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Innovation ou marketing?

Post de Olivier Ezratty du 17 juin 2006 - Tags : Actualités,Internet,Logiciels,Microsoft,Startups | 5 Comments

Google est souvent présenté comme une société innovante, particulièrement en référence à Microsoft. La fameuse disposition permettant aux collaborateurs de Google de consacrer 20% de leur temps à des projets de leur choix entretient cette image d’innovateurs. Pourtant, les innovations de Google proviennent pour une grande part de leur capacité à mettre rapidement en route des services qui n’ont pas forcément été créés en interne!

Faisons un petit tour des nouveautés les plus visibles de Google de ces derniers mois et années:

  • Google Earth : c’est le résultat de l’acquisition de Keystone, une startup australienne, en octobre 2004. Dans ce domaine, Microsoft était un inventeur et Google un innovateur. En effet, Microsoft avait mis en place sur le web un service équivalent à Google Earth en 1998. C’est TerraServer, une application créée par Jim Gray, du laboratoire de recherche de Microsoft Research à San Francisco et père du moniteur transactionnel d’IBM, CICS. Terraserver avait été créé pour démontrer la capacité de montée en puissance de Microsoft SQL Server. L’objectif a été atteint, et a contribué au succès de Microsoft SQL Server dans les entreprises. Mais TerraServer avait deux défauts: une interface utilisateur “web 1.0” avec une ergonomie classique (zoom et déplacements dans la carte avec des boutons), et être créé par des chercheurs et pas pris en main par une véritable équipe produit, par exemple chez MSN. Google a au contraire acheté une société dont le produit était payant et l’a proposé gratuitement dans sa version de base. MSN a été amené à rapidement réagir avec MSN Virtual Earth dont les fonctionnalités et l’ergonomie avoisinent celle de Google Earth. Curieusement, MSN Virtual Earth est plutôt un “client léger” et Google Earth fonctionne sur la base d’un “client riche” qui bufferise les images sur le poste client. Le monde à l’envers! MSN Virtual Earth est depuis devenu Local.Live.com.
  • Picasa : le logiciel de gestion et de retouche d’images est le résultat de l’acquisition de la société du même nom en juillet 2004. Picasa concurrence tout un tas de logiciels de la même catégorie mais étant gratuit, il est très populare. Cependant, à force de simplifier la vie des utilisateurs, cela en devient irritant. Il n’est par exemple pas possible d’afficher les photos en mode “folder view” avec un tri des photos par répertoire.
  • Blogger : la solution de blogs de Google provient de l’acquisition de la société Pyra Labs en février 2003. C’est l’un des systèmes de blog les plus utilisés au monde.
  • Google Pack: annoncé au CES de Las Vegas en janvier 2006, il s’agit du repackaging de solutions commerciales ou open sources externes (Firefox, Ad-Aware, Norton Antivirus, Real Player, Adobe Reader 7.0…) dont la plupart sont téléchargeables librement prises isolément. Ce n’est d’ailleurs pas un franc succès.
  • Google Sketchup: ce logiciel de dessin 3D dont une bêta est disponible chez Google provient d’une acquisition de la société @Last Software en mars 2006! Cet exemple montre l’extraordinaire rapidité de Google pour rendre disponible au grand public le résultat de ses acquisitions.
  • Publicité contextuelle: Google est probablement le meilleur dans le domaine. Mais cette compétence a en partie été acquise lors du rachat d’Applied Semantics en avril 2003!

Il ne faudrait évidemment pas généraliser. Le moteur de recherche de Google, son coeur de métier, relève d’une R&D interne avec d’excellentes contributions scientifiques. Google Toolbar et Deskop sont également réalisés en interne. De même pour Google Talk et Gmail (qui est en bêta depuis plus de deux ans…).

Cette tendance à introduire des innovations provenant d’acquisitions est une autre forme d’innovation. En effet, les grands acteurs de l’industrie IT pratiquent souvent ainsi: R&D interne pour les produits phares vaches à lait et acquisition de produits périphériques ou de fonctions périphériques à ces produits phares.

C’est d’ailleurs dans ce domaine que Microsoft a beaucoup de progrès à faire par rapport à Google. Le “track record” de Microsoft en termes d’acquisitions est mitigé. Microsoft a acheté relativement peu de sociétés compte tenu du cash dont elle disposait et dispose encore malgré la distribution de dividendes exceptionnels aux actionnaires et aux rachats d’actions. Leur digestion lorsqu’elles avaient une taille significative ne s’est toujours pas bien faite. L’intégration des aspects vente et marketing a toujours été plus délicate qu’au niveau de la R&D. C’est le cas de Navision et Great Plains dont la traduction en chiffre d’affaire de “Business Solutions” est jugée encore assez lente. Google a l’air d’être meilleur à ce jeu, reprenant les leçons de Cisco, probablement la référence en matière d’acquisitions dans l’industrie informatique.

Ceci explique pourquoi Microsoft a récemment lancé un plan d’acquisitions qui a connu une accélération énorme depuis début 2006. Alors que Microsoft n’avait réalisé que sept acquisitions en 2005, il en a déjà fait plus de 22 en juin 2006! Et beaucoup de ces acquisitions sont liées à l’Internet. Celle qui m’a le plus marqué est MotionBridge, un moteur de recherche pour mobiles français! Cocorico! C’est la première acquisition française pour Microsoft! Alors que quelques acquisitions avaient déjà eu lieu en Europe (UK, Danemark, Roumanie). Version “verre à moitié vide”: Microsoft pille l’excellence technologique française (au demeurant, à ce rythme, les dégats sont minimes). Version “verre à moitié plein”: c’est une marque de reconnaissance des talents que l’on peut trouver en France et la porte ouverte à de nouvelels sorties de ce genre. Certaines acquisitions visent en efet à accélérer la montée en puissance de Windows Live, la nouvelle plate-forme de services Internet (ala Web 2.0) et dans la mobilité, deux domaines où la créativité française n’est pas en reste.

Cette accélération des acquisitions constitue une opportunité de sortie pour des startups françaises. Evidemment, ce genre de sortie s’effectue assez rapidement car Microsoft préfère acheter des sociétés très jeunes. Non pas comme le veut la rumeur “pour tuer ses concurrents dans l’oeuf”, mais pour faire l’acquisition de technologies à bon compte et pour les intégrer dans ses logiciels. En plus, Microsoft est un acheteur assez difficile. Le process de due diligence est long et laborieux. Mais il y a tellement de domaines où Microsoft a des besoins, comme Google ou Yahoo d’ailleurs, que les opportunités sont innombrables. Comme la force des startups françaises réside souvent dans leur technologie plus que dans leur marketing, l’offre peut correspondre à la demande! Seul chose à prévoir en cas d’acquisition: se préparer à déménager à Redmond (près de Seattle aux USA). Sauf à anticiper la création d’un laboratoire de R&D de Microsoft en France, pourquoi pas autour du laboratoire conjoint avec l’INRIA qui est en train d’être lancé.

A côté de ces acquisitions, Microsoft comme Google mênent de nombreux projets de R&D. Mais un grand nombre d’entre eux ne voient jamais le jour du marché. Soit qu’ils sont trop marginaux, soit pas au point, soit qu’il n’y a pas de bon business model sous-jacent. L’innovation au sens propre du terme, c’est la diffusion à grande échelle de nouveautés. Elle repose autant sur du marketing plus sur de la technologie. Microsoft est paradoxalement prolixe en terme de technologies, mais moins dans sa capacité à les commercialiser. Le modèle commercial classique de Microsoft est plus lent à se mettre en branle que le modèle de diffusion gratuite d’outils de Google, donc il est difficile de les comparer.

La différence clé, c’est donc le marketing. A la fois le marketing amont qui aligne les besoins latents des utilisateurs avec le produit, et le marketing aval qui génère la notoriété et la demande pour la nouveauté. D’où la criticité de la synchronisation entre la R&D et le marketing. Autant dans un géant du logiciel que dans une startup. C’est peut-être donc dans le marketing que Microsoft doit faire des progrès, ne serait-ce que pour valoriser la richesse de sa R&D interne, plutôt que d’augmenter ad-vitam son budget R&D qui est déjà énorme et équivaut au chiffre d’affaire de Google.

De son côté, Google devra transformer ces nouveaux services en autre chose que des attrapes-utilisateurs et bâtir un modèle économique qui tienne la route, au delà du search classique. Par certains côtés, Google me donne l’impression d’avoir une stratégie équivalente à celle de Microsoft, à force de lancer des ballons d’essais dans plein de directions sans qu’ils soient sous-tendus par une véritable approche économique. C’est la caractéristique des boites “riches”.

RRR

 
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