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Quelques réflexions sur les Startup Weekends

Post de Olivier Ezratty du 29 mars 2012 - Tags : Enseignement supérieur,Entrepreneuriat,Internet,Marketing,Startups | 19 Comments

J’ai eu l’occasion de participer comme conférencier et mentor aux Startup Weekends de Rennes et Rouen en mars 2012. Mes interventions portaient respectivement sur le financement de la startup et sur la création de valeur. Il s’agissait des quatrième et cinquième Startup Weekends pour ce qui me concernait après Nantes, Sophia Antipolis et Bordeaux en 2011. Cf “La force pédagogique des Startup Weekends” et “Les projets des Startups Weekends“.

Ces deux sessions m’ont marqué à plusieurs titres, mais le principal était la jeunesse de certains intervenants. C’était plutôt un bon signe sur la valeur de l’entrepreneuriat même si elle est plus symbolique que reflétant un phénomène de masse.

La jeunesse aux commandes

Premier exemple avec l’intervention comme conférencière au Startup Weekend de Rennes de Marie Burlot (ci-dessous), jeune entrepreneuse de 18 ans qui a démarré à 16 ans. Elle a créé un site de vente en ligne d’accessoires pour les furets, des animaux domestiques parait-il très populaires après les chiens et chats. Les produits sont tous fabriqués en France et notamment par des travailleurs handicapés. Pendant son intervention, Marie expliquait comment elle avait créé son entreprise en contournant notamment le fait qu’elle était mineure.

Très éloquente et articulée, Marie Burlot a bénéficié d’un environnement favorable avec des parents eux-mêmes entrepreneurs qui l’ont encouragée dans sa démarche. L’audience était quelque peu surprise. Votre serviteur bien entendu, mais aussi les étudiants BAC+5 de 22/23 ans qui constituaient l’essentiel des troupes de ce Startup Weekend. L’intervention de Marie Burlot prenait presque la forme d’une nouvelle sorte de reverse mentoring : une très jeune coachant des jeunes moins jeunes qu’elle.

Le deuxième exemple provenait de Rouen. Avec deux jeunes de 16/17 ans qui ont gagné le Startup Weekend devant des équipes dotées en général d’entrepreneurs chevronnés. Leur projet “Teen Zone” reflétait les travers des Startup Weekends en ce sens qu’il se focalisait sur un problème de la vie des jeunes et étudiants : comment se faire des amis ayant des centres d’intérêt voisins. Et ici, dans une circonstance bien précise : en amont du départ en congés. Pour éviter, dixit “de gâcher les premiers jours des vacances” dans un lieu où l’on ne connait personne. Le substitut à ce genre de service : aller vers les gens pour faire connaissance. Mais on n’apprend plus cela tellement on attend tout des réseaux sociaux. Le projet était bien présenté mais ses perspectives “business” n’étaient pas bien meilleures que la plupart des autres projets de ce Startup Weekend. Le jury a donc probablement donné des points “bonus” en liaison avec l’âge de l’équipe. Il faut dire qu’ils avaient fait preuve d’une étonnante maturité tant dans la préparation de leur projet que dans la manière de le présenter en public. Cette victoire était donc bien méritée.

Au-delà de ces deux exemples, les deux Startups Weekends auxquels j’ai participé se distinguaient par quelques autres phénomènes récurrents …

L’idée murie depuis des mois

De nombreux entrepreneurs viennent avec leur idée murie depuis des mois et sont à la recherche de ressources pour faire avancer leur projet, et aussi de visibilité. J’ai pu observer des équipes un peu bancales avec des participants relativement effacés derrière le porteur de projet et se spécialisant dans l’exécution : untel en charge de la page Facebook, l’autre du compte Twitter, etc. Sans contribution à la maturation du projet, ce d’autant plus que le porteur a une idée déjà bien ancrée qu’il sera difficile de faire évoluer. L’approche frise parfois à l’autocratie startupienne. Je n’ai vu aucun projet de ce type gagner un Startup Weekend. Le projet a certes plus de chances de survivre au Startup Weekend qui a permis au porteur d’obtenir du mentoring à bon compte et peut-être d’étoffer son équipe.

Voici les projets préconçus observés dans les Startup Weekends de Rennes et Rouen :

  • Meditag, un tag 2D pour faciliter l’accès à des informations sur son terrain de santé en cas d’urgence (Rennes) avec une porteuse de projet motivée par un besoin personnel d’un de ses enfants atteint d’une maladie rare. Une idée bien plus simple à mettre en oeuvre que le fameux Dossier Médical Personnalisé.
  • Cruise Me : un agrégateur d’information sur les croisières (Rennes) avec un porteur maitrisant ce marché sur le bout des doigts.
  • Invest RH : un outil permettant de faire un profiling rapide de candidats pour améliorer l’efficacité des cabinets qui font du recasement de salariés. Le porteur était un spécialiste du sujet. Le produit était pour lui un moyen de transformer en logiciel une méthode qu’il avait conçue (Rennes).
  • 1001 Découvertes : un logiciel pour l’apprentissage des tables de multiplication (Rouen). Pas mal sur le principe car le “pain point” est clair.
  • Reuse-Me : un service en ligne de recyclage de produits en marque blanche (Rouen) créé par un porteur qui avait déjà gagné un Startup Weekend de Paris sur un sujet voisin (recyclage de cheveux).
  • Pretty Messd Up : un service en ligne pour commander des T-shirts et autres accessoires décorés par des artistes branchés identifiés par des “trendspotters” (Rouen). Le porteur était déjà passé par le SUW de Bordeaux en 2011.

A mettre au crédit de ces projets : ils traitent de besoins moins futiles que les autres.

Des projets autocentrés “étudiants”

Une part des projets sont très autocentrés sur les besoins des étudiants en fin de cycle qui constituent une autre bonne part des équipes. Cela tourne souvent autour d’outils SOLOMO pour trouver les sorties des environs – peut-être lié à un sevrage du genre dans certaines régions – aux réseaux sociaux pour mener ses études, notamment à l’étranger.

C’est un phénomène qui lasse à la longue mais qui est tout à fait compréhensible. Si c’est une bonne chose d’être un utilisateur de son propre produit, encore faut-il que cela ait un sens d’un point de vue business. Dans la plupart des cas, l’audience des étudiants est d’un intérêt limité car son pouvoir d’achat est généralement assez réduit. Tout du moins par rapport aux jeunes qui viennent d’entrer dans la vie active avec un diplôme BAC+5 et sur un créneau porteur. Comme mentor, j’apprécierai bien de rencontrer dans ces Startup Weekends des équipes proposant de résoudre des problèmes difficiles s’écartant des loisirs pour étudiants. Un peu comme on le fait dans la très élitiste Singularity University basée dans le Ames Research Center de la NASA au cœur de la Silicon Valley (mais avec des gens triés sur le volet avec un calibre de très haut niveau).

Quelques exemples récents :

  • Trip it Yourself : un site d’information collaboratif pour préparer ses voyages dans les grandes villes (Rennes).
  • Lost in town : un service pour faciliter la vie des étudiants expatriés (Rouen).
  • UniFinder : un site web pour choisir son établissement d’enseignement supérieur à l’étranger (Rouen).

Un apprentissage rapide

Les Startup Weekends restent un lieu extraordinaire pour permettre un apprentissage très rapide de techniques de structuration des idées et de leur présentation.

On peut ainsi voir des idées assez bancales un samedi matin qui prennent une très belle forme lors du pitch du dimanche en fin de journée. Même si à la longue, les Startup Weekends peuvent lasser le mentor qui les fréquente du fait des “patterns” cités précédemment, cela reste une source énorme de satisfaction que de voir les équipes progresser. Même chez les plus durs d’oreille.

Voici d’autres sujets traités dans mes deux derniers Startup Weekends :

  • Start Me Up : un logiciel de réveil matin intelligent pour mobile. Sujet très bancal au début et bien articulé à la fin avec une belle vision produit. Le projet était second dans le tiercé gagnant de Rennes.
  • Movie Blind Test : un site web de “blind tests” de vidéos. Sorte de jeu de format QCM. Pas évident d’en faire un véritable marché.
  • Breizh Village : un jeu consistant à envoyer à ses contacts des “Menhirs” dans la tronche (virtuellement, et générant des réponses), adapté aux bretons, mais pouvant se décliner dans d’autres régions de France et d’ailleurs. C’est une sorte de virtualisation de la bataille de peluchons. L’univers du jeu ne fait pas partie du monde rationnel donc je me passe de commenter. C’était à Rennes, vous l’aviez deviné.
  • Crazy Street : un jeu de pistes dans la ville, une impression de déjà vu d’un autre Startup Weekend (Rennes).
  • Proxy Annonces : un service de petites annonces affichées sur des écrans installés dans les ascenseurs des grandes barres d’immeubles. L’un des rares endroits où la publicité n’a pas fait son apparition. Mais très complexe à mettre en œuvre (Rouen).
  • Wanapliz : un site où les utilisateurs indiquent les cadeaux qu’ils souhaiteraient recevoir, qui sont taggés avec leur mobile, et où les autres peuvent l’offrir. Peut devenir un complément, ou une “feature” d’un service comme Leetchi. Une impression de déjà-vu dans la création de listes de cadeaux.

A Rennes, le projet Match My Size a en tout cas bien mérité sa place de numéro un. Il s’agit d’une idée sommes toutes assez simple dans le principe mais avec pas mal de ressorts technologiques et business : aider les clients de sites de ventes en ligne à trouver la bonne taille des vêtements qu’ils achètent. Cela semble concerner en premier lieu la gente féminine, plus consommatrice de vêtements en ligne.

Il s’agit d’une sorte d’outil de recommandation qui demande à l’utilisateur/trice de saisir la taille de quelques vêtements qu’il a déjà achetés et qui lui vont bien. En agglomérant ces informations sur une grande masse d’utilisateurs et de marques et modèles de vêtements, le service peut ainsi extrapoler une taille d’un vêtement à ceux que l’on a saisis dans la base. C’est une application originale du “collaborative filtering” utilisé dans les services de recommandation de contenus. L’idée était bien vue car elle traitait deux problèmes clés : celui du client qui n’apprécie guère de se tromper et de devoir renvoyer le vêtement acheté qui ne lui convient pas pour obtenir la bonne taille et celui du vendeur qui peut ainsi réduire ses retours qui plombent sa rentabilité. Pour couronner le tout, le service peut être proposé en marque blanche. La base ainsi constituée et mutualisée entre les sites de vente gagne en qualité. Il y a bien entendu pas mal de détails à régler. Cette équipe était assez nombreuse (8 participants dont un bout ci-dessous), mixte (ce qui est utile vu le sujet) et très dynamique. Voilà un bon mix pour gagner un Startup Weekend.

Pistes d’améliorations

Alors, constate-t-on un phénomène d’usure des Startup Weekend ? J’ai l’impression que le point de vue est différent pour les participants qui y trouvent quelque chose et en général en redemandent et pour les mentors qui pourraient se lasser après quelques weekends.

Cela semble être le cas de Philippe Méda que j’avais rencontré comme mentor dans l’un des Startup Weekend de 2011. Dans un article récent, il pointe certaines dérives de la formule des Startup Weekends et propose diverses pistes d’ajustement que je me permet de commenter ici :

  • Les startups qui sortent des Startup Weekends et sont hébergés dans des pépinières/incubateurs se lancent trop souvent sur un modèle traditionnel avec création de la solution, puis la vente et sans valider la solution auprès du marché. Il leur faudrait  adopter la méthode du “customer development / lean startup” de Eric Ries et Steve Blank. En effet. C’était un peu le sens de mon intervention à Rouen sur la méthode consistant à bien analyser le problème de ses clients, sa valeur et son volume, pour définir le cahier des charges de sa solution, avant de se lancer bille en tête dans son développement.
  • Il faudrait aussi impliquer plus formellement les incubateurs et pépinières. C’était aussi le cas à Rouen avec notamment l’implication directe des équipes de l’incubateur Seinari issu de la Région de Haute-Normandie.
  • La formule donne trop confiance aux porteurs de projets, dynamisés par l’expérience enivrante de la création d’entreprise en deux jours. Le rôle des mentors est-il de leur remettre les pieds sur terre ou de les laisser aller au mur ? En général, les mentors sont assez honnêtes avec les équipes. Je n’ai pas senti de mise en confiance disproportionnée dans les SUW où je suis passé.
  • L’approche des Startups Weekend est devenue très commerciale pour leur organisation centrale qui est basée à Seattle. Elle définit tout un tas de règles pour leur mise en œuvre et prélève au passage une dime de plusieurs milliers d’Euros, tout en limitant le budget provenant des sponsors tout comme les prix offerts aux participants. Cela peut être parfois un peu contradictoire. Le Startup Weekend de Sophia Antipolis s’est ainsi fait “déréferencer” alors qu’il s’était plutôt bien déroulé.
  • Il faudrait impliquer les structures académiques pour qu’elles s’y forment et apportent une continuité pédagogique aux étudiants. C’est un peu ce que j’ai trouvé à Rouen. Le Startup Weekend y était organisé à la Rouen Business School – où il m’est arrivé d’intervenir en septembre – avec l’engagement de Denis Gallot qui y gère la filière entrepreneurs. Une bonne proportion des jeunes qui participaient à ce Startup Weekend provenaient de son cursus entrepreneurial. A Rennes, le SUW avait lieu dans l’ESC et était piloté par des jeunes de l’école. Idem à Bordeaux en 2011.
  • Il serait utile de faire le point après quelques mois des projets présentés et d’en tirer un apprentissage des facteurs d’échecs et de réussite. A ce que j’en ai vu, le principal facteur d’échec comme de succès réside dans la dynamique initiale de l’équipe du projet. Comment le leader du projet s’est-il comporté ? Est-ce que les membres de l’équipe étaient vraiment motivés par l’entrepreneuriat ou venaient plutôt comme “touristes de l’entrepreneuriat” pour reprendre ensuite une activité “normale” ? Ensuite, il y a bien entendu l’idée de départ qui est souvent assez foireuse et nécessite quelques pivots pour aboutir à un projet viable dans l’ensemble. Les mentors identifient souvent en avance de phase les raisons d’être de ces pivots, mais les équipes projets n’en tiennent pas forcément compte. Et les mentors peuvent aussi se tromper. Ils n’ont pas la science infuse.
  • Il faudrait enfin sortir de la dominance des projets web et mobiles. Il n’y a aucune raison de se focaliser dessus même s’ils présentent l’avantage de ne pas nécessiter beaucoup de capital pour démarrer. Les projets peuvent être plus ambitieux, couvrir un champ plus large, intégrer du matériel, de l’économie solidaire (comme c’est déjà arrivé dans des Startup Weekends thématiques). Il suggère de faire du prototypage d’objets avec des imprimantes 3D. J’avais vu dans le Hacker Dojo de la Silicon Valley un espace de coworking où sont régulièrement organisés des hackathons et qui était équipé d’un atelier d’électronique et d’une imprimante 3D. Mais il n’y organisait pas formellement des Startup Weekends.

Pour conclure, les Startups Weekends restent une bonne initiative. L’engouement de la France pour cette formule est une bonne chose. Il faut juste en faire un bilan régulier et collectivement en améliorer la formule pour améliorer le taux de réussite des projets qui en sortent. Tout ceci est parfaitement dans le domaine du possible !

RRR

 
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