’ordre par habitant en France au sein des pays de l’Union Européenne! Sommes-nous pour autant un état policier?

S’il y a bien une chose à revoir, comme dans plein des domaines de l’Etat, c’est la fragmentation.

Voici quelques exemples frappants :

  • Nous avons deux forces de sécurité intérieure de taille comparable: la police (qui dépend de l’Intérieur, avec 137000 personnes) et la gendarmerie (105000 personnes) qui dépend du Ministère de la Défense. Des lois récentes les ont rapprochées – la gendarmerie dépend de l’intérieur pour ses activités “civiles” – mais elles ont un commandement et un “backoffice” encore distincts. Pour faire simple, la police s’occupe des villes et la gendarmerie des campagnes. Cette dernière a aussi pour mission la sécurité militaire du pays. Comme pour toute entreprise, une fusion permettrait d’économiser quelques coûts de gestion : ressources humaine, gestion, informatique, etc.
  • Même au sein de la Gendarmerie, il y a la Gendarmerie Mobile, une force de 17000 personnes, qui a un rôle de maintient de l’ordre très voisin de celui des CRS.
  • Avec un impact mineur sur le budget, nous pourrions également voire les RG fusionnés avec la DST. Les RG ont récemment fait parler d’eux. Mais c’est une petite force, de quelques milliers de personnes. Ils font du renseignement local s’appuyant sur des méthodes de “proximité”. Dans les autres pays, ce genre de service est souvent rattaché aux équivalents de la DST. Cette fragmentation est sûrement liée à l’histoire. Les anglais l’ont progressivement résolue. Ils avaient historiquement une dizaine de services de renseignement (intérieurs, extérieurs), les “Military Intelligence”. Au gré du 20eme siècle, ils les ont progressivement fusionnés et il n’y en maintenant plus que deux: le MI5 – qui équivaut à la DST ou au FBI – et le MI6 qui équivaut à la DGSE ou à la CIA. Il subsiste cependant le GCHQ, pendant anglais de la NSA – et à des services intégrés en France au sein de la DGSE et du SGDN.

Même si je n’ai pas réussi à trouver de statistiques publiques sur le sujet, on peut imaginer que les pays à meilleure santé économique comme les pays scandinaves dépensent moins pour leur sécurité intérieure. Mais ce n’est pas le cas des anglais et des américains.

Question fondamentale: est-ce que le besoin de forces de l’ordre décroit avec la santé économique d’un pays? Est-ce qu’un investissement plus tourné vers la revalorisation économique des zônes en difficulté permettrait de diminuer les dépenses de sécurité?

Sinon, les forces de police pourraient bénéficier d’un peu plus d’automatisation pour faire des économies de backoffice, en plus de celles qui résulteraient d’une défragmentation des organisations. L’informatique de la police très loin de celle que l’on voit dans la série “24 Heures Chrono”! Le système d’information et la transmission d’informations reposent encore beaucoup trop sur le papier. Ne seraient-ce que pour les contraventions.

Donc, dans le domaine de la sécurité, il faut probablement investir sur le court terme dans les TIC et dans l’économie des zones difficiles pour faire des économies à plus long terme.

Justice (7md€ en 2007)

L’affaire d’Outreau et quelques autres ont rappelé que la justice ne disposait toujours pas des moyens nécessaires pour assurer sa mission. D’autre part, des benchmark internationaux ont montré que la condition carcérale en France n’était pas digne d’une démocratie.

Malgré tout, le Ministère de la Justice est de ceux qui ont bénéficié d’une augmentation régulière de crédits et du nombre de fonctionnaires. Entre 2002 et 2005, les effectifs ont cru de 5287 personnes ou de 7,8%, près de la moitié (2442) ayant été dédiés à l’administration pénitencière (+8,8%).

Cette petite photo des effectifs trouvée sur le site du Ministère de la Justice, très prolixe en statistiques, montre cette évolution graduelle des effectifs:

Ce graphe reconstitué à partir des données publiées sur le site de l’International Center for Prison Studies montre que la France ne se distingue pas particulièrement par le nombre de ses prisonniers tant en valeur absolue que ramené à la population. Les USA et les anglais, et même les allemands et les grands pays du sud (Italie, Espagne) ont plus de prisonniers que nous. Les pays scandinaves sont entre 77 et 82 prisonniers pour 100000 habitants, juste en dessous de la France qui est à 86.

C’est d’un point de vue qualitatif que la condition carcérale pèche en France. Les droits de l’homme y sont passablement respectés, en particulier selon un rapport de 2005 d’Alvaro Gil-Robles, le Commissaire Européen aux Droits de l’Homme. Rapport qui relève également la vétusté et l’étroitesse des locaux de l’appareil judiciaire en général. Et qui conclue en gros à un manque de financement de la justice en France, malgré les augmentations régulières dont elle a fait l’objet ces dernières années. La surpopulation carcérale est bien connue, et est entre autres liée à la lenteur de l’appareil judiciaire avec l’allongement du nombre et de la durée des détentions provisoires.

Bref, pour faire des économies dans le budget de l’Etat avec la justice, on repassera.

Pour résumer sur cette partie, on peut sans-doutes faire quelques économies dans la défense – qui y a d’ailleurs déjà bien contribué ces 10 dernières années -, mais au prix d’une modération des investissements dans la dissuasion nucléaire et de programmes d’armements plus européanisés (les deux, sur le long terme), quelques gains dans la sécurité, par défragmentation et modernisation de certaines organisations, et affecter une partie de ces économies au budget de la justice, et le reste au budget général de l’Etat.

Mais au nez, il n’est pas évident de réduire significativement le périmètre défense/sécurité/justice, le second nous l’avons vu dans le budget de l’Etat après l’Education.

Si on écoute les candidats de la présidentielle, ils se prononcent pour une revalorisation du budget de la justice, certains veulent économiser le second porte avion (mais son coût d’environ 2md€ étant amorti sur plusieurs dizaines d’années, l’économie serait marginale), et du côté de la police, on parle plutôt d’augmentation des budgets avec la re-création de polices de proximité (à gauche et chez Bayrou). La tendance “politique” est donc au global plutôt inflationniste dans les dépenses.

Prochain épisode… le reste du budget de l’Etat, puis les collectivités locales, puis le système de santé et de protection sociale. Vaste programme!

RRR

 
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