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Les nombreux prismes du 13 novembre – 2

Post de Olivier Ezratty du 1 décembre 2015 - Tags : Enseignement supérieur,France,Politique,Technologie | 7 Comments

Après avoir décrit quelques origines historiques de Daech et du 13 novembre, je vais traiter de deux autres sujets liés aux événements et qui intègrent un peu de prospective :

  • Le lien de ces conflits avec le réchauffement climatique et les ressources hydriques du Moyen-Orient.
  • L’importance des énergies fossiles pas simplement dans le conflit mais aussi dans les conséquences à venir de leur épuisement et de la transition inéluctable vers les énergies renouvelables.

Il ne s’agit pas de nouvelles thèses explicatives de la situation actuelle, mais plutôt d’un assemblage de diverses thèses existantes couplé à une petite dose de prospective.

Eau et climat

Dans n’importe quelle géographie, l’eau est la base de la vie. L’homme ne peut s’en passer comme l’agriculture pour le nourrir. L’eau en Irak et en Syrie provient à 75% de deux sources : le Tigre et l’Euphrate. Or, depuis les années 1980, la Turquie a construit en Anatolie une vingtaine de barrages et centrales hydroélectriques avec des retenues d’eau pour les détourner au profit de son agriculture.

Le pays considère que l’eau de ses fleuves lui appartient et n’a que cure des pays en aval. Qui plus est, la Turquie pollue les eaux des fleuves avec ses engrais chimiques ce qui ajoute un risque sanitaire. Cf “La crise de l’eau en Irak” ainsi que “L’eau, cause ou prétexte pour les conflits ? L’exemple du Tigre et de l’Euphrate” publiés dans le site “Les Clés du Moyen-Orient”. Il y a bien eu des négociations entre la Turquie, la Syrie et l’Irak, notamment au milieu des années 2000, qui n’ont jamais vraiment abouti.

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Qui plus est, le réchauffement climatique a eu comme conséquence la raréfaction de l’eau de pluie dans la région, correspondant aux 25% restants des ressources hydriques. Un pic de sècheresse entre 2007 et 2009 a conduit à une crise agricole qui a généré un exode rural créant une pression démographique sur les villes. D’où les révoltes en Syrie ainsi qu’en Egypte en 2011 qui ont été affectées par le même phénomène, amplifié par les mauvaises récoltes de céréales en Ukraine et Russie. Au passage, on se rappellera que la révolution française a été le résultat, parmi d’autres facteurs, du refroidissement climatique l’ayant précédé et des mauvaises récoltes associées. Bref, les révolutions arabes étaient des révolution de l’eau et du pain en plus d’être liées au besoin de se débarrasser de régimes dictatoriaux divers !

A noter aussi que Daech est surtout implanté le long de l’Euphrate et du Tigre. C’est autour de l’eau que la vie se développe dans les déserts, comme en Egypte autour du Nil ! Cela lui permet au passage de disposer d’un moyen de pression sur l’aval des fleuves, les régions non dominées de l’Est de l’Irak ! De plus, l’intégralité de l’Euphrate syrien est actuellement sous le contrôle de Daech !

Tigre et Euphrate Daech

Le même problème existe d’ailleurs entre Israël et les territoires palestiniens voire avec la Jordanie, dans l’exploitation des eaux du Jourdain. Cf “Eaux et conflits dans le bassin du Jourdain”.

Et ce n’est pas prêt de s’améliorer. Les évolutions du climat risquent de créer des bouleversements humains encore plus radicaux. Cf “Could A Monster El Nino Fuel More Monstrous Terrorism?” dans Fortune. Et l’ONU prévoit que le débit de l’Euphrate baissera de 50% et de 25% pour le Tigre d’ici 2025. Ca promet !

Dans l’histoire, les populations locales sous le joug de Daech souffrent à plusieurs titres ! Elles ont perdu toute forme de liberté. Leur situation économique est plus que précaire. Ils risquent d’être des victimes collatérales des bombardements. Enfin, l’eau potable se fait rare tout comme les médicaments aussi. Ce qui explique le nombre de migrants dans la région.

En septembre, le HCR avait décompté 11,7 millions de réfugiés issus de Syrie, soit la moitié de la population du pays, un niveau rarement égalé dans l’histoire.

Rien qu’en 2014, le Liban avait accueilli 1,2 millions de réfugiés, soit une personne sur cinq habitants, la Turquie 1,9 millions et la Jordanie, 650 000. Seule une petite partie est arrivée en Europe de l’Ouest même si elle a gonflé significativement depuis début 2015, se montant maintenant à plus de 350 000 personnes. A-t-on aidé ces pays à accueillir tous ces réfugiés ?

Voir “Vers quels pays fuient les réfugiés syriens ?” paru dans Courrier International qui fait référence à une étude de Amnesty International, ainsi que “Comprendre la crise des migrants en Europe en cartes, graphiques et vidéos” et dans “Le nombre de migrants et de réfugiés a explosé au XXIe siècle dans le monde” publiés dans Le Monde. Et ce n’est qu’un début !

Les énergies fossiles

Le pétrole et le gaz sont les drogues de l’occident mais les poisons politiques des pays d’où ils sont extraits. Ils sont surtout exploités par une classe dirigeante corrompue et féodale qui dispose d’un pouvoir lié à une économie de la rente. Elle exploite des ressources fossiles mais ne l’extrait même pas elle-même, s’appuyant sur les groupes pétroliers occidentaux, bien contents de s’approvisionner à bon compte et de tirer les ficelles de la géopolitique locale.

Ces pays sont parfois aussi ségrégationnistes que l’Afrique du Sud de l’Apartheid, les travailleurs immigrés provenant d’Asie du Sud-Est disposant de presque autant de droits que les esclaves du Moyen-Age chez les omeyades. 89% des résidents des Emirats sont étrangers !

Le Qatar aurait de son côté alimenté les opposants à Bachar Al Assad pour éviter que l’Iran construise son propre gazoduc accédant à la Méditerranée via l’Irak et la Syrie. Ils exploitent le même gisement de gaz, de part et d’autre du golfe Persique. D’où l’intérêt pour eux de soutenir la rébellion sunnite. Ils avaient initialement négocié avec Bachar Al Assad, qui s’était ensuite rétracté. C’est expliqué dans “Aux origines de Daech, la guerre du pétrole” sur le site de France Info ainsi que dans “La Syrie, otage d’une bataille pour l’énergie”.

On sait que la transition énergétique nous amènera tôt ou tard à ne plus dépendre autant du pétrole et du gaz, qui seront remplacés par les énergies issues des flux du soleil (photovoltaïques, thermiques, éoliens, …). La question est : à quel rythme et avec quelles conséquences pour la région ?

Certains idéalistes prévoient qu’avec la fin de la dépendance des énergies fossiles, le Moyen-Orient perdra de son importance et de son influence et donc, gênera moins l’occident. Cf “La meilleure arme contre le djihadisme : la transition énergétique” publié dans L’Avenir, un site d’information belge. Comme l’histoire de la région nous l’a appris, c’est une épée à double tranchant. Rappelons-nous que l’Afghanistan n’a pas de pétrole et n’est pas pour autant un facteur de stabilité dans sa région ! Mais il aurait pu entrer en jeu dans le conflit avec le projet de construction d’un pipeline reliant le Turkménistan et le Pakistan, traversant l’Afghanistan, qui n’a toujours pas commencé.

Le réchauffement climatique combiné à une baisse des revenus du pétrole pourrait conduire à de nouvelles révolutions islamiques dans les pays concernés. Et la péninsule arabique comprend 77 millions d’habitants. Des migrations d’origine climatique, économique et politiques sur cette population seraient très déstabilisantes pour la région et l’occident, surtout si l’on y ajoute celles qui ne manqueront pas d’être provoquées par la montée des océans en Asie.

Mais cela prendra du temps, bien trop de temps par rapport au phénomène du réchauffement climatique anthropique. Les réserves de pétrole du Qatar lui permettent de tenir au moins 60 ans au rythme de production actuel. Les réserves mondiales de pétrole connues seraient épuisées en 50 ans au rythme actuel de consommation.

PIB vs energies fossiles

Au-delà du prétexte religieux et de la volonté de créer un revival de Califat, le fonctionnement de Daech ressemble fort à celui d’une pègre à l’échelle d’un pays, un peu comme les mafias napolitaines, calabraises et siciliennes qui correspondent aux régions les plus pauvres du sud de l’Italie. Sa principale source de revenus est d’ailleurs le pétrole, qui circule en camions vers la Syrie et la Turquie et bénéficie d’un prix “dumpé”.

Quelle est au passage l’attitude de l’Arabie Saoudite et du Qatar à la veille de la conférence COP21 ? Ce n’est pas bien glorieux. Cf “Menacés par le réchauffement climatique, les pays du Golfe freinent (encore) la Cop21” du Huffington Post qui évoque une prévision scientifique selon laquelle la température dans ces pays les rendra rapidement invivables, au point même de menacer le pèlerinage rituel à La Mecque.

L’Arabie Saoudite a finalement remis sa contribution à la COP21 le 10 novembre 2015, le dernier du G20 à le faire. Cette contribution reconnait les risques climatiques et économiques qui menacent le pays. Le pays prévoit d’investir dans les énergies solaires et plein d’autres mesures qui présentent la caractéristique de ne pas être du tout chiffrées. Et rien sur l’éducation ni sur le développement économique ! Le solaire est en effet prometteur pour ce pays très ensoleillé toute l’année. Il faudrait pour l’adopter à grande échelle construire des infrastructures de transport de l’électricité dans la région.

La famille Saoud au pouvoir en Arabie Saoudite doit essayer de préserver au mieux l’avenir. Mais voient-ils suffisamment long terme ? Ils ne sont pas contraints comme nos politiques par la vision court-termiste des mandats électoraux. Juste par leur durée de vie personnelle qui, pour ceux qui sont au pouvoir va en-deça de l’épuisement des ressources fossiles de leur sous-sol ! Question d’échéance ! Un jour, de jeunes générations prendront le relais et ils penseront de manière un peu plus stratégique. Un bon signe tout de même, même s’il est marginal, la participation du Prince Al Waleed Bin Talal à l’initiative de Bill Gates et Mark Zuckerberg, la Breakthrough Energy Coalition annoncée pendant la COP21, qui vise à financer des projets sur les énergies renouvelables.

Avec du recul, de nombreuses guerres qui ont pu générer du terrorisme sont liées à des conflits d’accès à des matières premières convoitées. En plus du pétrole et de l’eau, on peut citer l’or, les diamants et notamment le fameux coltan qui illustre au Congo une observation selon laquelle plus un pays a de ressources naturelles, plus la corruption s’y développe et moins la démocratie peut y régner.

Le degré de préparation des pays qui vivent de ressources en énergies fossiles est aussi très hétérogène. Et il n’est pas bien documenté ! Il est impossible d’obtenir l’indice GINI de répartition des richesses dans la plupart des pays musulmans ! Quels sont les pays concernés qui se préparent à l’ère “post énergies fossiles” ? Ils ne sont pas nombreux. On peut compter surtout sur les Emirats Arabes Unis qui veulent faire de Dubaï une plaque tournante de la région, investissant notamment dans le transport aérien, la finance, le tourisme de luxe et l’immobilier.

La COP21 et ses éditions suivantes doivent gérer tout un tas de questions. A court terme, il s’agit de limiter les émissions de CO2. La principale méthode consiste à accélérer la transition énergétique vers des énergies non carbonées, notamment solaires et éoliennes. Cette transition est étroitement liée à la capacité de stockage de l’énergie, dans des batteries ou d’autres moyens (retenues d’eau, hydrogène, …).

Traitement du lithium au Chili (source - photo.sf.co.ua)

Les conflits actuellement générés par l’accès aux ressources fossiles vont probablement se déplacer vers l’accès aux matières premières, et en particulier les minerais de fer et de cuivre (Chili, USA, Pérou, Canada, Australie, Russie), les sables de quartz (pour fabriquer les cellules de panneaux photovoltaïques) et le lithium (assez rare, que l’on trouve en Amérique du Sud, en Australie). Les pays riches en matières premières ne sont pas du tout les mêmes que ceux qui disposent d’énergies fossiles dans leur sous-sol !

Il faut aussi préparer les conséquences inéluctables et croisées et réchauffement climatique et de la fin en biseau des ressources en énergies fossiles pour un grand nombre de pays. Le cumul des deux pourrait générer des mouvements migratoires bien plus importants que ceux qui ont été provoqués par les conflits en Irak, Libye et Syrie. Mais demander aux Etats de planifier la réponse à des crises de ce genre au-delà de cinq ans reste une gageure !

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Dans la partie suivante de cet article, nous traiterons du rôle des sciences et de l’éducation dans les pays concernés par le conflit. Je ferais aussi un tour du côté de la réaction émotionnelle aux attentats en France.

RRR

 
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