Retour de Corée et Japon – télévision mobile et autres contenus
Post de Olivier Ezratty du 24 février 2009 - Tags : Economie,Google,Innovation,Internet,Logiciels,Loisirs numériques,Technologie,TV et vidéo | 4 Comments
L’un des objectifs du voyage de NKM était de comprendre le fonctionnement de la télévision sur mobile en Corée et dans une moindre mesure au Japon pour en tirer des leçons éventuellement applicables à la France, qui n’est pas très avancée dans ce domaine.
Nous avons donc eu l’occasion de rencontrer plusieurs spécialistes et sociétés du secteur :
Le tout complétant les excellentes notes de la Mission Economique de l’Ambassade de France sur la télévision mobile qui alimentent en données cet article (même si les données sont toujours un peu sujettes à caution du point de vue de leur positionnement dans le temps).
Les coréens champions du monde de la connectivité
Dans tous les domaines de l’Internet et du mobile, la Corée est en effet championne du monde. Les foyers coréens affectent 5% de leur revenu aux télécommunications ! 45% des Internautes utilisent l’Internet entre 14 et 35 heures par semaine.
Dans le fixe, 91% de pénétration des foyers est connectée à Internet en haut débit, essentiellement en ADSL. 76% de la population est sur Internet, et même déjà presque 7 millions d’utilisateurs sont en très haut débit. L’agence coréenne des communications (KCC) a lancé un plan d’équipement en fibre optique (FTTH) très ambitieux cofinancé par le public ($1B) et le privé ($25B). Avec un objectif 2013 d’avoir 1 Gbits/s dans tous les foyers !
Itou du côté des mobiles avec un taux d’équipement de mobiles de 93% de la population et des jeunes qui changent leur mobile tous les 6 à 9 mois (la moyenne en France est de 18 mois). Un quart des mobiles sont en 3G (CDMA), la 4G étant prévue en 2010 avec 100 mbits/s. En moyenne, les utilisateurs de mobile envoient 50 SMS par jour. Ils téléphonent une à deux heures par jour sur leur mobile et regardent une heure par jour de télé par jour en transports en commun. Les usages du mobile sont généralisés avec un seul bémol, malgré le déploiement large de la 3G, son coût reste élevé, limitant quelque peu ses usages. Le gouvernement et les villes donnent l’exemple avec ces projets “ubiquitous cities” financé par le public et le privé et consistant à mettre dans les mains des utilisateurs de mobiles un maximum de services public en ligne comme nous l’avons vu dans le post précédent.
Et il y a environ 17 millions d’utilisateurs de télévision “en mobilité” sur mobiles, notebooks, Personal Media Devices et les systèmes embarqués dans les voitures. Les taxis regardent ainsi la télévision en conduisant. Hum hum… !
La télévision mobile
Il coexiste trois technologies de télévision mobile :
Nos interlocuteurs soulignaient que les programmes proposés n’étaient pas encore bien adaptés au mobile. Ce qui fonctionne le mieux sont les “drama”, les équivalents coréens de “Plus belle la vie”, mais aussi le sport. Les coréens apprécient de voir le début de leur émission alors qu’ils sont en transports en commun. Une solution qui concurrence d’ailleurs les solutions d’enregistrement numérique (PVR, Média Centers, set-top-boxes) dont nous avons peu parlé.
Dans le DMB-T, la publicité est limitée à l’avant et l’après des programmes. Elle n’est pas ailleurs pas clickable. Il n’y a pas encore d’intégration entre les flux broadcast de la télévision mobile (terrestre et satellite) et des contenus provenant de l’Internet mobile. L’attention de l’utilisateur de mobile comme la surface de communication ne sont pas bons sur mobile. Et en plus, la pub TV est en déclin globalement… face à la pub Internet et à Google qui fait bien peur aux grands de l’électronique de loisir en Corée comme au Japon. Si le commerce en ligne est bien développé en Corée, nous avons peu entendu parler de “m-commerce” qui pourrait devenir un moteur de la publicité associée à la télévision mobile.
Quant à elle, la vidéo à la demande en streaming via IP en 3G et au delà n’est pas encore généralisée.
Heureusement, les investissements nécessaires au déploiement de la TV mobile ont été relativement modérés. A ce jour, les pertes cumulées étaient de $89m pour la télévision mobile terrestre et de $244m pour la télévision mobile par satellite. Et tout ceci évolue très vite : les coréens en sont à leur troisième génération de mobiles supportant la télévision numérique, qui a démarré en 2005.
IPTV
Du fait de son taux d’équipement en Internet haut débit et très haut débit, la Corée est aussi un bon marché test pour l’IPTV, qui bouillonne dans tous les sens. Avec de nombreux partenariats entre opérateurs et fournisseurs de contenus (Disney, Sony Pictures, HBO), ce d’autant plus que l’industrie du cinéma Coréen se porte bien ($1B de revenu).
SK présentait dans son showroom le service broad & TV, la solution d’IPTV de SK Broadband. C’est de la diffusion en direct d’une soixantaine de chaines TV numériques. Mais il y aussi du karaoké, très populaire en Corée. Le service propose également de la vidéo à la demande, provenant des grands studios d’Hollywood ainsi que des studios de cinéma coréens, qui sont très productifs. Le tout s’appuie sur une set-top-box qui a l’air assez standard (le boitier au centre ci-dessous sachant que l’IPTV est aussi accessible avec un PC Media Center, en rouge).
Nous avons notamment entendu parler de Daum, le premier portal Coréen avec ses 91% de pénétration. Un portail qui a lancé un partenariat avec Celrun Co et Microsoft pour le lancement d’une set-top-box Celrun équipée du logiciel MediaRoom de l’éditeur et alimentée en contenus provenant de Daum. Ceci rappelle que les sociétés asiatiques dépendent encore des américains si ce n’est de l’Europe, pour les logiciels d’infrastructure quand bien même ils essayent de mutualiser leurs efforts, notamment autour de Linux.
Le service économique de l’Ambassade de Corée évoque fort à propos la création en 2008 du consortium dottv qui associe les constructeurs, opérateurs de services et éditeurs de contenus, et est destiné à spécifier et promouvoir les nouveaux services interactifs de l’IPTV. Les Coréens souhaitent ainsi maitriser plus largement la chaine de valeur de l’IPTV.
Services et contenus
Les acteurs de l’électronique de loisirs rencontrés comme Samsung aimeraient bien se positionner dans les contenus. Sony a essayé avec Columbia avec une intégration verticale mais cela ne leur a pas vraiment réussi. Samsung est un constructeur “"pur hardware” et commence à s’intéresser aux logiciels et aux contenus. Ils se demandent tous comment faire pour éviter la commoditisation.
J’observe pour ma part une forte horizontalisation du marché avec de grands acteurs multi-canal indépendants des tuyaux. Les opérateurs télécoms de tous les pays raisonnent de manière verticale pour augmenter leur valeur ajoutée apportée aux utilisateurs alors que le marché pourrait bien s’horizontaliser en séparant plus nettement les tuyaux des contenus et des services.
Côté services et contenus, nous avons pu voir quelques solutions intéressantes dans le showroom de SK qui était visité bien rapidement, certaines n’étant pas encore opérationnelles :
Jeux
Nous avons visité la société ncsoft, leader du jeu en réseau en Corée avec son jeu Lineage qui a trois millions d’utilisateurs. Tout d’abord, une présentation en amphi (ci-dessous) par le PR manager anglophone de la société, puis rencontre avec le CEO.
C’est une entreprise florissante de plus de 3000 personnes. Elle s’est rapidement positionnée sur les jeux en ligne alors que les jeux sur console commençaient à battre de l’aile. La société fait $330m de chiffre d’affaire, à comparer aux 700m€ du français Ubisoft. Ncsoft fait encore 57% de son CA en Corée, suivis de 13% aux USA. La société a donc encore du potentiel de croissance et de gains de parts de marché.
En Corée, la société s’est notamment développée grâce au grand nombre d’Internet Cafés – plus de 25000 – où les groupes de jeunes viennent jouer.
Les jeux qui nous ont été présentés sont dans l’air du temps : personnalisation 3D des personnages, réalisme de l’animation, multiplicité des personnages, richesse du scénario. Après avoir subi un fort taux de piratage de ses jeux pour console en Corée, ou la propriété intellectuelle n’est pas bien respectée, la société fait face à de la contrefaçon de ses jeux en ligne à l’étranger notamment aux USA et en Grèce. Avec une forme de piratage méconnue : le logiciel est piraté en mode serveur !
L’implication du gouvernement en Corée dans le jeu est intéressante. Il est à l’origine de la création de la KOGIA, la Korea Game Industry Association en 1999, créé par le Ministère de la Culture et du Tourisme ! La Kogia a publié en 2007 un livre blanc très intéressant sur la stratégie du pays dans les jeux.
Mais si nous avons vu que ncsoft se portait bien, les japonais ne sont pas en reste avec leurs leaders des consoles et des éditeurs de jeu très puissants comme Konami (plus de $2,5B en 2008), Bandai Namco ($3,8B en 2008 avec des activités diverses, dont des jouets, des jeux d’arcade et des jeux vidéos) et Square.
Gouvernance
Les sociétés coréennes et japonaises ne s’épanchent pas sur le rôle du gouvernement mais quand on les questionne, elles trouvent son action positive. SK Telecom évoquait notamment le rôle des “guides de déploiement” de la TV mobile.
Le marché coréen est régulé par la KCC (équivalent du CSA ou de la FCC aux USA) qui empêche les grands groupes industriels de devenir opérateurs de télévision. Samsung a ainsi du arrêter sa chaine TV. Cela pourrait en inspirer certains en France.
A noter qu’en matière d’IPTV fixe, la France perçue comme un modèle, lié à l’équipement triple play.
Questions non traitées dans les visites
Les visites se faisant au pas de charge, il y a plein de sujets qui n’ont pas pu être traités et qui mériteront un approfondissement :
Dans ses différents rapports d’étonnement de sa visite – au Japon avec les français rencontrés – NKM insistait pas mal sur l’opportunité que représentaient les contenus et les usages. D’un point de vue métier, cela regroupe à ce que j’ai compris : les contenus médias, les logiciels et les services en ligne. Si l’on s’en tenait aux contenus purs, je serais moins enthousiaste qu’elle car ce business n’est pas très profitable ou tout du moins sa profitabilité est très variable (cf le tableau ci-dessus qui montre l’évolution de la profitabilité et du CA par secteur d’activité des 2000 plus grandes entreprises mondiales établi par Forbes, disponible en PDF). Rares sont les business de contenus qui ont un bon écosystème. Les intermédiateurs comme Google se portent mieux en général sauf dans l’industrie du jeu. Avec une définition extensive intégrant notamment toutes les facettes du commerce électronique et de la publicité en ligne, le potentiel industriel est évidemment énorme.
C’est bien l’objet d’un tel voyage : provoquer l’étonnement, générer des questions, des débats… et du travail pour préparer une stratégie et des décisions !
Dans le prochain épisode, nous traiterons de la monétique au Japon.
A lire également au sujet du voyage de Nathalie Kosciusko-Morizet en Corée et au Japon :
Jusqu’où peut aller la Politique 2.0 ?
Avec NKM en Corée et au Japon
La délégation
Le voyage et le séjour
Culture et innovations
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(cc) Olivier Ezratty - http://www.oezratty.net