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La performance réelle du capital risque

Post de Olivier Ezratty du 30 septembre 2009 - Tags : Economie,Entrepreneuriat,Innovation,Logiciels,Silicon Valley,Startups,USA | 23 Comments

J’ai assisté la semaine dernière à une présentation très intéressante sur la performance du capital risque dans le monde réalisée par les équipes de Quilvest Venture. Quilvest est un groupe privé international regroupant diverses activités dont celle de Private Equity (investissement direct dans des entreprises de croissance) ainsi que de “fond de fond” (investissement dans des fonds de capital risque). Elle faisait ici la promotion indirecte de son savoir faire dans la détection de bons projets et des meilleurs fonds d’investissement. Un excellent regard macro-économique pour comprendre le circuit de l’innovation.

La présentation s’appuyait sur une étude quantitative de 22500 sociétés créées depuis 2002 et financées par du capital risque aux USA, en Europe et en Chine. Cette étude vise à identifier les bonnes pratiques acquises par l’expérience du capital risque dans le monde et particulièrement aux USA, et aussi à permettre le repérage des projets susceptibles de générer les meilleurs retours sur investissement.

Avec quelques convictions sous-jacentes : le capital risque n’est pas mort avec la bulle Internet. Il a besoin d’ambition, de professionnalisme et surtout de patience – avec des investisseurs à même de s’inscrire sur le long terme.

Le qualitatif

Voici les points clés de cette étude tout d’abord d’un point de vue qualitatif :

  • Les USA sont toujours au coeur de la création de richesses dans l’innovation. La Chine émerge rapidement mais les rendements financiers y sont encore incertains car la plupart des “sorties” (des entreprises des fonds) se font par des introductions en bourse, dont le niveau est artificiellement élevé, même pendant la récession actuelle. Ce qui favorise les USA et fait écho aux récents propos de Marc Simoncini :
    • Ce ne sont pas les technologies qui créent cette différence. L’Europe est tout aussi bonne dans le domaine. L’argument se tient, mais n’est pas sous-tendu par des données quantitatives. On continue en tout cas d’arroser là où c’est mouillé en Europe et en France avec toutes ces aides concentrées sur la R&D, Crédit Impôt Recherche en premier !
    • Un grand marché non fragmenté. L’Europe est pénalisée par la fragmentation de son marché intérieur, malgré l’unification de la monnaie et de la régulation. C’est aussi ce qui aide maintenant la Chine.
    • Le capital risque disponible : $30B (USA) vs $6B (Europe) par an levés par les fonds de capital risque en moyenne entre 2002 et 2008 (sans compte les investissements de business angels qui sont très élevés aux USA, $30B en 2007, mais probablement moins en 2008/2009). Un décalage qui reste énorme malgré la décrue de 2008/2009, qui de toutes manières affecte tout autant l’Europe.
    • Le grand nombre de fonds gérant plus de $300m et avec une longueur d’avance d’expérience, une taille critique indispensable pour générer de gros succès.
    • Un réservoir de managers de qualité – dont il faut noter au passage l’origine géographique diversifiée. Sachant de plus que les entrepreneurs ayant réussi ont deux fois plus de chances de réussir à nouveau que les “bleus”.
    • Un marché financier dynamique : le Nasdaq représente $3000B alors que l’ensemble des seconds marchés européens représentent seulement $80B. Avec ou sans crise et bulle financière.
  • Du point de vue sectoriel, le numérique est porteur des plus belles réussites et des meilleurs rendements. Les sciences de la vie sont moins porteuses. Et les énergies renouvelable sont prometteuses mais avec des enjeux industriels complexes. Dans ces deux cas, les retours sur investissements interviennent tardivement après des investissements lourds en production industrielle nécessitant des reins solides dans plusieurs tours de financement.
  • Les groupes industriels sont au coeur du dispositif de l’innovation. Ce sont eux qui permettent la sortie par le haut des entreprises financées. Une bonne santé et des pratiques d’acquisition soutenues conditionnent étroitement la dynamique du marché du capital risque. (NDLR: la mauvaise santé des grands acteurs technologiques français du numérique – Alcatel-Lucent, Thomson, Bull, Sagem, etc – constitue à elle seule un grand trou béan dans l’écosystème de l’innovation français du numérique).
  • Les rendements des fonds varient énormément dans le temps. Quilvest considère qu’il s’agit de cycles très longs d’environ 15 ans. Il faut donc investir dans la durée. 

L’étude quantitative

D’un point de vue quantitatif, sur les 22500 startups financées par des VC depuis 2002 dans le monde :

  • Il y a eu 7000 sorties (“exits”) soit environ 1 pour 3. Les sorties sont soit industrielles (acquisition par un grand groupe) soit des introductions en bourse (IPO).
  • Il y a eu 720 sorties de plus de $100m, soit 1 pour 30. C’est à ce niveau que l’on considère qu’un VC a généré un beau succès (même si nombre d’entre eux se contentent de moins que cela en Europe). Cela fait 8 sorties par mois de plus de $100m.
  • Ces 720 (10%) des sorties inventoriées (et 3% des startups) représentent plus de 80% de la valeur globale de sortie cumulée. Cette forte concentration du retour financier sur quelques sorties était vraie pendant la bulle Internet et l’est restée après.
  • Il y a eu 32 sorties de plus de $1B (un milliard de dollars US), soit 1 sur 700, une par trimestre. Avec des retours de plus de 50x pour Google et YouTube (ratio entre gains et mise de départ des investisseurs). Dans ces 32, 10 sociétés présentaient un ratio de sortie supérieur à 20x, dont Skype, Alibaba, QCells, Spreadtrum et Equalogic. Et 20 sont américaines pour une valeur de $64B, 5 sont européennes pour $10B et 7 sont chinoises pour $20B.
  • Sur les 22500 startups examinées, 11800 sont américaines. Avec un ratio équivalent d’exits à la moyenne mondiale (1 sur 3). Mais 1 sortie sur 20 est à plus de $100m contre 1 sur 80 en Europe !

So what ?

Quilvest Venture disposait visiblement d’informations de très grande valeur et ne pouvant pas être présentées : les performances individuelles de plus de 200 fonds de capital risque, des fonds par pays, etc. Il n’avait aussi visiblement pas intégré la dimension “business angels” dans son étude, malgré le poids que cette source de financement représente aux USA dans les startups. Peut-être parce que cette source intervient très en amont, dans la myriade de startups en amorçage ou les succès sont rares. La plupart des sociétés investies par le capital risque ont été amorcées par des business angels. Il serait aussi intéressant d’étudier l’impact des aides publiques dans les réussites identifiées.

Ce genre d’étude rappelle que les grands succès sont rares et que les facteurs clés de succès sont moins bien réunis en Europe qu’aux USA. Tout le monde le sait, mais peu agissent en connaissance de cause.

Cela fait belle lurette que j’en ai déduit de manière un peu simpliste que pour réussir dans le numérique, surtout dans les couches très technologiques, il fallait avoir un (voire deux) pieds aux USA. Si un fond d’investissement était ainsi créé pour l’industrie du logiciel dans le cadre du grand emprunt, il faudrait qu’il aide les PME du secteur à s’implanter là bas. Mais comment faire accepter d’utiliser des fonds publics pour créer des emplois aux USA ? Complètement contre-intuitif, mais pourtant le prix à payer pour créer des réussites mondiales dans ce secteur. Certes, nous avons Ventes Privées et Meetic qui sont des réussites européennes, mais elles sont bien rares.

L’étude rappelle aussi en creu que le morcellement du capital risque européen et français n’est pas bien salutaire. Il serait intéressant que des regroupements ou consolidations se réalisent pour permettre aux fonds d’atteindre la taille critique permettant de réaliser des investissements lourds (au delà de 20m€ par projets) à même de générer de grosses réussites.

Mais le financement ne fait pas tout. Il faut aussi l’envie et les compétences. Et il est difficile d’accepter qu’elles soient aussi rares que l’argent, et que l’argent ne puisse pas les acheter directement ou à court terme.

RRR

 
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