L’écosystème israélien de la télévision numérique
Post de Olivier Ezratty du 14 juin 2010 - Tags : Haut débit,TV et vidéo | No Comments
L’écosystème de la télévision numérique israélien comprend quelques dizaines de startups qui couvrent différents segments : le middleware et les solutions pour set-top-boxes, les solutions de web TV, les solutions de gestion de la publicité vidéo, et aussi des composants divers, notamment autour des interfaces utilisateur. Cet écosystème est dominé par le mastodonte local qu’est NDS. Comme le marché intérieur n’est pas très développé, la plupart des acteurs ont le nez tourné vers les USA et quelques fois l’Europe, comme pour Tvinci.
Aux USA, les startups israéliennes s’établissent soit dans la Silicon Valley, soit sur la Côte Est et notamment à New York. Pourquoi ? C’est le centre américain de la publicité (“Madison Avenue”) et de certains médias TV, alors qu’Hollywood est le temple de la production cinématographique et aussi des séries TV.
NDS
C’est probablement le leader mondial du logiciel pour la télévision numérique avec plus de $800m de CA (non publié) et 3600 employés. Son principal concurrent est le groupe Suisse Kudelski qui possède Open TV et Nagravision, et ferait un chiffre d’affaire équivalent. Mais le marché du middleware TV reste assez fragmenté et les nouveaux arrivants comme Google TV peuvent le déstabiliser.
Le siège de NDS est à Londres mais les principaux effectifs sont situés dans le laboratoire de R&D basé en Israël, à Har Hotzvim, près de Jérusalem, au même endroit que l’usine d’Intel évoquée ici. Ce laboratoire emploierait plus de 1000 personnes. Le CEO (Abe Peled) et le CTO (Yossi Tsuria) de NDS sont tous deux israéliens.
Les actionnaires de NDS sont Permira Funds (51%) et le groupe de médias News Corporation (49%). Permira a acquis tout le “flottant” (actions en bourse) de NDS et une part de la participation de NDS en 2008, l’opération ayant transformé NDS en entreprise non cotée (private company). Permira est un gros fond d’investissement européen de $30B basé à Londres, très investi dans le fabricant de semi-conducteurs Freescale, et aussi dans la chaîne TV allemande Pro7.
NDS est un spécialiste du logiciel pour la télévision numérique. Il propose notamment la solution de contrôle d’accès VideoGuard ainsi que le middleware MediaHighway qui équipe les set-top-boxes de grands opérateurs régionaux. C’est le cas de DirectTV aux US (anciennement filiale de News Corp, mais maintenant indépendante), de l’anglais bSkyB (toujours chez News Corp), de CCTV en Chine, de Yes et Hot en Israël (ce qui donne à NDS un quasi monopole dans la TV payante) et aussi du groupe Canal+. NDS supporte tous les moyens de diffusion : satellite, câble, TNT, IPTV et mobiles. Une part significative, mais non publiée, de l’activité de NDS est fournie sous forme de services. Il faut en effet souvent personnaliser le middleware Media Highway pour répondre aux exigences des opérateurs de diffusion. Ainsi, la mise en oeuvre de Media Highway n’a rien à voir entre une set-top-box de Canal+ ou de DirectTV.
NDS est aussi connu pour son différent juridique avec Canal+ Technologies, au sujet du reverse engineering du contrôle d’accès MediaGuard de ce dernier. Cela s’est soldé en 2003 par un accord à l’amiable avec la revente de Canal+ Technologies pour une part à NDS, et pour une part au groupe Kudelski (dans sa filiale Nagravision, qui continue de fournir Canal+ en solution de contrôle d’accès). La part revendue à NDS est devenue la branche R&D du groupe en France, basée à Issy les Moulineaux avec environ 200 personnes. Elle est spécialisée dans la conception d’interfaces utilisateurs. Dans mon dernier rapport du CES, j’avais couvert in extenso le projet Snowflake qui vient d’Issy les Moulineaux, qui conceptualise chez NDS le futur du middleware pour set-top-box.
NDS a aussi trois filiales liées à des acquisitions : Orbis Technologies (plateforme de jeux interactifs d’origine anglaise), Jungo (middleware pour modem ADSL et câble, startup israélienne) et CastUp (serveurs de video streaming, également une startup israélienne).
Jinni
Dans mon voyage en Israël début juin 2010, j’ai rencontré Yosi Glick, le cofondateur de cette société qui propose une solution de recommandation de contenus vidéo (films, séries TV et autres programmes vidéos “professionnels”, c’est-à-dire que cela n’inclue pas les programmes créés par les Internautes).
Yosi est un ancien d’Orca Interactive et de l’université Technion. Il a créé sa société car il trouvait que l’industrie du middleware et des guides de programme TV n’évoluait pas assez vite. Trop d’efforts sont mis selon lui sur le design de l’interface utilisateur mais ils sont vains car ils ne se concentrent pas assez sur les données fournies aux consommateurs.
Jinni a ainsi établi une sorte d’ADN des contenus vidéos basée sur des tags de genres des films permettant de les classifier finement. Ils l’appellent le “Movie genome”. Les utilisateurs indiquent ce qu’ils aiment ou n’aiment pas comme genre de films et notent les films individuellement. Le système fait ensuite des recommandations, ce qui est surtout intéressant pour de la VoD. Le site web est une vitrine qui permet de concrétiser le service mais celui-ci est surtout destiné à être vendu en “btob”, en marque blanche via des APIs exploitables à partir de tout middleware de set-top-box. C’est un modèle qui avait été tenté sans grand succès par Critéo pour la vente de DVD en ligne, et qui s’est depuis réorienté sur un autre business, le retargeting de publicité et établi aux USA. La société fait aussi penser à l’encyclopédie culturelle Ulike qui couvre tout le champ de la culture avec sa fonction de recommandation et Babelio, qui est spécialisé dans les livres électroniques.
Le CEO de Jinni est Mike Pohl, un américain basé à Portland aux USA. C’est l’ancien patron de Ncube, un ancien partenaire de Yosi Glick. Avec leur CEO américain, Jinni focalise sa démarche commerciale sur les plus gros opérateurs américains (dits “tier 1”) qui sont les seuls à même d’innover et de prendre des risques. Avec un de signé et un autre bientôt signé, sans que cela soit encore public, tout comme un award récupéré en février 2010 chez l’association CableLabs qui regroupe les opérateurs américains du câble. Ils ont un modèle de licence du service en mode SaaS, par utilisateur et par mois. Le système est censé améliorer le revenu par utilisateur (l’ARPU) pour les services de vidéo à la demande, et aussi de réduire le “churn” (taux de départ de clients).
Jinni a monté divers partenariats intéressants : avec les deux gros leaders du middleware de set-top-boxes NDS et OpenTV mais aussi avec Google TV ainsi qu’avec Netflix qui leur permet de générer du revenu d’affiliation. Il n’en reste pas moins que l’on en est aux balbutiements de l’usage de la recommandation dans les set-top-boxes.
La startup est encore jeune avec deux ans d’ancienneté. Elle a levé $3,1m en deux tours, en pleine crise financière. A part le CEO américain, toute l’équipe de 19 personnes est en Israël dans une ville proche de Tel Aviv. Les développements logiciels sont entièrement réalisés en interne.
Pour résumer, voici quelques “best practices” notables de cette startup :
Tvinci
Tvinci est la seconde startup de la télévision numérique que j’ai rencontrée en Israël, en la personne de Ido Weisenberg, leur cofondateur et VP Business Development. Créée il y a trois ans en 2007, Tvinci propose une solution intégrée et modulaire de diffusion de la télévision payante sur toutes sortes d’écrans : PC, télévisions connectées, consoles de jeux, iPad, mobiles.
La plateforme est une sorte de grand Lego permettant tout le stockage, le traitement, l’encodage, l’ajout de contrôle d’accès, la diffusion de médias vidéo, la recommandation, les outils de reporting tout comme de facturation.
La société a connu un développement très différent de celui de Jinni. Tout d’abord, les premiers clients comme MTV et Orange Israël ont financé ses débuts. Ensuite, Tvinci cible en priorité le marché Européen, plus prometteur pour les solutions de télévision “over the top”, qui s’appuient sur la liaison Internet des consommateurs indépendamment des opérateurs. Malgré tout, un gros client américain serait sur le point d’être signé.
Leur solution s’utilise en entier telle que pour les petits opérateurs sans “legacy”, ou en kit pour les autres. Au gré des nouveaux clients sont développés les passerelles avec les modules externes du marché. Ils supportent ainsi les systèmes de contrôle d’accès DRM de NDS tout comme le PlayReady de Microsoft. Ils s’intègrent également aux plateformes publicitaires du marché, tout comme avec Twitter et Facebook, les incontournables du moment.
Il est intéressant de voir que la France joue un rôle particulier chez eux puisqu’ils sont partenaires de trois acteurs chez nous : Alcatel Lucent, Netgem / Vidéofutur et le nantais Wiztivi.
L’équipe de Tvinci est essentiellement basée à Tel Aviv, avec 25 personnes. Leurs équipes commerciales parcourent le monde : Royaume Uni, Turquie, Russie, Allemagne, Italie. Leur patron des ventes est un ancien de NDS qui connait bien le marché ! Tvinci a connu une croissance modérée au départ, financée par les premiers projets clients. Puis, ils ont levé $1,6m en Israël pour pouvoir se développer à l’international.
Quelques autres startups du secteur
Citons quelques autres startups du secteur de la télévision numérique et que je n’ai pas rencontrées sur place :
Citons enfin deux autres sociétés qui auront un impact dans l’univers de la télévision numérique :
Voilà pour le petit tour de l’écosystème israélien de la télévision numérique. J’en ai sûrement oublié et vous vous ferez un plaisir de faire des ajouts.
J’avais listé quelques entreprises françaises du secteur de la télévision numérique en 2009 dans “Les opportunités de la télévision numérique” (ci-dessus, une petite mise à jour de cette cartographie). Elles sont plus nombreuses que celles que l’on vient de couvrir. La différence entre les écosystèmes français et israéliens tient surtout au fait que le gros acteur israélien est un “pure player” du logiciel tandis que le plus gros acteur français est plutôt dans le matériel (Technicolor, ex Thomson). Et l’on trouve un phénomène qui n’est pas spécifique à ce secteur : les startups françaises sont peu présentes dans le marché américain tandis que leurs homologues israéliennes s’y développent en priorité. Mais ce n’est pas une fatalité. Je traiterai ainsi, d’ici quelques semaines, d’un autre secteur, le son dans le cinéma numérique, pour évoquer un leader mondial d’origine française, Dorémi.
La structure du marché de la télévision numérique a ceci de particulier qu’elle varie énormément d’un pays à l’autre. L’accès au marché n’est jamais une sinécure pour les startups du secteur. Que ce soit en amont auprès des constructeurs (de TV, de set-top-boxes, etc) ou en aval (chez les chaînes et opérateurs). Mais le marché est en pleine transformation et reste plutôt ouvert. D’où l’intérêt d’observer les approches du marché des uns et des autres comme je l’ai rapidement fait ici.
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(cc) Olivier Ezratty - http://www.oezratty.net