IBC 2014 : OTT et cloud
Post de Olivier Ezratty du 16 septembre 2014 - Tags : Startups,TV et vidéo | 8 Comments
Comme de coutume chaque mi-septembre depuis 2010, direction Amsterdam pour l’IBC, le plus grand salon de la télévision numérique avec le NAB de Las Vegas qui a lieu en avril. On y trouve de tout, des outils de captation, de production, de diffusion et de réception. Avec plus de 1700 exposants, on y découvre la floraison de sociétés qui se disputent un marché en perpétuel renouvèlement. Ce salon a lieu juste après l’IFA de Berlin qui est destiné aux produits grand public et auquel je ne me rends pas, réservant ce domaine au CES de Las Vegas en janvier.
Sans grande surprise, les mots clés de ce salon étaient : OTT multi-écrans s’appuyant sur des architectures en cloud et l’adoption massive de la 4K/Ultra HD par les industriels du broadcast. Nous allons traiter en détail de ces points dans deux articles.
L’OTT et l’irrésistible cloudification de la TV
En France, l’attention est actuellement tournée vers l’arrivée de Neflix, le 15 septembre 2014. Un événement de taille non seulement parce qu’il va probablement bouleverser le jeu des acteurs, mais parce qu’il va certainement contribuer à faire croître la consommation non-linéaire de TV et de vidéo. La tendance semble inexorable même si la TV en direct se porte relativement bien, portée notamment par le relai des réseaux sociaux. La question se pose aussi de permettre la consommation TV linéaire sur tous les écrans.
L’annonce a été surtout marquée par l’intégration de l’application Netflix dans la prochaine box de Bouygues Télécom, qui tourne sous Android. Cela créé un précédent qui pourrait accélérer l’adoption de Netflix par les autres opérateurs et ouvrir à ce dernier la “porte” des box, qui sont en France les principaux outils de consommation de TV linéaire comme non linéaire. J’étais présent à l’étrange événement de lancement de Netflix en France au Faust lundi 15 septembre. Etrange car c’est la première fois que je vois plusieurs centaines de personnes réunies pour le lancement d’une nouvelle offre d’une société qui n’a pas encore d’équipe en France ! Le CEO de Netflix et son directeur des programmes étaient bien là, avec quelques acteurs des séries maison (Hemlock Grove et Orange is the new black). Cela relevait plus d’un débarquement que d’un investissement sérieux dans le pays, malgré les quelques séries françaises que Netflix va produire pour calmer le jeu et créer de l’envie chez les producteurs.
Dans le rapport 2014 du Consumer Labs d’Ericsson sur la consommation de TV dans le monde, on constate que la pénétration du streaming se rapproche de la TV linéaire avec seulement deux points d’écarts (75% vs 77%). Mais ne pas confondre pénétration (% de gens qui utilisent) avec % de temps passé ! L’étude note aussi le développement du phénomène du “binge viewing” de séries TV. En France, 46% des personnes interrogées souhaitent disposer de tous les épisodes d’une série d’un coup. Netflix a créé un précédent avec House of Cards (aux USA, pas sur Canal+ qui le diffuse en broadcast classique en France). Du coup, cela devient presque la norme. L’étude montre aussi l’importance de la consommation multi-écrans. 19 % des téléspectateurs sont prêts à payer pour en profiter. On verra comment se ventileront les abonnements à Netflix (avec trois formules, selon le nombre d’écrans couverts).
A l’IBC, l’OTT était omniprésent chez les acteurs de la diffusion. Qu’il s’agisse des sociétés d’encodeurs vidéo, de diffusion, de serveurs, tous se focalisent sur la distribution de contenus TV et vidéos sur les nombreux écrans du foyer, et en particulier sur les tablettes. Les acteurs de ce marché s’intègrent de plus en plus verticalement pour proposer des solutions clés en main aux chaînes et opérateurs de bouquets. L’enjeu est double : toucher les audiences où qu’elles soient côté écran, tout en maîtrisant – voire réduisant – les coûts et la complexité.
Le message est brouillé par la “cloudification” des offres. Celle-ci concerne maintenant presque toute la chaine de valeur : la captation (caméras qui peuvent être directement connectées au cloud), les régies (qui peuvent être délocalisées), l’encodage vidéo (lui-aussi déléguable au cloud), la diffusion (OTT, multi-écrans) et les fonctions de réception (guides de programme, enregistrement avec des network PVR, voire toute l’interface utilisateur d’une box dans les cas extrêmes). On voit même apparaître l’expression de “cloud washing” qui concerne les logiciels traditionnels affublés de l’appellation “cloud” sans qu’ils aient été conçus véritablement pour le cloud et donc pas vraiment scalables.
Parmi les solutions en cloud et OTT présentées à cet IBC 2014, citons en vrac :
L’IBC mettait aussi en avant un nouveau terme à la mode : Software Defined Video (SDV), le petit nom trouvé pour décrire les architectures de traitement de la vidéo qui reposent sur des logiciels tournant sur des matériels standards (serveurs à base Intel en général). Ces architectures sont plus souples pour traiter la myriade d’écrans différents à supporter pour la vidéo en OTT que les architectures matérielles spécifiques avec des composants réalisant les traitements par matériel. Pourquoi “software defined” ? Parce que les architectures matériels sont standards et ne sont plus les architectures reposant historiquement sur de la connectique coaxiale SDI. Ce phénomène se manifeste aussi dans les encodeurs vidéos dont une bonne part, y compris dans la 4K, sont fournis sous forme de logiciels tournant sur serveurs standards, au pire, en s’appuyant sur des GPU puissants.
Ce terme est dans la lignée du “IP Studio”, du “Networked Studio” et aussi du “File Based Workflow”. L’industrie du broadcast adopte progressivement les codes de l’informatique d’entreprise basée sur des réseaux IP et des serveurs de commodité. Elle apporte plus de flexibilité, simplifie normalement les infrastructures en particulier au niveau du câblage, et permet aussi de localiser différents éléments de la chaine de production où on le souhaite, comme avec des régies distantes des lieux de tournage.
Android grignote progressivement le marché des box
Dans le domaine des expériences utilisateurs, au niveau set-top-box et middleware, il existe un nombre incroyable de sociétés issues de presque tous les pays. Du middleware pour set-top-box ? On en trouve en France, au Royaume-Uni, en Allemagne, en Pologne, en Israël, en Belgique, en Slovénie, en Italie et aux USA bien évidemment !
Ce marché est extrêmement fragmenté du fait de sa nature très “btob” et de l’éternel besoin de différentiation des opérateurs dans chaque pays. On attend encore le Apple ou Google qui défragmentera ce marché qui ressemble à s’y méprendre à celui de la téléphonie mobile avant l’arrivée des plateformes de smartphones et de leurs magasins d’applications. Les constructeurs de TV n’ont pas réussi à jouer ce rôle. On sent depuis plus d’un an qu’ils semblent même presque avoir abandonné la partie avec les fonctionnalités de TV connectées qui peinent, pour l’instant, à concurrencer les box des opérateurs ou les box OTT style Roku ou Apple TV.
L’adoption relativement récente de systèmes ouverts (Linux, Android) et des standards du web (HTML5) ont baissé le ticket d’entrée pour développer des solutions sur ce marché. Chacun y va de sa petite spécificité avec une couverture plus ou moins large du besoin des opérateurs télécoms ou de TV payante. Départager ce petit monde n’est pas une sinécure. Les stands des “boxeurs” mettent en avant à peu près tous les mêmes fonctionnalités.
Les nouveautés cette année ? En plus du n-PVR déjà évoqué, l’irruption d’Android dans les box semble se généraliser et on voit pas mal de fournisseurs de box proposer le RDK, qui est à l’initiative des cablo-opérateurs américains dont Comcast. Android est évidemment mis en évidence chez tous les constructeurs asiatiques présents sur le salon qui présentent leurs box no-name de toutes tailles, de la simple clé HDMI à la box hybride contenant un tuner câble, satellite ou TNT. Mais c’était aussi le cas du français Sagemcom qui présentait toutes ses boxes tournant sous Android et supportant qui plus est la vidéo 4K. Au demeurant, ce genre de société s’adapte à la demande des opérateurs et intègre dans ses box ce que le client demande. Android ou pas !
Par contre, on ne peut pas dire que les acteurs de ce marché brillent côté conception d’interfaces utilisateurs. Certaines semblent encore sorties des années 1990. D’autres sont un peu plus modernes mais sans plus. Exemple de débat : quelle est la télécommande idéale pour piloter sa box ? Si on y met que les 7 boutons minimums, l’interface utilisateur devient complexe et il faut utiliser beaucoup de touches pour arriver à destination, si on met plus de touches pour simplifier le parcours utilisateur, la télécommande devient trop complexe, et si on s’appuie juste sur une application smartphone, on devient moins accessible pour une partie de la population. Autre variante : la télécommande simple avec un petit pad tactile.
Voici donc quelques actualités à commencer par les sociétés étrangères vues à l’IBC :
Du côté des français, on pouvait croiser les usual-suspects Dotscreen, Hubee et Wiztivi. Ils mettent en avant leurs réalisations d’applications sur mesure et parfois leur approche packagée. WizTivi essaye de packager son expertise d’interface utilisateur. De son côté, Hubee est partenaire de l’allemand Kontron et du canadien Vantrix pour proposer une solution OTT live et VOD intégrée s’appuyant sur des serveurs très intégrés (18 processeurs sur un serveur 2U).
Géopolitique de l’IBC
Contrairement au CES ou à l’IFA, l’IBC est un salon où la présence de sociétés européennes est très forte. L’explication est assez simple : l’IBC est un salon “b-to-b”. On y trouve des sociétés très technologiques situées dans un marché très fragmenté où la composante service est assez importante. Cela favorise le développement d’acteurs locaux. Par ailleurs, les sociétés européennes ont délaissé depuis des années le marché grand public. Ici, elles s’occupent de ce qui reste. On trouve tout de même pas mal d’américains : dans l’IT (EMC, Oracle, des filiales d’IBM, Adobe, Autodesk), dans les chipsets (Intel, Marvell, Broadcom, Sigma Design) et dans les réseaux, le middleware et le contrôle d’accès (Cisco, Verimatrix). Les asiatiques sont présents côté matériel (Samsung, des PME chinoises et taïwanaises ou coréennes). En particulier, les chinois ont envahi le secteur de l’éclairage de studio et sortent des produits “copycat” dans des domaines plus sophistiqués comme pour les décors virtuels de studios.
Les pays européens les plus représentés sont les anglais, les belges, les allemands (ARRI, Zeiss). Il y au aussi toujours beaucoup d’israéliens.
Les sociétés françaises sont nombreuses à l’IBC : plus de 120 ! Et dans des domaines très variés. Avec par exemple AR+ (commande bras robots caméras), Geotracing (qui propose une solution d’affichage sur des cartes 3D de la position de participants à des courses sportives), Videostich (assemblage en temps réel d’images vidéo pour créer des panoramiques), Euromedia Group (prestataire dans le domaine de la production avec studios et cars régies), Dalet et SGT (media assets management), Visiware (applications second écran, très présent aux USA), HTTV (middleware pour box OTT, HTML 5 et HbbTV), Witbe (monitoring de la qualité de service de l’IPTV), DVMR (services de gestion pour TV de rattrapage et VOD), Broadpeak (avec notamment son nano-CDN pour set-top-box), l’Institut National de l’Audiovisuel qu’on ne présente pas et j’en oublie plein d’autres !
Les startups françaises étaient regroupées dans divers villages un peu faméliques côté décoration en comparaison avec les belges, les écossais ou les israéliens. On peut constater que beaucoup de ces startups exportent, surtout dès lors qu’elles ont une offre produit. Les acteurs présents qui sont plutôt dans le service sont mécaniquement moins exportateurs, même s’ils peuvent être régulièrement présents à l’IBC. On retrouve ici la même conclusion que dans mon dernier article sur l’internationalisation des startups rencontrées à Lille.
Il est aussi amusant de voir incarnés dans le salon les divergences dans certaines régions européennes : ainsi, s’il y a plein de zones “Great Britain” gérées par UKTI, l’équivalent anglais de Ubifrance, on trouve tout de même un village de startups écossaises. De même, il y a un pavillon de startups belges et pas très loin, un pavillon de startups flamandes. On en déduit que le premier ne comprend que des startups wallonnes !
Dans l’article suivant sur cet IBC, je traiterai de l’écosystème de la 4K qui se développe à la vitesse Grand V. Vous pouvez sinon consulter mon album photo de l’IBC 2014 en cliquant sur les photos de l’article, sur l’icone “loupe” ci-dessous ou en allant ici.
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