Séminaire Numérique Grand Emprunt – Part 2
Post de Olivier Ezratty du 11 septembre 2009 - Tags : Actualités,Enseignement supérieur,Entrepreneuriat,Innovation,Internet,Logiciels,Logiciels libres,Loisirs numériques,Marketing,Startups,USA | 5 Comments
Passons aux priorités suivantes listées par NKM pour le grand emprunt et le numérique… et dans un domaine que je connais un petit peu !
Investir dans le logiciel
Là aussi, deux interventions sortaient du lot dans le débat, assez bien animé par Hervé Novelli, secrétaire d’Etat en charge d’un tas de choses dont les PME :
Sinon, Hervé Yahi, le (nouveau) PDG de Mandriva fait la promo de l’open source, de sa boite (4ième ISV Linux mondial…, n’a jamais été profitable et fait moins de 4m€ de CA annuel), et évoque la bien connue fragmentation de l’industrie du logiciel française (2500 éditeurs, 800 de plus de 12 salariés, le 50eme fait 10m€ de CA). Les VC revendent les boites à des groupes étrangers. 56% du CA du logiciel était représenté par les trois premiers acteurs en 2006 et 75% en 2008. Peu ont les moyens de se consacrer à un enjeu stratégique. Il faudrait trouver “un ou deux sujets”. Au hasard, l’open source et autre chose…
Laure de la Raudière (ci-dessus), Députée d’Eure-et-Loire qui anime les débats à l’Assemblée Nationale sur le grand emprunt voudrait fixer des priorités. Elle veut investir dans les services et les logiciels et se concentrer là où “on est fort”. Elle évoque les logiciels embarqués, le serious gaming, la santé. Elle voudrait aussi que l’Etat évite que nos éditeurs soient revendus à des acteurs étrangers. Mais il faut essayer de comprendre pourquoi nos géants se cassent la gueule ! Sagem, Thomson, Alcatel, STM et même Bull (qui est un pâle reflet de ce qu’il fut). Combien de startups ont-ils acheté dans le numérique ? Elle veut aussi encourager les “clusters” comme Cap Digital. Il faudrait aussi créer un “fond stratégique d’investissement” dédié aux logiciels.
Henri Verdier de Cap Digital a d’autres critères de choix sectoriels : les domaines où les positions sont encore à prendre. Il met aussi l’accent sur l’accès aux grands comptes et aux achats publics pour les entreprises innovantes. Et de citer aussi l’opportunité des “greentechs” pour le numérique. Bien vu.
Enfin, Pierre-Marie Le Huchet de Berger Levrault évoque l’importance de l’archivage et de l’identification… son métier. Erreur de casting !
Donc, NKM retient de tout cela qu’il faudrait créer un fond spécial pour le logiciel. Le lobbying de l’AFDEL semble avoir bien fonctionné ! Ce que j’en pense ? Pas sûr que cela soit la bonne solution ni que le problème soit bien défini.
Tout d’abord, créer un fond de plus ne me semble pas approprié. En effet, le financement de l’innovation est déjà bien complexe et est à près des deux tiers d’origine publique quand on additionne les apports des collectivités locales, d’Oséo, de la CDC, les exonérations fiscales pour les particuliers (TEPA/ISF) et pour les entreprises (Crédit Impôt Recherche, charges sociales, IS). C’est déjà beaucoup trop ! Quand j’avais à gérer un gros budget marketing, j’avais l’habitude de devoir raisonner à périmètre constant. Sans cesse, il fallait réallouer. Un exercice que la puissance publique a bien du mal à faire ce qui explique l’explosion des budgets et de la dette publiques. Pour la compréhension, je vous ressert ce schéma approximatif publié en avril dernier qui permet de comprendre un peu la situation :
Voici quelques idées de réallocations à sérieusement envisager :
Dans le logiciel comme dans le numérique ou les nouvelles technologies en général, la puissance publique est très focalisée sur le financement de la R&D et de la création de technologies. Mais elle intervient très peu là où la France pêche : le marketing, la communication, la vente, ou les exportations (la France représente moins de 3% du marché mondial du numérique !). On ne manque pas de bons ingénieurs ou de bons développeurs. On manque d’entrepreneurs expérimentés et de bons “business mens/women”. On pourrait doubler le budget R&D de la France sans pour autant en bénéficier économiquement. On aurait par exemple, grâce au CIR, des entreprises étrangères établissant leur laboratoire de R&D chez nous, ce qui créérait certes des emplois, mais pas de richesse économique indirecte. Le problème est que la technostructure de l’Etat ne maitrise pas ces disciplines non technologiques et que la règlementation (Européenne, OMC) réduit le champs possible de l’intervention publique, qui ne doit pas introduire de distorsion (trop visible) du marché. Il y a une solution : se pencher sur l’amont avec les jeunes et l’éducation. Aider encore plus les jeunes à créer des entreprises devrait être une priorité, en leur donnant des moyens de tester de nouvelles idées. J’ai déjà eu l’occasion d’élaborer quelques propositions sur le sujet. Elles restent toujours valables. Et comme elles portent sur nos générations futures, elles pourraient éventuellement s’intégrer à l’emprunt.
Sinon, pourquoi créer un fond pour les logiciels ? Les 200 et quelques fonds d’investissement investissent presque tous déjà dans les logiciels et Internet. Certains sont plus typés : commerce électronique, mobilité et télécommunications, logiciels libres, etc. Le logiciel est déjà bien traité. 18% des investissements sur H2 2008, avec 17% pour Internet et 8% pour les télécoms. Soit 43% du total (source : indicateur Chausson Finance, ci-dessous) !
Alors, nous dit-on, le problème se situe au niveau des gros tickets d’investissement, supérieurs à 10m€, notamment au moment où il faut faire croire géographiquement la startup à l’international. Oui, c’est vrai. Les startups du numérique qui lèvent (souvent en troisième tour) un montant de ce niveau se comptent sur les doigts d’une à deux mains par an. Mais c’est lié au “pipe”. Au fait que peu d’entre elles aboutissent jusque là, avec un bon produit répondant au besoin du marché, un bon marketing, un bon modèle économique et de véritables vélléités de se développer à l’international et notamment aux USA. Les fonds sont aussi quelque peu frileux, c’est un peu vrai. Nous avons aussi France Investissement qui sous la coupe de la CDC, oriente et focalise les investissements bancaires dans les FCPI. Et puis aussi le Fonds Stratégique d’Investissement qui jusqu’à présent n’a pas trop trempé dans le numérique. Bref, on ne manque ni d’argent ni de structures pour en investir. On manque surtout d’un “pipe” de qualité suffisante. C’est ce que disent tous les investisseurs.
Il faudrait aussi se focaliser sur les domaines “où on est bons” et où les positions ne sont pas encore prises. Mais où est-on bons ? Et selon quels critères ? Technologiques ? Parts de marché, export ? Quand on connait à la vitesse à laquelle les marchés du numérique évoluent, bien malins sont ceux qui savent prédire ces différentes tendances plusieurs années à l’avance. Pour réussir dans l’innovation, il faut avoir beaucoup de fers au feu. La Silicon Valley est connue pour ses grands succès (Google & co), mais elle génère aussi ses milliers d’échecs, à ceci près qu’elle les recycle mieux. Et les innovations de rupture apparaissent très souvent dans des catégories qui n’existent pas encore. Donc, oui pour le secteur du logiciel et de l’Internet, mais de là à sous-segmenter au niveau de la puissance publique ! Seuls les domaines qui relèvent de la défense nationale ou de la souveraineté économique pourraient le justifier (sécurité, cryptage, etc).
De plus, rien qu’autour du logiciel, c’est la foire d’empoigne pour définir les priorités : il y a les jeux (à commencer par les “pas sérieux” qui pour l’instant représentent encore le plus gros chiffre d’affaire), l’Internet en général, le commerce électronique, la publicité en ligne, la e-santé, les logiciels embarqués, l’internet des objets, l’internet mobile, la sécurité, le paiement électronique et les cartes à puces, les infrastructures logicielles pour le cloud computing (middleware, outils de développement, etc), les arts graphiques et la 3D, la télévision et le cinéma numériques (la France, numéro un mondial de l’IPTV…), etc.
Il y a enfin un domaine où l’Etat doit jouer un rôle, c’est comme client. Il doit être exemplaire dans l’innovation en l’appliquant à lui-même. On sait combien c’est difficile tant la culture du risque n’est pas – par construction – l’apanage de la fonction publique. L’appel à projet web 2.0 et serious gaming lancé par NKM et dont les résultats seront annoncés la semaine prochaine est considéré comme un peu gadget. Il y a eu plus de 500 soumissionnaires ! Et c’est une démarche intéressante qui, si elle est bien pilotée dans sa seconde phase (appels d’offres, après les appels à projets), peut aider les startups à se créer de belles références clients. Comme aux USA, l’Etat comme les grandes collectivités locales telles que Paris doivent persévérer dans cette piste.
Comme nous avons eu droit lors du Séminaire du 10 septembre 2009 à un keynote du patron de la plus grande SSII française (Cap Gemini), un mot pour terminer sur les services pour les exclure TOTALEMENT du grand emprunt. En effet, ces entreprises investissent peu et ne font pas de R&D. Les emplois sont locaux avec peu ou pas d’exportations puisque les SSII comme Cap Gemini qui font du business à l’étranger emploient à l’étranger pour produire, et importent un bénéfice net modeste au regard de la faible marge de ce secteur d’activité. Les demandes de ce secteur concernent surtout la baisse de taxes et charges diverses. Pas question d’emprunter pour cela !
Voilà, j’ai mis sur la table quelques éléments de discussion. Est-ce qu’un véritable débat aura lieu quelque part ?
Suite et fin avec les trois autres pistes de NKM au prochain numéro (ça ira vite docteur ? car, là, je commence à avoir mal…).
Le compte rendu officiel des débats est disponible. Et le flux Twitter #emprunt trace les débats pendant et après le séminaire tout comme les liens sur les autres compte-rendus de l’événement par la presse et les bloggeurs. Et mes photos de l’événement sont sur Picasa Web Album comme d’habitude.
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