Faut-il avoir si peur de la loi Hadopi ?
Post de Olivier Ezratty du 21 mars 2009 - Tags : France,Innovation,Internet,Loisirs numériques,Politique,Technologie | 59 Comments
Je ne m’étais pas exprimé sur le sujet de la loi Création et Internet, dite HADOPI, du nom de la haute autorité que la loi va créer et qui contrôlera le respect de la propriété intellectuelle des contenus sur Internet. Un appel cette semaine de Rue89 et l’appel à l’aide de Daily Motion à NKM me poussent à creuser un peu le sujet et à m’exprimer dessus. Cela ne sera pas court, vous en avez l’habitude. Mais ce sujet ne se survole pas en quelques lignes !
Nous allons dans ce post examiner cette loi, voir ce qu’elle a de bon et de moins bon et comment elle pourrait être améliorée. Nous épiloguerons ensuite sur la position de NKM dans ce débat.
Beaucoup de lecture…
Je me suis alors rendu sur les sites permettant d’en savoir plus sur la loi. Autant aller à la source et ne pas se contenter de lire les commentaires divers sur la loi.
Le site du Ministère de la Culture détaille les motifs de la loi et fait la part belle à la position des artistes, certains comme Luc Besson étant récemment montés au créneau. Notons que le site est visiblement en Ajax et qu’il n’est pas possible de conserver une URL des dossiers ! Grrrr ! Mais pour une fois, le gouvernement fait preuve d’un peu de pédagogie dans la promotion d’une loi. Avec notamment ce petit dossier “Cinq idées fausses sur le projet de loi”. Mais pour l’instant, cette pédagogie n’a pas beaucoup d’effets sur l’opinion.
Les travaux des deux assemblées sur cette loi montrent qu’il y a eu environ 445 amendements déposés pour sa seconde lecture à l’Assemblée Nationale qui a démarré le 11 mars et reprendra le 30 mars prochain pour se terminer le 8 avril. La version commentée du projet de loi avec une introduction est ici même, suivie de son texte intégrant les amendements des deux assemblées. Un seul amendement de l’opposition a pour l’instant été accepté en seconde lecture sachant qu’environ 10% des amendements ont été examinés par l’Assemblée Nationale, selon son site web.
Plus de peur que de mal ?
Deux tiers de la loi concernent les mesures de riposte graduée contre le piratage consistant à avertir les internautes contrevenants par moyen électronique, puis par courrier recommandé, puis de couper sa liaison Internet. Sachant que tout ce processus peut durer 18 mois et que la dernière étape est assortie d’un processus contradictoire permettant en théorie à l’Internaute de se défendre des faits qui lui sont reprochés. Le tout est géré hors de toute procédure judiciaire, par la HADOPI, la Haute Autorité pour la Diffusion des Oeuvres et la Protection des Droits sur Internet, qui serait sollicitée par les ayants droits constatant par leurs propres moyens les faits délictueux de piratage de leurs contenus.
Un autre tiers de la loi vise à développer l’offre légale de contenus, en modifiant timidement la chronologie des médias pour que les films soient disponibles plus tôt (un mois plus tôt…) en téléchargement légal. Cette partie de la loi est encore imprécise et laisse libre court à la créativité des business concernés.
Cette loi présente tout de même quelques points positifs par rapport à l’existant DADVSI :
Signalons que les USA et le Royaume-Uni semblent vouloir mettre en place un dispositif similaire, mais sans l’intermédiation d’une autorité indépendante. Reste à savoir comment cela fonctionnera exactement dans ces pays et quels y seront les effets de bord de la mesure (mention ajoutée le 22/3/2009).
Une loi gruyère
En même temps, la loi présente des zones d’ombres qui expliquent la résistance. Elles sont liées à l’imprécision et au flou sur sa mise en oeuvre, dont une part est laissée à l’appréciation de décrets d’applications de la loi qui préciseront par exemple “les conditions dans lesquelles les sanctions peuvent faire l’objet d’un sursis à exécution” et “les juridictions compétentes pour connaître de ces recours”. Ces défauts ne sont pas rédhibitoires et Le gouvernement pourrait très bien modifier son projet pour le rendre acceptable. Mais les débats parlementaires semblent montrer une inflexibilité gouvernementale et des commissions parlementaires associées contrôlées par la majorité.
Nous avons donc :
Cette loi ne sera donc pas différente de plein d’autres lois : une idée pas forcément mauvaise au départ, mais un montage et une exécution qui pourraient ne pas fonctionner du tout.
Mais la loi pourrait n’être également qu’un grand gâchis de ressources pour notre pays. Combien de temps passé par les uns et les autres sur la loi ? Par les entrepreneurs de l’Internet et des télécoms pour en comprendre les tenants et les aboutissants, au lieu de se focaliser sur la création de valeur ?
Dialogue de sourds à la française
En gros, on peut comprendre les inquiétudes des uns et des autres sur cette loi, mais en même temps, trouver que les protagonistes de l’affaire sont bien hypocrites :
Bref, un peu comme dans le binôme patrons/syndicats, nous avons un dialogue de sourds à la française qui a bien du mal à accoucher de quelque chose de raisonnable.
Peut-on améliorer la loi ?
Il est encore temps de corriger cette loi et sa mise en oeuvre sachant qu’elle sera de toutes manières votée quoi qu’il arrive.
Des amendements proposés en seconde lecture à l’Assemblée tant par l’opposition que par la majorité pourraient rendre cette loi acceptable par l’ensemble des parties prenantes. Si l’UMP et le gouvernement y mettaient du leur et ne cédaient pas qu’aux sirènes des lobbies des contenus, ils pourraient bien sortir par le haut de cette affaire.
Le PS ferait sinon bien d’affiner sa stratégie ! Car, d’un côté, le groupe PS du Sénat a voté la loi en première lecture en octobre 2008, et de l’autre, les députés PS déposent des amendements contradictoires entre eux (certains, pour supprimer la riposte graduée, d’autres pour l’aménager).
La lecture des 445 amendements déposés en seconde lecture à l’Assemblée fournit en tout cas de nombreuses pistes intéressantes :
Si le gouvernement voulait à la fois respecter l’esprit de cette loi et chercher à aboutir à un consensus sans passer par la manière forte, il devrait faire des gestes dans le sens de ces améliorations dans la procédure parlementaire en cours !
Oui, je sais, je rêve à blog ouvert… :).
Un schéma pour comprendre la riposte graduée
Pour m’y retrouver dans la loi HADOPI, j’ai construit le petit schéma ci-dessus, tradition oblige. Il décrit le processus de la riposte graduée et les variantes proposées. Comme il sera illisible sur votre navigateur préféré, vous pouvez le télécharger au format PDF.
Le schéma donne le tournis. En effet, il met bien en évidence la complexité du processus de la riposte graduée. Plus c’est complexe, plus nombreux sont les risques : sur la vie privée, sur les recours, sur le grippage de la machine, etc.
Prochaine étape : la boite noire obligatoire dans tous les véhicules qui enregistre la vitesse et la position GPS du véhicule et la compare aux limites de vitesse. A chaque contrôle technique, vidage de la boite noire et contraventions automatiques. Ou bien, en version plus couteuse, émetteur 3G intégré dans la boite noire pour verbalisation temps réel. Cauchemar ? Cela sera possible un jour… Il y a déjà des boites noires voisines dans les camions.
Daily Motion interpelle NKM… sur un autre sujet
Mercredi 18 mars 2009, Le Figaro publie une lettre ouverte de Martin Rogard de Daily Motion France à Nathalie Kosciusko-Morizet lui demandant de défendre les Internautes et les sociétés du secteur face aux attaques répétées et anxiogènes de son propre camp (Lefebvre, Boutin, Morano).
Le même jour, Rue89 reprend le point en mettant en évidence la situation délicate de NKM dans ce dossier qui ne s’exprime pas assez ou pas du tout sur tous ces débats qui remettent en cause où les Internautes ou l’Internet en général. J’ai été contacté par Julien Martin, le journaliste du site ayant écrit cet article. Et cité comme suit au sujet de la position de NKM.
NKM réagissait dans la journée même et dans un style très direct à cette lettre ouverte de Daily Motion dans une note publiée sur son compte Facebook. On y découvre des relations quelque peu incestueuses du monde des médias et des télécoms avec des allers et retours entre cabinets ministériels et secteur privé. Martin Rogard a effectivement été Conseiller au Cabinet de Donnedieu de Vabres au moment de la création et du vote de la loi DADVSI en 2006, loi dont l’aspect répressif contre le piratage était manifeste. Son père, Pascal Rogard, est le président de la SACD, l’une des principales sociétés de droits d’auteur qui anime par ailleurs un blog assez animé. Alors, bizarre ? Soit il y a opposition dans la famille, ce qui arrive souvent, et il n’y a rien à redire. Soit il y a au contraire connivence et l’attitude de Martin Rogard serait des plus douteuses. Difficile de savoir. Pascal Rogard réagissait ensuite à la réponse de NKM et calmait le jeu.
En tout cas, Christine Albanel doit se sentir bien seule à défendre cette loi HADOPI. Elle verrait probablement d’un bon oeil d’autres Ministres monter au créneau par solidarité gouvernementale, NKM en premier. Pour partager les pots cassés ?
Mais voilà, NKM ne veut pas trop se mouiller, n’étant pas à l’origine de cette loi. Elle se contente donc de la soutenir du bout des doigts et de préparer l’après vote de la loi. Une position sage qui ménage le futur mais qui dans le même temps fait monter les enchères sur les attentes vis à vis d’elle dans le secteur du numérique. Elle devra avoir une prise de parole claire une fois la loi HADOPI adoptée et les esprits quelque peu calmés.
NKM pourrait cependant manoeuvrer via l’UMP pour pousser l’Assemblée à accepter des amendements de députés et sénateurs assouplissant le projet de loi HADOPI et ménager le futur.
En effet, l’UMP ayant la majorité des voix à l’Assemblée, c’est par elle qu’il faut passer pour faire avancer le dossier, le PS jouant déjà son rôle d’aiguillon (mention ajoutée le 22/3/2009).
NKM devra aussi s’assurer que l’approche pédagogique prendra véritablement le pas sur l’approche répressive et rétablir le dialogue avec les consommateurs.
Elle devra surtout s’attaquer sérieusement au développement des offres légales, à la révision de la chronologie des médias pour ouvrir le marché et à l’aide aux sociétés du secteur numérique sérieusement mise à mal par les priorités actuelles en faveur des gazelles.
Le tout avec un rôle de coordination interministérielle qui relève d’un équilibrisme politique pas évident. Si elle s’en sort bien, ce sera une véritable superwoman de la politique. Sinon, son étoile pâlira et elle ira faire autre chose … !
En attendant, j’aime bien Deezer… et c’est légal. Ouf !
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