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Le discours et la méthode

Post de Olivier Ezratty du 7 mai 2007 - Tags : Economie,France,Politique | 13 Comments

Ca y est, nous avons un nouveau Président. Une grosse moitié de la France qui s’est exprimée lors de l’élection est satisfaite, avec un sentiment qui va de l’enthousiasme à la prudence, et l’autre moitié a peur et cherche à se reconstituer. Il a fait des promesses. Mais pour les tenir, il faudra plus que la volonté d’une seule personne ou d’un parti politique.

Nicolas Sarkozy doit maintenant lancer son équipe et la mettre au travail. Il doit déclencher des réformes difficiles (retraites, éducation, logement, dépense de l’état, …) en résistant aux inerties de la société française et de ses corps constitués. Ces réformes s’appuient sur un ensemble de valeurs et d’idées. Mais il est un aspect qui n’a pas été bien précisé par le candidat Nicolas Sarkozy, c’est la méthode de gestion du changement et au passage, la qualité de l’exécution. Vocabulaires empruntés à celui des entreprises et qui a tout son sens aujourd’hui pour le politique. Surtout avec ces nombreuses promesses du candidat devenu président (“je ne vous trahirai pas”).

Du point de vue de la méthode, les apparences étaient pourtant favorables à Ségolène Royal. Sa démocratie participative et sa capacité à s’appuyer sur la base du Parti Socialiste en contournant les éléphants relevaient d’une stratégie d’alliés sommes toutes bien construite. Apparence car, si elle bien rénové la posture des socialistes, ses méthodes personnelles semblaient trop souvent incohérentes avec ses propres principes: un côté brouillon, des propositions pas forcément intégrées dans une vision d’ensemble claire, des décisions prises pendant la campagne au fil de l’eau et sans véritable concertation, et un flou largement commenté qui s’explique par un positionnement bancal entre les extrêmes de la gauche (des trotskystes et altermondialistes aux centristes). Donc, beaucoup de tactique mais pas forcément de ligne directrice bien claire. On verra si la méthode Royal continuera d’opérer, à la fois pour les législatives qui seront difficiles, et pour l’après-législatives et la gestion du changement au sein du Parti Socialiste, cet un enjeu parallèle à ceux du prochain gouvernement.

Le nouveau Président a de son côté fort à faire. Il devra gérer la concertation tout en imprimant sa direction. Equilibre délicat car on sait bien que le rapport de force favorise souvent la rue, les syndicats et les manifestations. Nombre de réformes ont été ainsi avortées faute d’un soutien des différentes parties concernées. Certaines de ces réformes étaient peut-être mal fagotées mais d’autres étaient pourtant bien nécessaires, telle cette évolution de l’université avec autonomie et sélection proposée par la Loi Devaquet, et abandonnée après des manifestations monstres. Et surtout abandonnée du fait de l’impact symbolique de la mort de Malik Oussekine en décembre 1986. Comme quoi un accident peut tout faire basculer dans la réforme.

Alors, sans être un spécialiste du sujet, quelques éléments de méthode me viennent à l’esprit, dont certains empruntent à la manière de gérer le changement dans les entreprises:

  • Ecouter avant, pas seulement après! Notamment les corps constitués et les experts (et oui!) de tous bords. La tendance des gouvernements est de créer des tonnes de conseils de sages ou d’experts, mais souvent une fois que la situation devient difficile pour mener des réformes. Si cette méthode est retenue, elle doit être lancée très tôt et en respectant le pluralisme. Ecouter n’est pas suffisant, il faut montrer que l’on a écouté, et par exemple, savoir attribuer les bonnes idées à leurs auteurs, même s’ils sont opposants.
  • Négocier avec tous les interlocuteurs et en valorisant ceux qui sont à la fois critiques et constructifs. Il faut bâtir des stratégies d’alliés avec les partenaires sociaux et évidemment pas seulement avec le MEDEF et la CGPME. C’est ce que François Fillon avait quelque peu réussi avec la CFDT pour la réforme des retraites en 2003, et explique peut-être pourquoi l’on entend parler de Nicole Notat comme potentielle Ministre (ce qui serait tout de même vraiment étonnant). L’augmentation de la représentativité syndicale en France est clairement à l’ordre du jour. Des mesures la favorisant sont plus que nécessaires.
  • Evaluer l’impact humain des décisions, notamment de suppressions éventuelles d’effectifs dans la fonction publique. Il faut aussi évaluer les contournements que les français ne manquent pas d’inventer à toutes les nouvelles mesures et qui limitent voire annulent leur effet. Une approche systémique est nécessaire qui intègre les agents économiques et sociaux de la société.
  • Faire preuve d’exemplarité et bien gérer la symbolique qui à l’ère de la communication tout azimut, de l’Internet et de la transparence, sont plus que jamais indispensables. Parfois, cela tient à de petites choses. Dimanche soir, le diner de Nicolas Sarkozy au Fouquet’s avec la jet-set n’était pas forcément bien vu de ce point de vue là. Il y aura aussi du pain sur la planche dans les équipes. A quoi va ressembler le prochain gouvernement? Va-t-il véritablement incarner cette rupture tant annoncée, ou recycler les Ministres des gouvernements Raffarin et Villepin? Comment poursuivre et amplifier le travail sommes toutes convenable de Jean-Louis Borloo sur le logement et sur les “banlieues”? Qu’est-ce que l’UMP va faire avec certains de ses élus locaux affairistes à la morale douteuse? Le choix du président du conseil général des Hauts de Seine – sûrement UMP – qui remplacera Nicolas Sarkozy sera un choix très indicateur de la capacité à bien gérer les symboles.
  • Communiquer et bien expliquer les réformes, faire preuve de pédagogie, ne pas manipuler les chiffres, même s’il s’agit souvent de manipulations par omission comme sur les statistiques de l’emploi ou de la sécurité. Il y a du boulot, notamment en matière économique où à droite comme à gauche, on continue de manier la méthode coué dans le domaine économique. Les grands médias ont un rôle constructif à jouer dans ce domaine sans forcément donner dans le relai passif du gouvernement. Prenons un exemple qui concerne notre petit monde des startups: la franchise d’ISF de 50K€ pour les investissements dans les PME, proposition de Loic Le Meur (d’après lui) intégrée dans le programme du candidat. Au premier degré, c’est un “cadeau de plus aux riches”. C’est en fait un moyen d’augmenter le budget de financement de l’innovation, et en le privatisant. C’est effectivement un cadeau, mais un cadeau plus sioux qu’une simple suppression de l’ISF car il oriente l’investissement dans le bon sens, celui de la prise de risque et de l’innovation. Aujourd’hui, une trop grande part de l’accompagnement des startups en phase d’amorçage provient du secteur public (notamment d’Oséo). Un équilibrage avec des “business angels”, dont on connait leur nombre insuffisant en France, la capacité à les faire revenir en France, ne peut qu’augmenter le flux de capitaux vers les entreprises innovantes. Sachant que c’est une mesure qui doit être complétée (Small Business Act, etc) pour accompagner les jeunes entreprises sur toutes les étapes de leur croissance.
  • Revalider le bien fondé économique des mesures figurant dans les programmes électoraux sans pour autant renier les grands principes. On dit souvent que les politiques ne tiennent pas leurs promesses. Mais combien d’erreurs, notamment économiques, sont justement le résultat de promesses tenues? Les plus connues étant les nationalisations en 1981 et les 35h avec Lionel Jospin après 1997. Cela pourrait être le cas de cette quasi-suppression des droits de succession promise par Nicolas Sarkozy, qui est parfaitement inégalitaire et clientéliste : elle vise surtout les plus de 60 ans, la seule classe d’âge qui vote nettement à droite en France. Tout du moins, les modalités de cette réforme devraient être précisées et ne pas s’appliquer aux plus grands patrimoines. Le diable est dans le détail!
  • Peaufiner l’exécution et le montrer, en maitrisant bien la dimension du temps. C’est souvent là que les mesures pêchent. Cela explique (outre l’effet de manche) la colère de Ségolène Royal pendant le débat de la semaine dernière au sujet des handicapés. Si les gouvernements Raffarin et Villepin ont bien fait évoluer la scolarisation des jeunes handicapés à l’école, la gestion de la transition entre emplois jeunes et auxiliaires de vie scolaire en 2002 a été quelque peu laborieuse. Dans le domaine de l’exécution, on ne peut que se féliciter de l’initiative d’Alexandre Jardin avec son site CommentOnFait! Mais la démarche devra être également prise en compte par les nombreux hauts fonctionnaires qui ont un rôle critique à jouer pour faire avancer le pays.
  • Equilibrer le court terme et le long terme dans la réforme. Le nouveau gouvernement devra par exemple prendre garde à lancer rapidement les nouvelles politiques en faveur de l’innovation, de l’enseignement supérieur et de la recherche qui fonctionnent sur des cycles très longs.

Bref, la méthode compte autant que la vision et la stratégie!

Et chacun attend implicitement Nicolas Sarkozy et l’UMP au tournant de ce point de vue là. Si la méthode de gestion du changement est bien enclenchée, les choses iront bien, sinon, l’état de grâce ne durera que quelques mois et l’on reviendra aux blocages traditionnels de la société française.

RRR

 
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