Google = Microsoft ? (3)
Post de Olivier Ezratty du 13 avril 2007 - Tags : Communication,Google,Internet,Management,Microsoft | 8 Comments
Nous allons terminer ce tour d’horizon avec des aspects plus “people”. Je rajoute au passage une petite partie sur les approches d’écosystèmes, suites aux remarques de Julien Codorniou.
Les stratégies d’écosystèmes
Les deux sociétés en ont toutes les deux compris l’importance. Mais la nature de leur activité est telle que cette notion est nettement plus importante pour Microsoft que pour Google.
De tous temps, Microsoft a énormément investit sur son réseau de partenaires, un levier incontournable pour non seulement revendre ses produits, mais également les déployer et les compléter par des solutions métiers. La variété des marchés touchés par Microsoft les amène donc à déployer une stratégie partenaires tout azimut, notamment chez les éditeurs de logiciels, mais aussi les SSII, les revendeurs, les sociétés de formation, ainsi que chez les constructeurs de PC comme de périphériques. Et dans un registre plus difficile à mettre en oeuvre pour eux: les opérateurs télécoms et les médias. Les logiciels des plateformes Microsoft présentent une adhérence technique significative, qui créé une inertie de marché favorable à l’éditeur, en plus de leur intégration et interdépendance, qui en rajoute. D’où des relations avec les développeurs très anciennes et développées qui n’ont pas beaucoup d’équivalent dans l’industrie: Apple, Sun et dans une certaine mesure IBM et Oracle étant juste derrière (comme entreprises privées) dans les efforts consentis vis à vis de cette audience. Rien qu’en France, les relations développeurs de Microsoft représentent la moitié de l’effectif total de Google France!
Chez Google, l’écosystème de partenaires est à la fois plus simple et plus étroit. Ils n’ont pas besoin de revendeurs, pas besoin de SSII, ni de formateurs, et encore moins de constructeurs et de ces maudits pilotes de périphériques pour faire utiliser leurs sites Web. Leur approche développeur consiste à encourager les créateurs de sites Web à intégrer différents composants de Google comme AdSense ou Google Maps. Ils proposent également un intéressant moteur de recherche de codes sources: Google Code Search. Cette approche développeurs n’a pas encore porté tous ses fruits et pourrait être démultipliée dans les années à venir. L’adhérence de plate-forme chez Google n’est pas encore aussi significative que chez Microsoft. D’où des tactiques de placement du moteur de recherche dans les navigateurs, soit via des OEM qui préconfigurent des PCs sous Windows, soit par leur partenariat avec Firefox ou leur investissement dans Maxthon. Et enfin, avec des opérateurs telcos pour leurs solutions pour mobiles. Google propose de plus d’excellents outils pour optimiser le trafic des sites, surtout Google Analytics, déjà cité. Ce qui alimente notamment une composante clé de l’écosystème de Google: les Web agencies et autres sociétés spécialisées dans l’optimisation de trafic et de revenus publicitaires. Plus récemment, Google a aussi lancé un programme partenaire entreprises lié à ses offres dont on avait vu qu’elles étaient plus lourdes à commercialiser que des services Internet. Google se distingue aussi par la contribution active à des projets Open Source divers (Java, Eclipse, Linux, ODF, Python). Mais ils se gardent bien comme tant d’autres de confier leurs “bijoux de famille” à la communauté open source!
Pour comparer le poids de l’approche développeur des deux sociétés, vous pouvez jeter un petit coup d’oeil sur le site pour les développeurs de Google (http://code.google.com) et celui de Microsoft (http://msdn2.microsoft.com).
Il serait intéressant de comprendre comment sont organisées les équipes commerciales de Google. Je suspecte que leur majorité est orientée vers les grands clients annonceurs. Chez MS, quasiment la moitié des forces de vente et avant-vente entreprises et PME est tournée vers les partenaires. Dans les activités grand public (MSN, XBOX), c’est proche de 100%.
Il y a un signe indirect qui montre que l’écosystème est moins important pour Google qu’il ne l’est pour Microsoft: c’est la communication. A l’instar d’Apple, Google a tendance a cultiver le secret dans sa communication. C’est en train de changer dans le bon sens, mais le point de départ est très bas. Prenez juste le cas de la France: qui s’exprime dans les médias chez Google? Qui a un blog? Chez Microsoft, la culture de communication est beaucoup plus ouverte. Rien qu’en France, une bonne cinquantaine de personnes sont en contact régulier avec la presse, une trentaine ont leur blog, et une centaine interviennent dans des séminaires.
Une direction multi-céphale
La tête de Google et de Microsoft comporte une direction bicéphale, voire tricéphale, et qui fonctionne dans la durée. Peu d’entreprises de high-tech ont réussi cette combinaison. Steve Jobs est maître après Dieu chez Apple. Larry Ellisson n’a pas bien géré sa cohabitation avec Ray Lane chez Oracle. Scott McNeally a été longtemps patron sans égal chez Sun Microsystems. Et dans pas mal d’autres endroits, le CEO n’est même pas le vrai patron, mais plutôt le Conseil d’Administration avec ses guerres de palais, comme chez Hewlett-Packard. Rares sont également les entreprises comme Google ou Microsoft ou la tête comprend encore des dirigeants à forte culture technologique.
Le couple Bill Gates / Steve Ballmer a vécu pendant longtemps, depuis qu’ils ont fait Harvard ensemble au milieu des années 1970. Mais avant que Steve Ballmer devienne le numéro 1 de Microsoft, d’autres Présidents ont joué le rôle de numéro 2 sous Bill Gates, notamment Jon Shirley (1983-1990) et Mike Hallman (1990-1992). Dans les trois cas, ils apportaient une culture business, vente et marketing à la société, complémentaire de la culture à dominante technique de Bill Gates. Et aujourd’hui, Bill Gates se désengage progressivement de Microsoft, après 32 ans de services, Ballmer étant à la tête de la boite depuis 1998 (comme President) et 2000 (comme CEO). Comme sorte de CTO-méta-gourou, Gates a été plus ou moins remplacé par Ray Ozzie en 2006. Et même s’il est fortement teinté vente et marketing, Ballmer est d’une compétence technique fort honorable.
Chez Google, les fondateurs Larry Page et Sergei Brin ont tous les deux des traits communs avec ceux de Bill Gates: ils sont smart, ont un fort tropisme technique, et disposent d’un sixième sens business, même s’ils n’en sont pas les rois. Ils ont aussi créé leur boite très jeunes et ne sont pas de bons communicants. Aujourd’hui, ils jouent un rôle de direction technique chez Google, et se sont adjoints les services d’Eric Schmidt (le gars à la cravate au dessus), un CEO expérimenté passé chez Sun et Novell. Schmidt apporte la séniorité et une expérience globale du business dans la IT. Il a dirigé des groupes produits chez Sun. C’est également le cas de Steve Ballmer qui avait dirigé la Division produit en charge de Windows entre 1983 et 1992!
Dans les deux cas, le CEO actuel est arrivé après la création de la société : 5 ans pour Ballmer (en 1980) et 3 ans pour Schmidt (en 2001). Et la complémentarité comme la symbiose avec le ou les fondateurs est excellente.
La direction de ces deux entreprises rassemble ainsi une formule magique: des visionnaires technologiques accompagnés de businesmen et de managers qui savent ce que c’est de gérer des produits et des cycles de développement. Mais pas des financiers ni des consultants, que l’on a pu voir passer à la tête d’autres sociétés de la high-tech, avec plus ou moins de bonheur!
Mais la tête ne fait pas tout!
Management et ressources humaines
Là aussi, Google et Microsoft partagent quelques points communs intéressants.
Ils cherchent à recruter les meilleurs et s’en donnent les moyens. Ils se soucient plutôt bien de l’environnement de travail de leurs collaborateurs, au dessus de la moyenne de l’industrie. Et leurs dirigeants ont pas mal de points communs.
Les recrutements sont effectués en grande partie par une démarche des meilleurs étudiants sur les campus. Très attirants pour les jeunes diplômés comme les moins jeunes, ils traitent en masse des centaines de milliers de CV. Google a poussé le processus très loin en automatisant le tri des CV qu’ils reçoivent. Leur processus de sélection, notamment des développeurs, est très rigoureux et nécessite le passage d’entretiens avec de nombreux collaborateurs, managers ou non, de l’entreprise. Dans les deux boites, on peut ainsi facilement atteindre une dizaine d’entretiens avant d’être sélectionné. Dans les équipes de développement, la priorité est donnée au quotient intellectuel. Et chez Google, également à la capacité à travailler en équipe. Microsoft s’attache également à celà, mais a du progrès à faire en la matière.
Les sociétés recrutent également des pointures provenant d’autres acteurs ou de concurrents. On a vu récemment quelques transfuges passer de Microsoft vers Google, mais pas dans l’autre sens. Pour ces transfuges, une cure de jouvance peut-être, mais pas vraiment l’aventure car on ne peut pas dire qu’un passage chez Google relève d’une prise de risque fantastique. Parmi les transfuges, on compte Kai Fu-Lee, l’ancien patron de Microsoft Research en Chine, Vic Gundotra, ancien General Manager des Relations Développeurs et Adam Bosworth, un ex-Microsoft également ancien CTO de BEA Systems.
Du côté de la vie des salariés et de leur compensation, les deux sociétés partagent également quelques points communs:
Mais Google est plus au soleil, à Mountain View dans la Silicon Valley et l’essentiel des effectifs de Microsoft (en R&D) sont au Nord : dans la pluvieuse région de Seattle, quand ce n’est pas dans le grand froid de Fargo dans le North Dakota (pours les équipes de l’ex Great Plains). Mais si aujourd’hui, Google semble avoir largement le vent en poupe, Microsoft continue encore d’attirer du (très beau) monde!
Par contre, une différence de taille: avec ses 76000 collaborateurs, Microsoft n’évite malheureusement pas la bureaucratisation de son fonctionnement, phénomène qui n’a pas encore touché Google et ses 11000 et quelques personnes, surtout dans ses équipes de développement.
Relations institutionnelles
Il a fallut 20 ans à Microsoft pour se lancer dans des actions de lobbying actives, notamment à Washington DC. Et 8 ans pour Google qui a par exemple démarré des recrutements de lobbyistes en Europe en 2006.
La leçon de Microsoft a été bien apprise, souvent à leurs dépends respectifs. Aux USA et en Europe, les procédures antitrust, démarrées en 1990 avec la FTC puis relayées par le procès antitrust du DOJ on marqué les quinze dernières années de l’histoire de Microsoft. Ils sont tout de même passés près d’un démantèlement en 2000-2001, et ces différentes affaires antitrust ont coûté au total au bas mot environ $10B, principalement sous la forme d’accords à l’amiable avec des concurrents (Sun, AOL, Real Networks, Novell, etc) ou avec des Etats des USA et d’amendes Européennes.
Chez Google, les ennuis ont commencé récemment, en 2005/2006 et ont surtout concerné ses relations avec la propriété intellectuelle et le droit d’auteur, mais dans des différents avec d’autres entreprises privées. Que ce soit avec la presse écrite en Belgique (qui a obtenu son déréférencement du moteur de recherche de Google, ce qui soit-dit en passant est une bien belle erreur de la part de ces médias), avec certains pays qui voyaient d’un mauvais oeil l’émergence de Google Books, ou avec les ayants droits du cinéma et de la télévision avec le service YouTube.
Nos deux leaders qui veulent se développer dans les pays émergents comme la Chine sont confrontés au délicat équilibre entre le respect des lois parfois liberticides de ces pays et aux aspirations de liberté et d’exemplarité du reste du monde. Jusqu’à présent, ils ont choisi le respect de ces lois malgré le tollé que cela peut générer. Et ils rentrent dans le mode “dammage control” pour éviter un effet de résonance trop fort dans les pays occidentaux.
La position dominante de Google n’a pas encore eu de répercussions juridiques. Malgré des parts de marché dans le search qui se rapprochent de celles de Windows et Office: plus de 80% au Royaume Uni et en France semble-t-il, et 64% aux USA qui est un marché plus compétitif pour eux. Les ennuis juridiques de Microsoft provenaient d’accusations d’abus de position dominante sur un point récurrent: l’intégration. Que ce soit l’intégration d’Internet Explorer dans Windows (DOJ), de Windows Media Player dans Windows (Commission Européenne) ou les liens entre Windows client et serveur (Commission Européenne). Chez Google, ce risque est moindre du fait de la nature Internet de leur activité. Leurs outils sont disparates et peu intégrés. Et la page d’accueil de Google ne fait pas directement la promotion d’autres services de Google. Cela répond à la fois à une exigence de simplicité, mais relève peut-être également d’une précaution juridique de bon aloi.
Chez Microsoft, les relations institutionnelles couvrent un spectre très large de sujets tels que:
Il est probable que Google ait à s’impliquer plus dans nombre de ces sujets dans les années à venir! Ils sont souvent d’ordre défensif pour le business, mais ils prennent souvent la forme d’une meilleure intégration avec la société civile et politique sur des questions de société auxquelles ils ne peuvent pas échapper. Les relations institutionnelles avec les pouvoirs publics et législateurs sont intimement liées à la gestion de l’image de la société. Dans le cas de Google, ils ont d’ailleurs mis les deux activités sous la même casquette: celle d’un VP, Elliot Schrage, spécialiste de ce que l’on appelle la responsabilité sociale des entreprises (Corporate Social Responsibility).
Les deux entreprises doivent gérer leur puissance réelle ou perçue par le marché. Voir à ce sujet deux articles récents intéressants: “Is Google Too Powerful? paru dans Business Week, et “Microsoft is dead” de Paul Graham qui fait référence au fait que Microsoft ne fait maintenant plus peur. L’impact de la dominance est tel que les frayeurs des plus rationnelles aux plus irrationnelles émergent. La peur d’un nouveau “big brother” est toujours présente. Certains s’inquiètent ainsi des capacités de transmissions de fibres optiques démesurées acquises par Google! Des peurs fleurissent en Europe où l’on n’apprécie pas trop l’émergence d’acteurs mondiaux dominants provenant d’outre-Atlantique. D’où le (laborieux) lancement de Galiléo pour concurrencer le GPS américain, celui du (tout aussi incertain) moteur de recherche français Quaero, qui n’est même pas un projet européen. Et nombreux sont ceux en Europe qui poussent au développement des logiciels libres dans l’espoir de réduire leur dépendance vis à vis de Microsoft.
Pour terminer ces trois posts, signalons que les comparaisons entre Google et “le reste du monde” sont nombreuses. Certains ont même comparé Google à StarBucks. Pour dire que le business model de Google était plus efficace, car reposant moins sur des hommes pour fonctionner. Vous pourrez également consulter avec intérêt cette récente interview d’Eric Schmidt, le CEO de Google, parue dans Wired.
Aurais-je oublié d’autres points communs? Sûrement! A vous de les trouver maintenant!
Un des lecteurs de ce blog a annoncé attendre la version PDF de ces trois posts. Je m’y attèlerai en fonction des commentaires de lecteurs et compléments d’information glanés dans les jours qui viennent.
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