Opinions Libres - Le Blog d'Olivier Ezratty

Soirée logicielle à l’IE Club

Post de Olivier Ezratty du 30 juin 2006 - Tags : France,Logiciels,Microsoft,Startups | 4 Comments

Le 27 juin dernier en fin de journée avait lieu un événement organisé par l’association IE-Club dans le centre de séminaires de Microsoft France rue de l’Université. Evénement dédié aux « Lames de fond du logiciel ». Très en phase avec le mouvement actuel de promotion du métier d’éditeur de logiciels (cf « Industrie du lobbyciel »), poussé notamment par Microsoft.

Après un mot de bienvenue de Maurice Khavam (Managing Partner NexTFund Capital et Président de l’IE-Club), Eric Boustouller, le patron de Microsoft France depuis début 2005, a fait un tour d’horizon des interactions entre Microsoft et la communauté des éditeurs de logiciels français. Le catalogue est toujours assez dense dans ce genre de présentation : rappel sur le rôle du Microsoft Technology Center (sis au même endroit, rue de l’Université) qui accueille notamment les éditeurs pour un accompagnement technique multi-forme (définition d’architecture, validation technique, tests, benchmarks), le nouveau programme de licensing de la propriété intellectuelle issue des laboratoires de recherche (IP Ventures, où l’on attend des exemples), le programme IDEES de parrainage de 25 startups françaises par an, et Imagine Cup, le concours de développement pour les jeunes de l’enseignement supérieur. On n’évite pas les pages de pub: Windows Live, les investissements colossaux en R&D de Microsoft, etc.

Eric Boustouller a indiqué que Microsoft aimait l’open source puisque certains de ses logiciels étaient fournis sous forme de licence type OSS. (italique = mon point de vue, pas celui qui était exposé par l’orateur; Amour très ambigu! C’est effectivement le cas, mais comme avec la totalité des éditeurs de logiciels commerciaux (Oracle, Computer Associates, IBM Software, etc), tant que cela ne remet par en cause le business traditionnel de l’éditeur. Ainsi, seuls quelques outils secondaires (voir http://www.codeplex.com) ou logiciels issus de la recherche sont fournis en licence open source. Microsoft a aussi structuré son offre de licences open source évitant entre autres l’aspect viral de la GPL et préservant sa propriété intellectuelle. Des codes sources de logiciels comme Windows ou Office sont également disponibles, mais pas dans une forme open source. D’abord, parce qu’il s’agit de logiciels commerciaux, et aussi, pour garantir leur unicité.

Eric a aussi traité du positionnement de Microsoft par rapport à l’AFDEL et du Syntec. En gros, il se félicite qu’une association puisse représenter le métier d’éditeur de logiciels tout autant que le Syntec ait récemment montré un plus grand intérêt pour cette profession. Ce qui confirme qu’à ce stade, l’AFDEL a au moins servi d’aiguillon pour le Syntec a défaut d’exister par elle-même de façon visible. Mais l’association n’a même pas un an d’existence et il faut lui donner le temps de se construire. Eric a aussi cité les priorités qu’il voit pour l’industrie du logiciel: la propriété intellectuelle, l’open source, l’interopérabilité et la promotion d’un Small Business Act qui pousserait la commande publique à s’orienter vers les petits éditeurs. Les trois premiers points sont probablement plus des priorités pour Microsoft que pour l’ensemble des éditeurs. En effet, la principale reste tout de même de croitre et de se développer notamment à l’international. La dernière est critique pour permettre aux éditeurs de démarrer en France, mais il ne faut pas se leurrer : après un démarrage, un éditeur de logiciel doit rapidement s’exporter car la France ne représente que 2% à 3% du marché informatique mondial. Et comme la santé d’un éditeur et sa capacité à financer sa R&D vient de son volume de ventes, il n’y a pas de choix. Donc, OK pour un SBA, mais sans oublier l’international.

Après cette introduction, nous avons eu droit à une table ronde très riche sur « les différentes facettes de l’édition de logiciels » rassemblant plusieurs éditeurs et un capital risqueur : Olivier Novasque (CEO de Sidetrade), François Bourdoncle (CEO d’Exalead, le moteur de recherche de Quaero), Franck Gana (COO de Seanodes), Xavier Lazarus (Partner d’Elaia Partners), Benjamin Bejbaum (CEO de Dailymotion, le YouTube français), David Lerman (CEO d’Excentive) et Philippe Bouaziz (Président Prodware). Le tout était animé par l’inévitable et très pertinent Jean Rognetta (Journaliste indépendant travaillant notamment aux Echos).

La table ronde, photo récupérée sur le site de l'IE Club

Première question pas innocente : combien il y-a-t-il de partenaires du programme IDEES dans la table ronde ? Visiblement trois au total. Avec comme bénéfice reconnu : l’aide à la relation client via les équipes commerciales Microsoft, la visibilité, la crédibilité et un bon backup technique. Et en l’état, pas encore d’inconvénients identifiés par les éditeurs présents !

Côté « deal flow » (tendances de financement des startups par les VCs), Xavier Lazarus a cité : l’open source, l’embarqué, le Web 2.0 et Software as a service (Saas). Pour le premier point, cela me semble être moins tendanciel que cela. Elaia finance effectivement un éditeur open source (Idealx). Mais il y a peu d’éditeurs OSS financés par de capital risque en France. Sachant, et c’était un point un peu obscur du débat, qu’il y a plusieurs sortes d’éditeurs « open source ». Il y a les « pure players » comme Idealx qui créent du logiciel en licence open source et le commercialisent avec du service d’accompagnement. Il y a les éditeurs qui développent du logiciel commercial au dessus d’une plate-forme open source (en général, Linux et le middleware qui va avec : PHP, MySQL, Apache, …). Et enfin, il y a les fournisseurs de services en ligne qui s’appuient sur une plate-forme open source. Dans ce dernier cas, peu importe puisque l’utilisateur n’y voit que du feu. Il consomme un service et c’est transparent pour lui (en général). Il y a une autre catégorie d’acteurs, ce sont les constructeurs qui intègrent des briques open source dans leur solution, de type « boite noire ». C’est le cas d’Anévia, un constructeur français de serveurs de streaming vidéo basé sur Linux et LAMP, sur le logiciel VLC développé par des élèves de l’Ecole Centrale Paris, et sur des briques logicielles propriétaires. Sans définition claire de ce dont on parle avec l’OSS, on y perd un peu son latin !

Jean Rognetta demandait si les membres du panel pouvaient citer un éditeur français de l’open source. Pas vraiment de réponse franche. Pourtant on peut citer JBOSS qui n’avait de français que le fondateur (Marc Fleury, établi à Atlanta aux US et récemment revendu pour plus de $400m à RedHat, une des plus belles sorties d’un français dans la high-tech depuis la revente de Kelkoo à Yahoo). Et aussi ObjectWeb, une plate-forme de middleware applicatif assez large couvrant à la fois les plates-bandes de JBOSS et de WebSphere d’IBM. Mais ce n’est pas vraiment un éditeur. ObjectWeb est plutôt une association de sociétés diverses (avec Bull, INRIA, et d’autres) fonctionnant en mode communautaire. Après Idealx, un leader des solutions de sécurité en open source, il n’y a plus grand monde. En fait, on voit plus proliférer des SSII open source à la Linagora et les départements spécialisés dans l’open source dans les grandes SSII (qui ne vont tout de même pas louper cette opportunité, notamment dans les marchés publics). A l’image de l’industrie informatique française ou le poids économique des SSII est énorme par rapport à celui des éditeurs de logiciels.

Toujours dans la table ronde, nous avons eu l’occasion de découvrir les activités des différents protagonistes, en particulier de DailyMotion (4 millions de pages vue/mois, phénomène d’adoption viral, 2500 vidéos téléchargées par jour, publicité à côté des vidéos, modèle de revenue sharing), d’Exalead et notamment de son rôle dans le projet Quaero (3 millions de lignes de code pour leur moteur, positionnement du search comme outil d’infrastructure). Puis, la discussion a viré sur le mode locatif de vente du logiciel, très en vogue. Certains veulent distinguer les vrais ASP (application Web) des faux ASPs (qui hébergent simplement une application client riche en Citrix). Il y a une vraie révolution dans le business model où le coût est lissé dans le temps. Un éditeur ASP prend un risque permanent contrairement à un éditeur de logiciels sous licences classiques (one shot + maintenance) car le service doit fonctionner en permanence et évoluer de façon transparente pour l’utilisateur.

Enfin, question qui tue : comment faire pour avoir plus d’éditeurs en France qui dépassent 10m€ ? Exalead insiste sur un développement international indispensable mais prudent. Xavier Lazarus d’Elaia indique que l’on enlève souvent l’étiquette « A vendre » lorsque l’éditeur a atteint cette taille critique car il peut alors continuer à se développer. Mais les offres de rachat des grands éditeurs américains sont difficiles à refuser. Philippe Bouaziz de Prodware pense que l’on assiste à un retour de la verticalisation autour de plates-formes qui s’enrichissent (il pense sans doutes aux outils de Microsoft Dynamics) et à un glissement du métier d’éditeur vers celui de SSII. J’aurais tendance à ne pas généraliser ce que l’on constate effectivement dans le secteur des ERP, condamné à terme à se consolider fortement ou à graviter autour des leaders de ce marché (SAP, Oracle, Microsoft, Sage, Cegid). Mais il n’y a pas que les ERP dans l’édition de logiciels!

Sur ce, nous avons eu droit à une présentation Han Solo de Didier Benchimol, CEO de Cartesis (entre autres, ex-Netscape EMEA, ex fondateur d’iMediation). Un éditeur qui se dirige vers les 100m€ de CA avec 600 personnes. Pas mal ! Ils ne sont pourtant pas très connus. Leur marché est celui de la consolidation financière dans les grands groupes internationaux, poussée notamment par les contraintes de la loi Sarbannes-Oxley aux USA qui rejaillit sur toutes les entreprises mondiales. En marketing-parlance, ils appellent cela: “Finance and Performance Management Software” Cartesis a fait évoluer son métier dans l’autre sens que Prodware : de celui de SSII vers celui d’éditeur de logiciels. Paradoxalement, la complexité de la comptabilité en France les a aidé à aborder le marché mondial. Ils sont présents dans huit pays dont les USA, et vont aborder rapidement le marché asiatique. Bref, de quoi avoir la foi dans la croissance d’un grand acteur français, et à espérer que l’on ne parle plus que des exceptions « Dassault Systèmes et Business Objects » qui cacheraient une industrie du logiciel moribonde en France. Elle recèle des talents, des entrepreneurs, une bonne R&D, qui ne demandent qu’à s’exporter. Il manque parfois une dose de marketing et de commerce pour secouer l’ensemble, mais est-ce si difficile de l’acquérir ?

Après un petit verre et quelques échanges de cartes de visite, tout ce petit monde s’en est allé d’un pas pressé rejoindre son écran plat tout neuf ou celui de son café préféré pour voir le match France-Espagne. Match qui a redonné espoir à la « France qui gagne ». Un peu comme la présentation de Didier Benchimol qui montrait qu’un éditeur de logiciels peut aller haut quand l’ambition est là.

RRR

 
S
S
S
S
S
S
S
img
img
img


Lien du blog Opinions Libres : https://www.oezratty.net/wordpress

Lien de l'article : https://www.oezratty.net/wordpress/2006/soiree-logicielle-a-lie-club/

(cc) Olivier Ezratty - http://www.oezratty.net