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Startups et réalisme financier

Post de Olivier Ezratty du 21 octobre 2007 - Tags : Economie,Entrepreneuriat,Innovation,Startups | 5 Comments

Au gré des startups que je rencontre pour des raisons diverses, je constate un comportement au combien classique consistant à présenter des prévisions financières délirantes (chiffre d’affaire, croissance, marge):

  • Telle startup d’édition de logiciel qui partant de rien et sur un marché niche prévoit de faire 30 m€ de chiffre d’affaire en trois ans. Ce qui placerait la startup dans les 20 premiers éditeurs de logiciels français (selon le classement Truffle ci-joint). Et avec une croissance linéaire alors qu’en général, elle suit plutôt une exponentielle assez lente à démarrer.

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  • Telle startup Internet prévoit en trois ans d’avoir 5 millions d’utilisateurs et de faire plus de 25 m€ de chiffre d’affaire dans le même temps, soit un ARPU de 5€ par an. A titre de comparaison, Skyblogs, le premier site français en audience fait 25m€ de revenu et a un ARPU d’environ 2€ par visiteur (uu/months) et Google génère plus de 15€ par an et par utilisateur. Mais après des années de croissance soutenue et surtout, pour les deux, grâce à une captation significative du temps des utilisateurs passés sur le web.
  • Telle autre startup du logiciel en mode ASP prévoit de faire une marge de plus de 30% en trois ans alors que le leader du marché, Salesforce.com, fait 17% de marge nette.
  • Enfin, une autre qui décide carrément de ne pas fournir de prévisions financières car “c’est toujours du n’importe quoi et les VCs ne savent. Ce qui compte, c’est le business model“.

Quand on objecte sur ces chiffres d’affaire irréalistes au possible, les fondateurs rétorquent “Mais c’est ce que les VC demandent!“! Ils vont même jusqu’à réaliser des présentations sur mesure en fonction des desiderata connus des VCs. Celui-ci croit en une monétisation de tel type par la publicité, et bien, la présentation mettra en avant cette monétisation! On double ses prévisions de CA car les VCs savent qu’elles sont surestimées et les divisent par deux. Quel jeu débile!

Tout ceci relève d’une vision simpliste des choses, tout du moins avec les bons investisseurs qui connaissent leur marché et leurs fondamentaux économiques (revenus par utilisateurs, vitesse de croissance, structure de coûts, marges nettes). Les autres qui croient les bobards? Ce ne sont pas forcément de bons investisseurs. Et ils risquent de ne pas faire corps avec l’entreprise au gré de sa croissance… qui ne suivra pas ce qui est dans les plans.

Mais il est vrai que les investisseurs potentiels s’intéressent évidemment aux perspectives de croissance et surtout de marge. Dans un mode “Web 1.0 / 2.0”, certains pourront cependant se focaliser plus sur la stratégie d’exit en faisant fi du business model. Mais les exits sous la forme de revente ne sont pas légion et les bons investisseurs savent qu’il faut prévoir un business plan qui tienne la route en mode “autonome”.

Un compte d’exploitation n’est pas juste un exercice scolaire de remplissage d’un modèle de tableau Excel. C’est un signe de la capacité à exécuter de manière réaliste un plan et d’anticipation.

Petit conseil: il faut donc s’adonner sérieusement à l’exercice! Et même si les fonds recherchés ne sont que des prêts ou subventions d’amorçage. En suivant quelques pistes qui suivent:

  • Faire une prévision de compte d’exploitation, de trésorerie (cash flow) tenant compte de subventions, prêts et investissements recherchés. Et éviter d’être trop “juste” avec un cash flow à zéro juste avant l’arrivée prévue de telle subvention ou tel investissement. C’est une fragilité qui serait exploitée par les investisseurs pour négocier de meilleurs clauses d’entrée (term sheet et closing).
  • Prévoir de raconter une (belle) histoire sur le compte d’exploitation. Par exemple, expliquer pourquoi la structure de marge est meilleure que l’industrie, grâce à des coûts réduits dans tel ou tel domaine, grâce à de faibles coûts variables explicités. Il faut aussi pouvoir détailler l’utilisation qui sera faite des investissements recherchés. Le tout est bien entendu relié à un business model qui ne tire pas trop dans tous les sens et qui fait des choix de monétisation à la fois tranchés… mais souples.
  • Assurer la cohérence du discours. Ne pas raconter une histoire différente “pour plaire” à chaque VC. Parfois,  les VCs croisent ensuite leurs informations et en vérifient la cohérence. La perte de crédibilité liée à une incohérence de propos peut faire mal.
  • Etre ambitieux et réaliste à la fois. Comparer ses données avec le marché. Comment se situe la prévision de chiffre d’affaire par rapport aux acteurs actuels et comparables? Est-ce que la vitesse de croissance est cohérente avec ce qui s’est vu jusqu’à présent? Est-ce que la marge nette est proche – sans la dépasser – de ce que font les meilleurs du marché?
  • Ne pas sous-estimer les coûts de R&D. C’est une erreur classique, surtout dans le logiciel. L’industrialisation du logiciel coûte toujours plus cher que prévu. Si c’est du logiciel “classique”, la procédure d’installation, le débogage, le support des différentes configurations clients, et la finition de l’interface utilisateur sont toujours plus lourdes que prévu. Si c’est du web, il faut anticiper le besoin d’une architecture “scalable” qui tiendra le choc avec la croissance du trafic. Et l’on peut être sûr que l’interface utilisateur et les fonctions du site vont sans cesse évoluer. Et après, il y aura des coûts de maintenance logicielle qui vont croître aussi vite que la taille de la base installée.
  • Ne pas sous-estimer les coûts de marketing et de vente. Le marketing viral n’existe que dans les rêves pour la plupart des activités. Il faut dépenser pour générer des ventes et du trafic. Sur Internet, cela sera au minimum de l’achat de mots clés sur Google. Pour du logiciel d’entreprise, il faudra des commerciaux, du marketing, des relations presse. Tout ceci a un coût significatif. Il dépassera rapidement celui de la R&D. Surtout si la startup doit se développer rapidement à l’international.
  • Par contre, ce n’est pas un mauvais signe de montrer que les créateurs se serrent la ceinture en ne se payant pas ou peu. Et que l’investissement est consacré à l’embauche de talents dans les domaines R&D et ventes/marketing.

Et vous, entrepreneurs, quelle est votre expérience dans la levée de fonds? Qu’est-ce qui a bien fonctionné et moins bien fonctionné?

RRR

 
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