Le monument de l’IGF sur l’économie numérique
Post de Olivier Ezratty du 26 octobre 2012 - Tags : Entrepreneuriat,Innovation,Politique,Startups | 19 Comments
L’Inspection Générale des Finances vient de publier sur son site une étude qu’elle avait réalisé fin 2011 et livré à ses autorités de tutelle de l’époque Eric Besson et François Baroin en janvier 2012 sur “Le soutien à l’économie numérique et à l’innovation”. Le rapport qui fait 421 pages est téléchargeable ici. Il comprend au début une grosse cinquantaine de “slides” de résumé.
Ce document est remarquable car il compile une quantité incroyable de données, que je n’ai pas encore eu le temps de dépiauter entièrement. Cela rappelle par certains côtés les travaux de Mary Meeker sur l’état de l’Internet (exemple ici).
Il examine en détail les aides publiques à l’innovation, et il les compare aux dispositifs équivalents de nombreux pays comme les USA, le Royaume Uni ou Israël. Il passe cependant sous silence l’impact de la régulation locale sur le développement d’innovations. Exemple tout bête : pas de Netflix possible avec une chronologie des médias à la française !
Il analyse également la structure même de cette économie numérique par métier et sans rien oublier. Tout y passe, des composants électroniques à l’Internet en passant par le matériel, les logiciels et les services. Le niveau d’analyse est très fouillé. C’est rare d’avoir un tel panorama car bien trop d’études résument le numérique à l’Internet. On y observe le poids économique de grands acteurs comme Alcatel mais aussi une boite moins connue, Nexans, spécialiste des fibres optiques. En ce sens, je trouve ce rapport plus solide que celui que Google avait commandé à McKinsey en 2011 et qui a ensuite servi de référence dans tout un tas de communications industrielles et politiques.
Il explique aussi très bien à quoi ressemble le fameux Small Business Act américain, très mal compris en France, et ce que l’on peut en retenir en France. Il explique pourquoi la disposition SBA de la Loi de Modernisation de l’Economie de 2008 et qui permettait de réserver une part de la commande publique aux PME n’a eu aucun effet (aucun = nada = zéro = vide). Il souligne qu’un SBA français n’aurait de toute manière que peu d’impact sur l’économie numérique car il n’impacterait au grand maximum que 200m€ de dépense publique. Mais cela ne tient pas compte d’éventuels grands projets dans la e-santé ou la e-éducation.
On découvre que la moitié des investissements dans les pôles de compétitivité est allée aux acteurs du numérique, ce qui est plutôt une bonne nouvelle. Mais dans des projets collaboratifs que le rapport juge à juste titre trop lourds à mettre en œuvre pour les PME du secteur.
On y trouve une cartographie précise de toutes les aides publiques à l’innovation dans le numérique. J’avais tenté l’exercice en avril 2009 mais en n’ayant pas le même accès aux données que l’IGF. Ma conclusion était cependant voisine, avec un poids très fort du CIR et des projets collaboratifs. Le fait de disposer de données précises permet de rationnaliser un peu les débats sur les financements publics de l’innovation !
Le rapport est aussi là pour faire des propositions. Elles sont structurées de manière très logique selon la chaîne de l’innovation (ci-dessous).
On y retrouve quelques-unes qui sont de bon sens et auxquelles je souscris entièrement comme le besoin d’améliorer la transversalité de l’enseignement supérieur (technologies + business + design) et de densifier les filières de formation dans les métiers du numérique, ou celui d’améliorer les capacités d’exportation et d’internationalisation des acteurs français du numérique. Il y a aussi un chapelet de mesures assez techniques sur le financement public de l’innovation.
Il y en a d’autres qui pourront donner lieu à discussion :
On peut au passage se demander pourquoi ce rapport très bien documenté a été enterré par Eric Besson et exhumé par le nouvel exécutif, à savoir Fleur Pellerin. Au premier degré, il semble en effet remettre en question certaines décisions du précédent gouvernement. Mais c’est le lot commun des rapports de l’IGF, comme ceux de la Cour des Comptes. Ce retard de publication est vraiment regrettable car le rapport, même si l’on n’est pas forcément d’accord avec ses conclusions, fournit une documentation très riche qui permet de “substantiver” les débats sur l’économie numérique ! Les débats autour de la présidentielle et ceux qui ont actuellement lieu dans le cadre de la bien justifiée révolte des “pigeons” en auraient tiré un bon parti !
Pour la petite histoire, ce rapport de l’IGF avait été demandé à l’origine par le Conseil National du Numérique pour faire un inventaire des diverses aides publiques à l’innovation dans le numérique. Je faisais partie des personnes auditionnées par l’IGF dans le cadre de la préparation de ce rapport. La liste des personnes interrogées tient sur six pages ! J’ai passé plus de cinq heures en deux réunions avec de quatre à six inspecteurs des finances. Les discussions étaient très riches et j’ai eu l’impression d’avoir affaire à des gens très bien informés sur la question. Ce qui se retrouve dans le rapport où l’on sent bien que de nombreux messages sont bien passés.
Au passage, l’un des deux inspecteurs des finances qui pilotaient ce rapport, Alexandre Siné, est devenu depuis Directeur de Cabinet Adjoint de Vincent Peillon au Ministère de l’Education. Il faut dire que Siné est normalien, agrégé de sciences économiques et docteur en sciences politiques (sa bio ici qui montre qu’il avait déjà aussi bien planché sur le thème de l’éducation). L’IGF mène à tout, et pas qu’à la finance !
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