Futur en Seine et sa cour des miracles d’innovations
Post de Olivier Ezratty du 20 juin 2012 - Tags : France,Innovation,Sociologie,Son,Startups | 20 Comments
Samedi 16 juin 2012, je suis allé faire un tour au Centquatre au Nord de Paris au “Village des innovations” organisé dans le cadre de “Futur en Seine”, une manifestation en région parisienne dont c’était la troisième édition après 2009 et 2011.
Futur en Seine est un festival international qui promeut des innovations numériques françaises et internationales auprès des professionnels et du grand public, ce pendant dix jours. Le 104 était le navire amiral de cette édition 2012. Il était complété de 80 manifestations organisées par différents partenaires avec par exemple la Mairie d’Issy les Moulineaux. L’événement est piloté par le très actif pôle de compétitivité “Cap Digital” qui présente la particularité de regrouper 620 PME, principalement des startups, parmi ses 700 adhérents.
Au 104, le Village des Innovations présentait les projets de nombreuses startups ainsi que de laboratoires de recherche comme l’INRIA. Mais il hébergeait aussi différentes manifestations comme le Carrefour des Possibles de la FING (Fédération Internet Nouvelle Génération) ou une conférence développeurs de Twitter.
Carrefour des Possibles
Première étape de ma visite, le Carrefour des Possibles. C’est une formule créée il y a dix ans par la FING. J’avais assisté à la première édition le 14 février 2002 à l’Ecole Nationale Supérieure de Création Industrielle, située entre République et la Bastille à Paris. Depuis, la formule a été étendue à des éditions en région. Le format m’avait un peu étonné car les projets présentés visaient à améliorer la vie des citoyens mais leur approche business était loin d’être évidente. Mais cela dépendait des éditions. Dans les centaines de projets innovants présentés en dix ans, on trouve à la fois des startups connues du circuit habituel tout et des projets décalés que je situerai “hors de la sphère marchande”.
C’était clairement le cas dans cette édition dédiée essentiellement à des créations artistico-numériques rafraichissantes issues d’une sorte de monde parallèle à celui des startups classiques du numérique. Les projets présentés donnaient souvent plus dans l’allégorique et le métaphorique que dans le produit fonctionnel.
Pourtant, ces projets étaient tous à la recherche de financements. Mais des financements un peu particuliers à quelques exceptions près, et penchant plus du côté du mécénat culturel que des business angels ou du capital risque.
Cela commençait avec trois œuvres d’artistes :
S’en suivaient une dizaine de projets plus entrepreneuriaux mais pas forcément situés réellement dans la sphère marchande :
Voilà pour les projets du Carrefour des Possibles ! A noter un point commun d’une bonne part d’entre eux : ils s’appuient sur des objets pilotés avec la plateforme électronique open source Arduino que j’avais évoquée au sujet de Joshfire.
Toute cette créativité est fort sympathique et bien louable. La culture c’est bien, c’est consensuel. Mais on ressort de ce genre de présentation avec un arrière-gout un peu désagréable. Comme si la créativité était mise au service du traitement de besoins trop futiles, avec des chances de réussite tant dans l’usage qu’au niveau économique plus que limitées.
On aimerait que le génie français soit mis au service de la résolution de problèmes plus importants. Un peu comme l’objectif que s’est donné la Singularity University que j’avais pu visiter près de Palo Alto en avril 2011. Vous rétorquerez que ce n’est pas bien plus futile que Instagram qui a enrichi ses créateurs et financeurs grâce à une sortie à $1B chez Facebook. Oui, il s’agissait certes d’un outil futile, mais il était générique et utilisé par des millions de mobinautes ! Le volume, le volume ! Aucun des projets de ce Carrefour des Possible ne semblait pouvoir correspondre à un usage en volume.
Journée “Mais que refaire”
L’opération MaisQueRefaire du 16 juin 2012 était très séduisante par son côté pédagogique. Il s’agissait d’une journée, le 16 juin, dédiée aux processus créatifs innovants. L’initiative était portée par Marie-Noéline Viguié et Stéphanie Bacquere de nod-A, une agence qui propose aux entreprises et organisation des processus de création d’innovation collaborative ainsi que par le très dynamique Jean-Louis Fréchin, de l’agence de design NoDesign. Jean-Louis est d’ailleurs l’une des chevilles ouvrières de l’ensemble de la manifestation Futur en Seine. Au passage, c’est aussi le créateur du cadre photo Dia de Parrot !
MaisQueRefaire se présentait sous la forme d’exposition de projets innovants, de défis de créativité collaborative et de débats sur les processus d’innovation. L’idée principale est de proposer aux entreprises des processus d’innovation qui sortent de l’ordinaire et qui laissent plus de place à la créativité et à la collaboration.
Dans les défis, il y avait cette “machine infernale” faite de bric et de broc avec un enchainement de mouvements sur cinq tables d’affilée. Réalisée en une heure et demi, elle fonctionnait presque entièrement à son lancement. Quel plaisir de voir des enfants bricoler de concert avec des adultes des astuces mécaniques pour enclencher la réaction en chaine !
Parmi la douzaine de projets présentés, j’ai surtout remarqué ces “serveur en bidon” chez l’association Jerry Digital Empowerment. Il s’agit de serveurs Linux créés avec du matériel de récupération : cartes mères de vieux PC, vieux routeurs, le tout intégré dans des bidons. Un beau bricolage. Ce n’est pas du tout industriel mais ça marche !
Il y avait aussi cette “briquetterie personnelle” qui permet de compresser des petites briques en forme de boudin à partir de déchets végétaux secs. Pour sa chaudière du futur ?
Le Village de l’innovation
Le gros du morceau au 104 était le “Village de l’innovation” avec des dizaines de stands exposant des innovations diverses. La plupart étaient issues de startups, notamment de celles du pôle Cap Digital, mais il y en avait aussi d’autres, issues de régions diverses. On y trouvait notamment des démonstrations de prototypes numériques divers cofinancés par Cap Digital et la Région Ile de France dans le cadre d’un appel à projet lancé pour Futur en Seine.
J’y ai rencontré des lauréats de Scientipole Initiative, comme Babble Planet (gagnants du Web2Day 2012), AlphaUI (et son clavier de back-typing TabKeyboard pour mobiles) et Hedera Technologies. Ce dernier est en train de prototyper Storm (ci-dessous), un serveur de données sous forme de tour qui rappelle les super-ordinateurs Cray d’antan, et qui présente la particularité de permettre le refroidissement des disques dur avec un simple ventilateur et un écoulement d’air optimisé. C’est en gros un “data center écologique”, qui ne nécessite pas de salle blanche et réfrigérée.
Beaucoup de projets présentés dans ce Village de l’Innovation étaient liés à l’amélioration de la vie dans la cité :
Il y avait sinon pas mal de projets de robotique. On pouvait croiser le robot de téléprésence Jazz de Gostai, déjà vu à LeWeb 2011 avec du Jean-Michel Billaut dedans. Puis, ce Sami, un robot semi-humanoïde autonome avec une tête, deux bras et mains, un torse, le tout reposant sur un système de mobilité à roues. Le robot provient du CRIIF, un prestataire de services en robotique, mécatronique et systèmes intelligents et connectés. Et aussi le robot Emox “photographe” qui interagit avec les personnes en ajoutant des avatars aux personnes photographiées. Et enfin, très à la mode, tout un tas d’hélicoptères légers rappelant furieusement l’AR Drone de Parrot. Heureusement, ce dernier est bien un produit et il est diffusé en volume. Au moins quelques centaines de milliers d’exemplaires !
Le projet OpenVibe2 de l’INRIA était présenté, avec son exploitation d’un casque de captation d’ondes du cerveau GAMMAcap de l’américain Cortex pour le pilotage de jeux, qui rappelle ce que fait la société canadienne Interaxon, vue deux fois à LeWeb, en 2010 et 2011.
On pouvait aussi rencontrer les équipes du français Sculpteo qui proposent de l’impression d’objets 3D en couleur à distance, via une application mobile permettant de sélectionner un objet et de le personnaliser. L’impression s’appuie sur les machines de l’américain Z-Corp. Comme pour OpenVibe2, on se retrouve encore dans un cas où les produits en volume viennent d’ailleurs, ici les USA, et les applications et marchés de niche de chez nous.
Enfin, dans la lignée du Carrefour des Possibles, on trouvait tout un tas d’œuvres d’art numériques. Les lampions d’Arbréole, financés par la Région Ile de France qui s’installent sous des arbres et ils modulent la lumière en fonction de ce qui se passe en dessous et de l’état des autres lampions. Le projet Corpus qui est “un dispositif de création artistique multimédia, à la fois sonore, visuel et architectural basé sur un principe de mise en vibration d’espaces architecturaux, grâce à un système d’enceintes et de vibreurs in situ”. Et puis tout un tas d’autres dispositifs, souvent animés comme ci-dessous. Ca bouge, ça éclaire, c’est piloté avec du Arduino, c’est aussi parfois subventionné. Mais quel intérêt industriel ? Quelles créations d’emplois ?
J’ai malheureusement raté le “Pecha Kucha” du dimanche 17 juin, une manifestation où étaient présentés de nombreux projets de design. Mais cela semblait être dans la même veine que ce que nous avons déjà vu.
Conclusion ?
En plein, cette manifestation est très intéressante car elle valorise un esprit de créativité débridée, la discipline du design qui est si insuffisamment représentée dans nos industries du numérique et un bon nombre de startups. Elle apporte une dimension citoyenne aux usages du numérique, notamment pour la vie dans la cité. Elle attire les jeunes générations et peut leur donner gout aux sciences et technologies. Elle rapproche les laboratoires de recherche et les entreprises, l’une des vocations des pôles de compétitivité comme Cap Digital qui est à l’origine de Futur en Seine.
En creux, on y trouve une approche très artisanale, sur-intellectualisante, à l’opposé de l’industriel, de la création de produits, de plateformes et d’écosystèmes. C’est à l’image de ce mal français qui explique certains de nos déboires industriels : on sait faire du service, du sur mesure, de la culture et des contenus mais on a bien du mal avec la création de produits vendus en volume. On doit réapprendre à faire des “produits”, pas des œuvres uniques et non réplicables. On retrouve aussi cette lancinante difficulté à vulgariser des concepts bien compliqués. On est bien loin de l’efficacité de cet Age de la Multitude, le récent livre d’Henri Verdier, ci-devant président de Cap Digital, et de Nicolas Colin, ingénieur-énargue-inspecteur des finances et entrepreneur du numérique !
Comme d’habitude, mon petit tour à Futur en Seine est aussi dans les galeries de ce blog dans cet album photo.
Lien du blog Opinions Libres : https://www.oezratty.net/wordpress
Lien de l'article : https://www.oezratty.net/wordpress/2012/futur-en-seine-et-sa-cour-des-miracles-d-innovations/
Cliquez ici pour imprimer
(cc) Olivier Ezratty - http://www.oezratty.net