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Candidate 2.0

Post de Olivier Ezratty du 19 novembre 2006 - Tags : Actualités,France,Internet,Politique | 4 Comments

Réflexion faite, Ségolène Royal est une “Candidate 2.0” par analogie rapide avec le “Web 2.0”.

Autant d’un point de vue conceptuel que dans son utilisation des nouvelles technologies. Elle s’est tactiquement et opportunistiquement très bien alignée avec la société. Elle même abreuvée des concepts du Web 2.0, même si ceux-ci ne touchent dans la réalité qu’une minorité de gens connectés. Mais les jeunes sont maintenant très “Web 2.0”.  Et l’élection de Ségolène Royal au premier tour des primaires du PS devait en grande partie aux dizaines de milliers de jeunes militants qui sont récemment arrivés au PS.

Quelques explications de cette analogie un peu fumeuse:

  • Son programme relève d’un travail d’intégration tout azimut avec des idées qui ne sont pas forcément à elles. C’est ce qui resort de la lecture des deux premiers chapitres du fameux livre “Désirs d’avenir” publié sur son blog. Livre qui n’a jamais été terminé! Les nouveaux services Web 2.0 relèvent de cette même démarche à intégrer des services fournis par d’autres.
  • Les chapitres 1 et 2 du livre en question font également penser à la “Long Tail“. Au sens argumentatif du terme. Ils constituent en effet une consolidation encyclopédique de tous les maux du capitalisme, du libéralisme et de la mondialisation. Sans d’ailleurs qu’ils soient bien hiérarchisés. Chacun peut y faire son marché. Cela couvre largement l’offre intellectuelle du moment, des déclinologues aux alter-mondialistes.
  • Son programme politique est construit comme un Wiki (http://www.desirsdavenir.org/index.php?c=livre) et sa passion pour la notion de démocratie participative est tout à fait dans l’air du temps du Web 2.0. Comme l’indiquait récemment Tariq Krim dans un débat auquel j’ai assisté, le Web 2.0, c’est de l’Internet “read-write”. Avec Ségolène, c’est de la politique “read-write” pas juste “read”. Mais bonjour la cohérence du résultat! Il faut maintenant défragmenter le programme pour éviter d’obtenir un projet politique pour un pays construit à la sauce Digg.
  • Les effets de levier des blogs de soutien comme http://www.segoleneroyal2007.net sont très bien orchestrés. Certes, DSK avait cherché le même effet, mais visiblement pas avec le même retour.
  • On passe du texte à l’image et à la vidéo! L’usage de DailyMotion pour diffuser l’intégralité des discours de la candidate est une bonne manière de contourner les médias traditionnels qui filtrent tout et résument à 30 secondes tout discours d’une demi-heure. L’aspect photogénique de Ségolène est aussi exploité à tout va. S’il y avait un concours de beauté, c’est vrai qu’elle le remporterait haut la main par rapport à Bachelet, Merckel, Clinton (Hillary) et en France, face à MAM, Arlette ou Marie-Georges Buffet. S’y ajoute le fameux tailleur blanc, symbolique de la différence et du renouveau. Et ce sourire de caméra toujours au rendez-vous. Mais qui ne cache malheureusement pas son pédigrée d’énarque, que l’on redécouvre à chaque fois dans la phraséologie vide de sens de nombre de passages dans ses discours et dans sa brutalité comportementale quotidienne “behind the scene”.
  • L’approche économique est voisine de celle de nombreux sites Web: créer d’abord de l’audience avec un beau programme et se préoccuper seulement ensuite du modèle économique! Même si on trouve cela dans la majeure partie des candidats à la Présidentielle et qu’à ce jeu là, Laurent Fabius l’avait largement dépassée avec ses promesses d’augmentation du pouvoir d’achat.
  • Une partie de son équipe est bien branchée “Internet / hightech / Web”, comme Christophe Chantepy, ancien conseiller du Ministre de la Culture du temps du gouvernement Jospin, que j’avais croisé plusieurs fois à l’Université de la Communication d’Hourtin.

Le problème, c’est que la politique et gouverner un pays, ce n’est pas comme le Web 2.0. Il faut certes être connecté au monde réel et au pays. Mais il faut se garder des limites du populisme et notamment du rejet des experts que Ségolène Royal prone à tout bout de champ. Rejeter les experts et sanctifier la parole populaire, cela peut être une forme de rejet de la réalité, notamment économique. Et comme pour le Web 2.0, il n’y aura pas que des gagnants dans la mondialisation!

Comme le disait Jacques Séguéla en juin à l’EBG : “Sarkozy dit votez pour moi. Ségolène dit votez pour vous“. Même si la seconde assertion est illusoire, elle est bien alignée avec la société et ses particularismes. On préfère voter pour son intérêt particulier que pour l’intérêt général. D’ailleurs, chassez le naturel, il revient au galop. Elle a ainsi versé dans le “moi moi moi” dans ses premières remarques consécutives au résultat du vote au sein du Parti Socialiste en racontant à quel point elle était heureuse, que c’était un moment extraordinaire pour elle, avant de se reprendre le lendemain pour parler de la France et de rassemblement. Ses conseillers ont du passer par là pour la remettre d’aplomb.

Je ne vais pas pour autant comme Rodrigo Sepulveda avouer un penchant pour Ségolène Royal, ni comme Loic Le Meur, une préférence pour Nicolas Sarkozy, basée uniquement sur sa position relative à l’entrepreneuriat. Avec entre les deux des personnages avec quelques bonnes idées mais peu ou pas de parti (Bayrou, Chevènement). Dans les deux principaux camps, il y a à boire et à manger et il sera temps de choisir au moment de l’élection.

Ce qui m’intéresserait serait de voir des candidats briser certains tabous, et au delà de ce qu’à justement fait Ségolène Royal (sur l’autorité parentale, le rôle de l’école et l’engagement des enseignants, sur la sécurité ou le logement) ou Nicolas Sarkozy (sur l’immigration, le rôle de l’Etat, et sa vision de l’égalité républicaine et du mérite). Et surtout, qu’ils parlent un peu plus des entreprises et des moyens de leur faire créer plus de richesses. Car c’est au bout du compte la seule manière de créer de la croissance et de baisser le chômage.

Exemple de tabou: le système des élus locaux. On n’arrête pas d’entendre dire qu’il y a trop d’état en France. C’est vrai. Mais au sens large du terme. La France rassemble 40% des communes de l’Europe des 15 et avec trois strates d’instances politiques locales (communes, département, régions) sans compter les syndicats intercommunaux, bat le record de la complexité administrative. Il faudrait simplifier tout cela. On pourrait faire quelques économies au passage. Mais aussi bien intentionné soit-il, le Président qui entamerait cette réforme risquerait bien le sort réservé à De Gaulle en 1969 au moment où celui-ci cherchait à réformer le Sénat. Donc, on conservera ce particularisme lié aux traditions et à l’inertie pendant encore quelques décennies voire siècles.

Qu’on le veuille ou non, la politique génère un populisme de positionnement incontournable qui fait que les candidats disent ce que les gens veulent entendre plutôt que ce qui relèverait de l’intérêt général. C’est après, une fois élu, que la réalité reprend le pouvoir. Comme dans les startups, une fois que le cash levé auprès de VCs a été consommé! (ah, zut, il fallait bien que je retombe sur le sujet de départ après ces diggressions).

RRR

 
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