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Les propagandes de l’innovation – 1

Post de Olivier Ezratty du 4 mai 2014 - Tags : Apple,Communication,Google,Internet,Loisirs numériques,Marketing,Médias sociaux,Objets connectés,Politique,Sociologie,Technologie | 41 Comments

Le monde numérique et technologique est régulièrement abreuvé de vagues d’innovations de rupture en devenir ou établies. Elles envahissent l’espace médiatique. On les retrouve dans les thèmes de créations de startups. Les médias relaient ces vagues d’innovations qui brouillent les repères en propageant des promesses parfois bien exagérées.

Le terme de propagande est avant tout lié aux mécanismes de manipulation des foules à des fins politiques, notamment dans la création et la préservation de dictatures. Elle s’appuie dans ces cas-là sur des mensonges ainsi que sur des boucs émissaires responsables de tous les maux.

La propagande dite sociologique est utilisée dans les démocraties et en temps de paix pour forger les opinions et modifier les comportements. Elle est pratiquée aussi bien par les pouvoirs politiques qu’économiques pour s’adresser aux électeurs et aux consommateurs. Elle peut aussi être utilisée, à moindre échelle, par différents groupes de pression comme certaines ONG. Ce sont des phénomènes plus diffus. Cette propagande n’est pas forcément coordonnée même si parfois, elle a quelques points d’origine bien identifiables comme des entreprises leaders ou émergentes d’un secteur donné ou des personnalités en vue.

Megaphone

La propagande sociologique se distingue de la publicité qui couvre généralement un seul produit ou une seule marque. Le phénomène sur lequel je vais m’attarder décrit des vagues entières d’innovation. On a parfois du mal à en identifier l’origine exacte, notamment dans le cas des Bitcoins. L’innovation numérique touche le grand public et impacte profondément la société depuis au moins une quinzaine d’années. Certaines innovations sont portées par un véritable projet de société : ce fut le cas de l’open source, c’est le cas des fablabs tout comme des Bitcoins. L’impression 3D semble elle aussi s’intégrer dans un discours prospectif politique, économique et environnemental. Cela explique ce phénomène de propagandisation de l’innovation que je vais décrire dans cet article.

C’est d’ailleurs un phénomène bipolaire avec d’un côté, la propagande de l’offre nouvelle ou en devenir, et de l’autre, la contre-propagande des tenants de l’existant, et notamment les entreprises pouvant être bouleversées par ces innovations. Nous en avons un très bel exemple en ce moment avec le cas des taxis face aux VTC et la bataille règlementaire associée. Elle a été récemment symbolisée par la bourde d’Arnaud Montebourg qui indiquait à la conférence Leweb 2013 être prêt à ralentir certaines innovations si elles bouleversaient trop l’ordre établi.

Ce papier n’est pas une attaque en règle des propagandistes du numérique. A la fin, j’en tirerai quelques conclusions utiles aux startups qui souhaitent changer le monde et créer de nouvelles ruptures dans ce brouhaha médiatique fort encombré ! Cela s’appliquera aussi aux grandes entreprises.

Quelques thèmes de propagande numérique

L’innovation numérique touche le grand public depuis l’avènement du micro-ordinateur à la fin des années 1970 puis des consoles de jeu dans les années 1980. Elle a pris son essor dans les années 2000 avec l’arrivée conjointe et massive des micro-ordinateurs et de l’accès à Internet dans les foyers, puis avec la musique et la photo numériques et enfin, avec les smartphones et les tablettes depuis respectivement 2007 et 2010.

Ces années ont vu l’arrivée de nombreux équipements qui ont inondé les foyers : les PC/Mac, les caméscopes numériques, les appareils photos numériques, les consoles de jeu de salon et portables, les cadres photos, les imprimantes à jet d’encre, les scanners, les set-top-boxes et les TV connectées. Côté logiciels et services, se sont généralisés les uns après les autres avec notamment : la messagerie traditionnelle ou instantanée, les moteurs de recherche, les réseaux sociaux, le commerce en ligne sous toutes ses formes et les services de l’économie collaborative.

Les prétendants pour s’intégrer dans cette lignée sont toujours nombreux. La propagande bat actuellement son plein autour des suivants :

  • La crypto-monnaie Bitcoin qui annonce la fin des monnaies des Etats et des banques, la désintermédiation totale, des coûts de transaction diminués et le miracle d’un procédé ultrasécurisé. C’est la monnaie qui lave plus-blanc ! De tous les thèmes évoqués ici, c’est celui qui génère le plus de feux et de contre-feux. Ils sont régulièrement alimentés par les événements en hauts et bas : la faille de MtGox, la fluctuation énorme de son taux de change, les contournements de son mécanisme de sécurité et l’origine non identifiée de sa création. Et surtout, une confusion des genres entre investissement spéculatif et simple monnaie d’échange.
  • Les objets connectés en tout genre, wearable ou pas : ils nous aident à conserver ou améliorer la forme physique, ils génèrent des données qui seront des trésors permettant de transformer nos vies et le marketing. Il y en aura au choix 30, 50 ou 80 milliards dans le monde d’ici moins de 10 ans. On en parle comme on aurait parlé de l’électricité il y a un siècle. La vague des objets connectés s’appuie certes sur des points communs : la baisse des coûts, une connectivité généralisée et l’utilisation de logiciels dans le cloud pour analyser les données. Mais ils recouvrent des catégories de produits très différentes qu’il convient d’analyser cas par cas. Les Google Glass n’ont rien à voir avec les capteurs de température !
  • L’impression 3D qui permettrait de produire ses objets chez soi et transformerait ainsi toutes les industries manufacturières. Cela annoncerait la fin des usines et de l’obsolescence programmée. Et aussi du capitalisme, si l’on en croit Jeremy Rifkin.
  • Le séquençage de l’ADN pour tous qui permettra de diagnostiquer, prévenir et guérir de nombreuses maladies. Là, presque tout de suite et maintenant, avec un séquençage à $100 ! Une vision quelque peu accélérée du processus d’innovation très lent que connait la biologie moléculaire ! Alors que l’on commence à peine à comprendre l’immense domaine de l’épigénétique et le rôle des séquences dites non-codantes de l’ADN, celles qui ne contiennent pas les gênes servant à créer les protéines, mais conditionnent leur “expression”, sans compter les facteurs environnementaux.
  • Le big data qui promet monts et merveilles dans l’exploitation des énormes volumes de données générés par nos vies numériques, de nos activités en ligne à celle, grandissante, de tous les nouveaux objets connectés et leurs capteurs. On est ici dans le cas extrême du marteau qui cherche ses clous. D’où les expressions nouvelles de “small data” et de “right data” pour se rapprocher de quelque chose d’utile.
  • L’incontournable marketing digital vendu à toutes les entreprises mal connectées, qui par la magie de l’engagement et de la viralité, va faciliter l’acquisition et la fidélisation des clients. Ce terme de “digital” génère de la confusion car il recouvre à la fois des technologies, des usages et une posture (ouverture, écoute, transparence, réactivité). Sans compter les contenus !
  • Le thème récurrent d’Apple qui va sortir sous peu (au choix) une TV, une voiture électrique, une montre ou un frigo, qui vont tout balayer devant eux. Et sinon, pour le plus banal, un nouvel iPhone (6), iPad (pas de numéro) et MacBook Air (pas de numéro non plus) qui rendront obsolètes tous les produits de leur catégorie.
  • Le transhumanisme, la singularité et la robotique, notamment chez Google, qui après avoir embauché Ray Kurzweil, vient de faire plus d’une dizaine d’acquisitions de startups dans ces domaines et dans l’intelligence artificielle (Vicarious).

Et la liste n’est pas exhaustive. Il faudrait ajouter l’open innovation en apparence adoptée par un nombre incroyable de grandes entreprises, l’open data, l’économie collaborative avec le financement participatif et les fablabs, les MooC, la formation en ligne massive qui va signer la fin de l’enseignement traditionnel avec des élèves qui écoutent ou interagissent dans le monde réel avec des enseignants. Alors qu’elle est complémentaire.

Il y a aussi les trucs plus légers comme la mode des selfies, qui ne prête pas trop à conséquence ni ne risque de bousculer l’ordre économique établi. Même si l’on a pu observer la récupération du thème par les annonceurs (Samsung aux Oscars 2014) et les politiques (la première ministre du Danemark aux funérailles de Nelson Mandela).

Tout ceci est en tout cas nettement plus fun que les innovations des années 1990 qui touchaient surtout le monde des entreprises : le client serveur, les réseaux locaux, la messagerie, le travail collaboratif, les ERP et la gouvernance des systèmes d’information !

Le contexte de ces propagandes de l’innovation

Pourquoi le marketing de la high-tech s’est-il transformé en propagande sociétale ? J’y vois au moins cinq raisons clés :

  • Le numérique a envahi tous les pans de la société et c’est devenu un véritable sujet politique même si les politiques ont encore du mal à se l’approprier. En tout cas, en France.
  • On est et reste dans une économie de l’offre avec la recherche permanente du graal du nouveau produit qui équipera tous les foyers.
  • Malgré les décennies que nous avons derrière nous, nous manquons de repères solides pour jauger le poids et le devenir des innovations.
  • Les médias en ligne et les réseaux sociaux jouent un rôle de caisse de résonance normative des innovations émergentes.
  • Les grands acteurs de l’industrie dépensent de plus en plus d’énergie dans le lobbying politique, avec des effets indirects sur leur marketing.

Eléments que nous allons voir maintenant…

La société est envahie par le numérique

Le premier gros changement date du début des années 2000 avec l’avènement de l’Internet, de la micro-informatique puis de la mobilité pour tous. Le numérique a inondé nos vies personnelles et professionnelles. Les transformations sociétales et économiques induites par le numérique ont été profondes : la relation au temps a changé et les relations sociales ont évolué. Le numérique a accéléré la mondialisation qui ne concerne pas seulement le commerce physique mais aussi celui de l’immatériel : les contenus, le savoir, les logiciels et de plus en plus, les services. Avec les MOOC (massive open online courses), l’éducation passe aussi à la moulinette ! La santé est la suivante dans la liste.

Le numérique a aussi été globalement déflationniste sur la valeur des contenus et du travail. L’immensité de l’offre disponible sur Internet a commoditisé les contenus et les services en ligne. Ils sont devenus gratuits ou presque. La philosophie optimiste et libertaire de la liberté et de l’ouverture a généré un contre-coup : la marchandisation de l’utilisateur via la publicité qui finance un très grand nombre de services dématérialisés, notamment au prix de la réduction progressive, consentie ou pas, de la notion de vie privée.

Tout cela, sans que l’on sache jusqu’où cela pourrait aller et quelle est la limite du modèle. A savoir : quels sont les services qui ont vocation à être financés de la sorte et les autres ? Va-t-on vers une économie où l’on paye ce qui est matériel et les budgets publicités liés à ces business financent les services de l’immatériel ? Ou bien, l’immatériel n’est-il pas simplement enfoui dans le matériel ?

Une rupture technologique issue du numérique a de fortes chances de porter un message sociétal ou économique fort. On n’est plus dans le marketing produit banalisé mais dans des optiques de transformation profondes de la société.

Ere Numerique Nouvel Age Humanite Gilles Babinet

Cela explique pourquoi on voit maintenant des entrepreneurs du numérique écrire des livres à connotation politique. C’est le cas de Gilles Babinet avec L’ère numérique, un nouvel âge de l’humanité : Cinq mutations qui vont bouleverser notre vie. Nombreux sont les entrepreneurs et associations du numérique qui cherchent à sensibiliser, à juste titre, les pouvoirs politiques sur l’importance du numérique dans LE politique. Gilles insiste beaucoup sur ce qui concerne la santé ou l’éducation.

Une économie de l’offre

Les cycles technologiques dans le numérique sont très rapides. C’est un marché mondial et hyperconcurrentiel. Un grand nombre de startups déstabilisent en permanence les grands acteurs de l’industrie. Chacun cherche de nouvelles formes de croissance. Le graal : créer de nouvelles vagues technologiques qui équiperont un jour plus de 80% des foyers dans les 20 ans qui viennent. Cette question “pèse” généralement entre 20 et 300 milliards de dollars à chaque fois.

Pour prendre les exemples récents les plus significatifs, les smartphones et tablettes qui ne représentaient rien avant 2007 génèreront en 2014 environ $400B de chiffre d’affaire dans le matériel, soient 43% de la valeur totale des produits de loisirs numériques (intégrant TV, photo, hi-fi, consoles de jeux, PC/Mac grand public, accessoires). En quelques années, près de la moitié de la valeur de tout un secteur a ainsi été captée par deux nouveaux produits (données en % de CA mondial de vente de matériel dans les loisirs numériques ci-dessous, d’origine GFK) ! Cela s’est fait au détriment de presque toutes les autres catégories de produits car le CA global de l’industrie est relativement stable depuis 2011 !

Ventes smartphones et tablettes 2010-2014

Chaque nouveauté “de rupture” aspire donc à ce statut : devenir un standard qui va transformer radicalement le marché et équiper les foyers à grande échelle. Les besoins n’existent pas encore de manière explicite car les consommateurs ne connaissent pas le potentiel des nouvelles technologies. Ils doivent donc être ”éduqués” ! Steve Jobs y est parvenu avec les smartphones et les tablettes, c’est donc possible et réplicable même si tous les entrepreneurs ne sont pas Steve Jobs ! Et libre à chacun d’espérer.

Seulement voilà, toutes les innovations ne partagent pas les caractéristiques de celles d’Apple : un produit d’usage très générique et récurrent et une plateforme applicative attirant des centaines de milliers de développeurs ! C’est là que l’on doit faire preuve à la fois de discernement et d’humilité lorsque l’on observe les innovations de rupture.

Le manque de repères

Le numérique transforme radicalement de nombreux secteurs d’activité. Sont ainsi disruptés de nombreux métiers de services comme les médias, l’hôtellerie, les taxis et le commerce. On extrapole facilement cela à toutes les branches de l’économie matérielle. Mais les vagues de l’innovation sont cependant difficile à jauger, notamment dès qu’entre en jeu l’acceptation sociétale et économique de l’innovation. Tant que le service répond à des besoins de base (loisirs et communication) et qu’il est abordable, cela passe. Mais au-delà, c’est moins évident.

Il est difficile de faire le lien entre le possible, le souhaitable, le réalisable et l’adopté. Parfois, cela commence même au niveau pratique technique et scientifique tellement on nous embobine avec “un jour, on pourra…”. Les innovations se déploient aussi avec des niveaux de viralité très variable. L’évaluation de leur valeur économique, sociale et émotionnelle reste clé pour les départager. Cela relève plus des sciences humaines et sociales que de la technologie et parfois même de l’économie.

Une presse en ligne moutonnière

L’Internet est un espace ouvert de liberté et de libre expression. Il propage aussi les informations par un effet moutonnier très bien mis en application par tout un tas de médias en ligne. C’est notamment le cas des sites d’information qui passent le plus clair de leur temps à relayer des communiqués de presse de fournisseurs ou la traduction rapide et simplifiée d’articles de médias américains. C’est la conséquence de modèles économiques basés sur une publicité à faible rendement et à des équipes rédactionnelles très “low-cost”. Pour générer du trafic, ce sites publient de nombreux papiers courts chaque jour.

L’effet est ensuite démultiplié avec le relai de ces informations ou bribes d’informations par un effet viral favorisé par les réseaux sociaux, Twitter et Facebook en premier. Là aussi, l’attention du lecteur est très fugace, la prise de recul et la réflexion difficiles. Surtout quand ces sites à grand trafic mélangeant allègrement le casting du prochain Star Wars, l’annonce d’un nouveau jeu vidéo ou d’un nouveau smartphone Xiaomi, et une alerte sur une nouvelle faille de sécurité d’Internet Explorer ! Dans le numérique, l’audience est là !

Mail demande de guest posting

Et ne parlons pas de cette pratique détestable et très courante de “l’achat” d’articles à des sites médias et de bloggeurs dits influents. Les médias en ligne, en particulier dans la tech, jouent plus le rôle de courroies de transmission que de véritables intermédiateurs. Des agences de relations publiques passent leur temps à me demander à quelles conditions je peux publier un article sur le produit d’un de leurs client, soit un article tout prêt, soit de mon cru et en toute “liberté éditoriale” bien entendu. Gratuitement (exemple ci-dessus) ou contre rémunération. Je refuse. Mais il parait que c’est rare !

Cette sphère médiatique est comme l’économie mondiale : plate et instantanée. La même information est reprise immédiatement sans recul, malgré la multitude des médias qui se concurrencent les uns les autres. Combien de fois avez-vous ainsi entendu parler de la touriste française qui a donné une part de pizza froide à Richard Gere à New York !?

Le lobbying de la high-tech

Ces quinze dernières années, poids du secteur oblige, les grandes entreprises du numérique ont investi sérieusement le champ du lobbying politique. Les premiers impliqués sont les opérateurs télécoms. Et pour cause, ils agissent dans un secteur qui est généralement très régulé.

Aux USA, les budgets de lobbying politiques sont publics et décortiquées. Dans PublicCampaign.org, on constate ainsi que 7,1% des donations politiques liées au Congrès sont issues du numérique, le second secteur derrière la finance, mais devant l’immobilier (5,8%) et la santé (3,9%). Dans le top 20 des organisations déclarant leurs budgets de lobbying destiné au congrès US, 5 font partie du numérique avec dans les trois premiers le syndicat des opérateurs télécoms (équivalent de notre Fédération Française des Télécoms), Comcast (câble) et AT&T (télécoms). Suivent Google et l’autre grand opérateur télécom : Verizon.

Top Lobbying Contributors 2013 USA

Dans le site Statista, on peut trouver cette décomposition avec les principaux budgets de lobbying déclarés dans les comptes d’exploitation (2013). On y retrouve dans l’ordre des grands de la technologie : Google, Microsoft, Facebook, IBM, Amazon, Cisco, Yahoo! et eBay. Et un acteur relativement discret mais toutefois présent : Apple, alors qu’il fait habituellement toujours bande à part dans l’écosystème (ne participant par exemple à aucune conférence) !

2013 Lobbying Expenditures of Tech Companies USA

Mais ces éléments financiers ne reflètent qu’une partie de l’activité de lobbying de ces entreprises. Certains de leurs dirigeants sont intuitu personae intégrés dans l’exécutif, à l’instar de Eric Schmidt, toujours Chairman en titre de Google, qui fait partie du “President’s Council of Advisory on Science and Technology”, ce dernier venant de publier un rapport sur le big data et la vie privée ! Eric Schmidt est aussi l’auteur de “The New Digital Age: Reshaping the Future of People, Nations and Business”, un livre qui promet la fin de la vie privée à ceux qui n’ont rien à cacher et recommande de se soumettre à ce nouvel ordre incontournable. Cela rend fort réaliste les publicités parodiques que l’on pouvait trouver dans les films de science-fiction, notamment ceux de Paul Verhoeven comme Robocop (1987) et Total Recall (1990).

Technology Treatise

En France, les données sont moins faciles à récupérer mais on doit retrouver le même système avec les opérateurs télécoms, les grandes sociétés américaines du secteur et divers syndicats professionnels (dont j’avais fait l’inventaire en 2012). Les grandes entreprises font aussi beaucoup de lobbying à Bruxelles auprès des différentes branches de l’Union Européenne, notamment du parlement et de la commission européenne.

Vous direz que le lobbying cible surtout les décideurs politiques, dans les branches législatives et exécutives des démocraties. Oui mais pas seulement ! Il s’appuie aussi sur des plans média et aussi, sur la commande d’études économiques biaisées. Microsoft, Facebook et Google sont ainsi coutumiers de la production de rapports sur les emplois créés dans leur écosystème, réalisés systématiquement en contre-feu des attaques dont ils sont l’objet sur leurs mécanismes d’optimisation fiscale. Facebook publiait ainsi en 2012 une étude commandée à Deloitte sur les emplois indirects générés, dont 22 000 en France et plus de 300 000 en Europe. En 2011, Google avait commandé à McKinsey une étude sur le poids économique de l’Internet, redéfinissant à sa manière les contours des industries numériques.

Parisien Facebook 22000 emplois en France

Les temps ont bien changé en quelques décennies ! Cet excellent “Rapport sur l’Etat de la Technique” dont je me délectais en 1983 quand j’étais étudiant en école d’ingénieur, était écrit par des scientifiques. Il faut dire que dans ces décennies anciennes pour la Génération Y, le discours sur les innovations en France était surtout porté par les laboratoires de recherche et les entreprises publiques comme la DGT, l’ancêtre de France Télécom / Orange à qui l’on a du le Minitel. La vision du futur portait donc sur le télétext et le vidéotext.

Rapport sur Etat de la Technique 1983

Maintenant, la littérature provient pour l’essentiel des entreprises. Elles propagent leur propre vision prospective avec les maisons du futur et autres vidéos futuristes. Qui se concrétisent rarement en entier comme je l’avais traité dans “Le futur vu par les grandes entreprises” en 2011. Les startups ont pris le relai depuis trois décennies et bouleversent le paysage de manière plus profonde.

Quel est au fait le but de ces activités de lobbying ? Il est très différent selon les acteurs : les opérateurs télécoms qui sont dans un marché régulé demandent moins de régulation et notamment de rendre plus flexibles les règles non écrites de la neutralité des réseaux. Les digues semblent lâcher aux USA du côté du transport de la vidéo ! Les opérateurs se battent pour accéder aux ressources rares que sont les fréquences mobiles et pour la mutualisation ou non des infrastructures fixes selon leur ancienneté dans le secteur.

Les industriels américains sont dans une autre posture : ils luttent plutôt contre toute forme de régulation, notamment pour ce qui concerne la vie privée. Ils veulent évidemment avoir le champ libre pour générer de la croissance en utilisant tous les mécanismes business et marketing disponibles : l’intégration verticale, l’intégration horizontale, les deux à la fois, le secret de fabrication (comme pour l’algorithme du PageRank chez Google), etc.

Tirant parti de l’expérience malheureuse de Microsoft avec ses procès antitrusts, ils préemptent aussi la menace en affichant un comportement citoyen, en interagissant plus avec la “société civile” et avec les politiques. Chez Google, on va jusqu’à créer un “Centre Culturel” à Paris dans une attitude qui frise celle du pompier-pyromane.

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Voilà pour le contexte. Dans l’article suivant, je vais balayer les différentes pratiques de communication utilisée pour ces formes de propagandes du numérique et des technologies. J’y traiterai notamment du cas des Bitcoins, des objets connectés et de l’impression 3D.

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