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Back from the Silicon Valley 3

Post de Olivier Ezratty du 9 décembre 2007 - Tags : Economie,Entrepreneuriat,France,Innovation,Marketing,Politique,Startups,Technologie | 17 Comments

La fascination qu’exerce la Silicon Valley est grande. Le nombre de voyages organisés là-bas pour des comités de direction d’entreprises et autres groupements professionnels, par des indépendants tels que Jean-Michel Billaut et récemment par l’Institut d’Entreprise en atteste. On ne revient pas indemne de ce genre de voyage. Le succès éclatant de la Silicon Valley génère quelque envie de reproduire le système en France. Comparativement à la Silicon Valley, la situation en France va de “pas bonne” à “catastrophique” selon les uns et les autres. Egaler la Silicon Valley est probablement hors de portée car on ne reconstitue pas comme cela 150 années d’histoire. Mais on peut tenter de s’en rapprocher tout en respectant nos spécificités nationales.

Il en va de notre capacité à innover et à améliorer la compétitivité de la France dans le monde. Tentons donc un état des lieux de la situation. Puis proposons des pistes pour aller de l’avant et redonner un fouet d’innovations à la France.

C’est l’objet de ce troisième et dernier post sur ce voyage.

Les autres pays

Beaucoup de pays ont lancé cette bataille depuis longtemps. A commencer par la Chine et l’Inde qui ont repris certains éléments de succès de la Silicon Valley, notamment un très fort investissement dans l’enseignement supérieur et la concentration de ressources dans des pôles à taille critique. Le marché du travail y est évidemment très flexible en plus d’être à bas coûts. La légendaire culture entrepreneuriale des chinois fait le reste. La Chine est en fait l’un des pays les plus capitalistes du monde, malgré son régime communiste. Un grand paradoxe vite levé car le pays n’a de communisme que le régime politique, pas du tout le modèle social. La fiscalité y est bien plus légère qu’en Europe et évidemment en France. Dans les TIC, l’Inde est plus traditionnellement orientée vers les services informatiques, et moins dans les produits manufacturés grand public. Mais elle pourrait rapidement acquérir un savoir faire dans ce dernier domaine.

Dans les pays dits occidentaux, le plus à l’Est, Israël, est probablement le plus proche de la Silicon Valley. Avec une surface utile équivalente et une culture locale très voisine de la culture de l’ouest. Le sens du risque est lié à l’expérience militaire ou dans le renseignement de nombreux créateurs de startups cumulé au fait que même les femmes font leur service militaire. L’excellence de l’enseignement supérieur, une population traditionnellement tournée vers les sciences et la technologie, l’absence de ressources naturelles locales à part le soleil et un marché intérieur poussent le pays à exporter des technologies de pointe. De nombreuses startups Internet et logicielles ont été introduites en bourse ou revendues, ce qui a généré du cash et permis aux investisseurs locaux de boucler la boucle en investissant dans d’autres startups. Le cercle vertueux est ainsi né, relativement récemment: moins d’une vingtaine d’années. Le tout est concentré sur deux zones, l’une près de Tel Aviv et l’autre près de Haifa. Avec moins de 100 km entre les deux. Là encore, l’état d’esprit des élite compte plus que le reste. C’est toujours une affaire de culture.

Encore plus à l’est, Singapour rappelle Israël: petit pays, pas de ressources naturelles, et un volontarisme économique et politique certains. Le pays a l’une des économies les plus libres au monde.

En Europe, il n’y a pas d’équivalent de la Silicon Valley. Ce qui s’en rapproche le plus est Cambridge au Royaume Uni et Grenoble en France. Cambridge du fait de son université qui est l’une des meilleures du monde et des entreprises et laboratoires de recherche qui gravitent autour. C’est une ville entièrement tournée vers le savoir et les technologies. Grenoble car on y produit du silicium, qu’il y a une masse critique de laboratoires (INRIA, CEA-LETI), d’universités et grandes écoles scientifiques, de startups (pôle Minatec) et grandes entreprises (STM, Soitec). Mais l’ensemble n’a évidemment pas la dimension de la Silicon Valley et est fragile: le désinvestissement de Philips/Freescale à Crolles en est un exemple récent. On peut aussi citer les petits pays baltes qui sont très dynamiques, des sortes de “Hollande” au nord.

Ce qui manque par rapport à la Silicon Valley

Reprenant le schéma des cercles vertueux et facteurs de succès de la Silicon Valley, j’ai créé son équivalent pour la France, en forçant le trait (il est téléchargeable en PDF):

EcosystemFrance

Pour changer les choses, il faut en effet exagérer la situation. C’est l’un des aspects ou le pessimisme peut être utile: lorsqu’il conduit à se remettre en cause et à réformer profondément un système.

La machine de l’innovation semble donc bien grippée en France :

  • La culture locale n’est pas la plus propice à l’entrepreneuriat et à l’innovation. Son système de valeur pêche par un faible goût pour le risque et le succès économique. Il n’y a qu’à lire en ce moment tout ce qui s’écrit et se dit sur “les riches”, “les patrons” et les “fonds d’investissement”. La France est le pays qui fait le moins confiance à la mondialisation et au libéralisme dans le monde. La France est un pays qui se méfie, qui voit toujours le verre à moitié vide au lieu d’envisager plus sereinement les opportunités. Cela tient à notre système de valeur et à notre enseignement fait d’incitations négatives, de mPascal Baudryéfiance vis à vis de l’économie, de cynisme, et d’acceptation implicite de la malhonnêteté dans la vie courante. L’économiste Jean Tirole l’a décrit récemment dans “Belief in a just world and redistributive politics“. Pour lui, le scepticisme européen (et à fortiori français) conduit à favoriser des politiques de redistribution fortes, et donc un interventionnisme élevé de la puissance publique et de hauts niveaux de taxation. Les origines sociales de ce phénomène ont été formidablement décrites par Pascal Baudry dans “L’autre rive” (téléchargeable gratuitement). Pas facile à changer mais commencer par accepter nos différences serait un bon moyen de les réduire lorsqu’elles nous pénalisent. Laissons de côté au passage l’exception culturelle française qui a tendance à nous isoler du reste monde lorsqu’elle touche à notre compétitivité industrielle: faible maîtrise de l’anglais, refus de l’utiliser dans certains domaines (rédaction de brevets, etc).
  • L’argent ne circule pas bien. Les riches s’en vont ou n’investissent pas dans l’innovation. Il n’y a pas assez de business angels.  Une image: combien les milliardaires français (Bettencourt, Bolloré, Arnaut, Pinault) ont-ils investit dans la recherche, l’innovation et l’enseignement supérieur? Combien de bâtiments dans les grandes écoles et universités ont bénéficié de leurs suFondation Louis Vuittonbsides? Ils préfèrent investir dans les beaux-arts en relation avec leur activité d’origine (musée à Venise, fondations pour la création, etc). En conséquence de quoi la puissance publique (état, régions) se substitue de manière fragmentée aux manques du pays qu’elle a parfois elle-même provoqués. Et les acteurs économiques se focalisent sur la nécessité d’un Small Business Act – surtout pour obtenir que les organisations publiques donnent leur chance aux PME – alors que celui-ci n’a pas cet impact aux USA dans la high-tech. Tout simplement parce que l’industrie high-tech est aussi tournée vers les consommateurs et pas simplement vers les entreprises. Aux USA, les aides de l’Etat à l’innovation se manifestent essentiellement sous la forme de contrats de recherche pour les laboratoires et entreprises. Ils n’ont pas tout ce fatras d’aides et d’exonérations fiscales que nous avons en France. On ne pourra pas se débarrasser de ces dispositions du jour au lendemain.
  • Les talents ne circulent pas bien. En amont, nous perdons une part de nos élites qui vont étudier ou faire de la recherche à l’étranger là où il y a plus de moyens. En aval, nos écoles d’ingénieur produisent des managers calibrés pour les entreprises du CAC40 et pas suffisamment pour l’entreprenariat. Quand à l’université, c’est plus une machine à décourager qu’autre chose. Le paupérisme qui l’affecte est une véritable plaie pour le pays. Les nécessaires tentatives de l’ouvrir vers l’entreprise rencontrent oppositions et blocages. Sans parler de cette fameuse inégalité des chances, commune à tous les pays, mais pire encore en France, qui pâtie de ses ghettos. Eux aussi investissent trop dans la création artistique, à l’autre extrémité du spectre (boutade, cf ci-dessous une photo prise dans la banlieue Nord de Paris à notre retour de San Francisco). Certains politiques français ont toujours comme référence les ghettos américains, mais on n’y détruit ni les écoles ni les bibliothèques!

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  • Les idées ne circulent pas bien. En effet, autant nous avons de bons chercheurs et scientifiques – malgré leur criant manque de moyens, autant nous ne savons pas transformer ces idées et travaux en produits. Le cycle de l’innovation est bouché dans sa phase de création de produits, d’industrialisation et de marketing. Si ce point est contestable dans les lignes de force de la France, c’est en tout cas vrai dans la high-tech (TIC). La faible culture du risque entraine des lenteurs et un manque d’intérêt pour l’innovation, tout du moins dans les entreprises, très frileuses. A mon sens, la France n’a pas besoin de plus de recherche fondamentale, elle doit en priorité mieux valoriser ce qu’elle trouve sous forme de brevets et de produits. On aurait beau doubler les budgets de la recherche publique, elle ne produirait pas pour autant plus de richesse industrielle faute d’être intégrée dans un cycle vertueux continu.

On pourrait également gloser sur les élites, sur l’incurie politique dans la politique industrielle, sur l’éloignement des politiques avec les TIC et les jeunes, sur le manque de confiance vis à vis des jeunes, sur le capitalisme familial pas assez tourné vers l’innovation, sur les modes de management.

Marchés professionnels et grand public

Dans le marché des TIC, la France présente une autre caractéristique particulière: l’abandon des marchés de volume et du grand public par les grands industriels. J’essaye de l’expliquer dans le schéma ci-dessous (également téléchargeable en PDF).

Innovation en France

En gros, dans la high-tech, la France est forte dans sa capacité à créer des produits très complexes vendus à faible volume. Centrales nucléaires, TGV, Airbus, Rafale, Ariane, satellites, armement. Cela a déteint historiquement sur l’écosystème informatique avec de grandes SSII et cabinets d’ingénierie comme Altran, agissant en sous-traitance de ces grands projets, en plus des projets informatiques classiques des grands groupes. Ceci a conduit à une polarisation des compétences en France, attire les jeunes ingénieurs, et se fait au détriment des marchés grand public des TIC. Cette spécialisation permet aussi de ne pas trop investir en marketing car la vente de ces systèmes complexes passe plus par des relations politiques à haut niveau et par des dessous de table que par du marketing grand public!

A part les logiciels de jeux et quelques rares constructeurs (LaCie, Archos), la France a progressivement abandonné le terrain des TIC pour le grand public et les marchés de volume. Thomson, Alcatel et Safran (Sagem) revendent par appartements toutes leurs activités grand public pour se focaliser sur le professionnel. Thomson commercialisait des télévisions et des baladeurs MP3; ils se spécialisent sur la vidéo professionnelle (caméras, postproduction, etc). Alcatel et Safran ont de leur côté abandonné les mobiles. Les trois conçoivent encore des set-top-box mais pour le compte d’opérateurs (Canal+, France Telecom) et sans briller à l’international. Cette tendance s’explique par les difficultés propres à ces business grand public et aussi à l’incapacité marketing des grands groupes français. Pourtant, les compétences marketing existent en France, mais elles s’orientent plus facilement vers les activités de volume hors des TIC: cosmétique, distribution, finance, agro-alimentaire. Il y a une exception notable à ce tableau noir: l’industrie automobile. Avec Renault, PSA, Michelin et Valeo, la France n’est pas à plaindre. D’autant plus que les véhicules contiennent de plus en plus de haute technologie (jusqu’à 45 processeurs par voiture). Nous avons aussi Legrand et Schneider, mais ils peinent à entrer dans les marchés naissants de la domotique.

La structure industrielle de la France est restée très traditionnelle: les grands groupes sont les mêmes qu’il y a 20 ans alors qu’aux USA, nombreux ont été balayés par une nouvelle vague d’entreprises innovantes. Et l’Etat accompagne ces entreprises avec un jacobinisme inadapté à la révolution de la connaissance. La création de l’Agence de l’Innovation Industrielle en 2005 en était un parfait exemple, focalisée qu’elle était sur le lancement de grands projets aux chances de succès plus que faibles (Quaero, etc).

La situation est également contrastée dans les usages des TICs. Si le grand public s’est bien mis au diapason, les entreprises, notamment les PME, accusent toujours un retard par rapport aux pays occidentaux.

Du point de vue des industries hightech, la sur spécialisation de la France est dangereuse. En effet, le marché des consommateurs est non seulement très porteur, mais il structure également les grandes innovations du secteur. Les innovations vont du grand public vers l’entreprise et moins dans l’autre sens. Notre structure industrielle de l’innovation va donc à rebrousse poil du sens d’adoption des innovations par le marché.

Autre impact: les marchés de volume permettent de dégager des marges importantes pour financer la R&D. Les quatre secteurs d’activité les plus profitables au monde sont les logiciels, l’Internet, les semi-conducteurs et la pharmacie! Quelle est notre position dans les trois premiers?

Ce qui se fait, ce qui va et ce qui s’améliore

La prise de conscience du besoin d’innover en France est là. Tous les grands groupes mettent l’innovation en avant dans leur communication. Les gouvernements successifs se sont mobilisés sur la question. Que ce soit en créant d’innombrables subventions, prêts et aides fiscales pour les PME innovantes ou avec les pôles de compétitivité. La croyance dans l’omniscience et la nécessite de l’intervention publique prédominent. On se tourne facilement vers l’Etat, vers les régions, pour obtenir aides et subsides. Il faudra probablement continuer à en passer par là pour changer les choses dans la décennie qui vient.

Dans ce qui va, il y a dans l’ensemble la qualité de notre enseignement supérieur scientifique. Les grandes écoles se remettent en cause régulièrement. Centrale, HEC, les Télécoms intègrent des filières entrepreneurs dans leurs cursus. Elles poussent à internationaliser les études, elles ouvrent les ingénieurs sur les disciplines non techniques. Reste à l’université de faire pareil pour ses scientifiques.

Quelques autres éléments encourageants méritent d’être cités :

  • La France est le second pays en Europe pour l’investissement en capital risque après le Royaume Uni (ces derniers ont plus de business angels) et devant l’Allemagne. C’est à la fois lié à un afflux de capitaux et au côté entreprenarial qui existe malgré tout en France. 
  • La réforme des universités en cours qui encourage les financements privés et la création de fondations.  C’est une mesure qui semble inspirée de ce qui se passe aux US. Elle incitera les plus riches des français et les entreprises à investir ou faire des donations dans l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation. Il est tout de même étonnant que si peu de milliardaires français aient laissé leur trace dans ces domaines. Est-ce parce que l’enseignement supérieur est en grande partie public? Quand on visite HEC, on voit que l’école a pu bénéficier de nombreux donateurs anciens élèves. C’est ce à quoi sert la Fondation HEC. La loi LRU permettra ces montages pour les universités. C’est très bien vu.
  • La promotion de la valeur “travail” promue par notre président. Elle l’est peut-être maladroitement (heures supplémentaires non taxées), mais cela va dans le bon sens sur la symbolique. Les valeurs de l’entrepreneuriat et de l’innovation  devraient vite suivre. Et pas simplement par des mesures fiscales comme la suppression de l’IFA (imposition forfaitaire annuelle) pour les PME récemment annoncée par Nicolas Sarkozy.
  • La réforme en vue d’une simplification du droit du travail pour plus de flexibilité d’un côté et de sécurité pour les salariés de l’autre. Reste à voir ce qui acouchera des discussions en cours entre Etat, le patronat et les syndicats.
  • Les évolutions graduelles de la fiscalité: notamment les exonérations d’ISF pour les investissements dans les PME innovantes.
  • La sensibilité des chercheurs à l’importance du dépôt de brevets pour valoriser leurs travaux. Elle a démarré sous l’égide du Ministère de la Recherche il y a quelques années et doit se poursuivre. Reste à trouver des moyens de récompenser les chercheurs qui déposent des brevets, comme le fait le SRI dans la Silicon Valley. Il y a probablement des obstacles statutaires, mais il serait bon de les mettre sur la table.
  • L’arrêt de l’augmentation du nombre de pôles de compétitivité récemment décidée par Christine Lagarde. Il y en avait déjà environ 70, ce qui est beaucoup trop. Belle présence d’esprit de la Ministre. Dans la même veine, la fusion de l’Agence Française de l’Innovation avec l’Oséo est de bon augure. Cela évitera de financer à fonds perdus les grands projets de l’AFI et se transfèrera vers les PME. Christine Lagarde aurait aussi insufflé une culture de résultats plus forte au Minefi, qui est descendue jusqu’aux Missions Economiques à l’étranger, qui ont maintenant des objectifs quanti et quali plus clairs qu’auparavant. Cela semble les avoir bien secoués dans le bon sens.
  • La défragmentation administrative du pays, pour l’instant opérée par petites touches (RG/DST, ANPE/UNEDIC, Minefi, AFI/Oséo, Tribunaux de Première Instance, Tribunaux de Prudhommes). C’est l’une des voies permettant de faire des économies dans le budget du secteur public tout en améliorant les services. 

Autres pistes de changements

Peut-on changer la culture et les états d’esprit? J’ai posé la question à Marylène Delbourg-Delphis à San Francisco. Sa réponse: elle parle à qui elle peut un par un. probablement efficace mais pas très “scalable”. Les relais principaux sont les associations, les enseignants et les médias. Les médias qui savent se mobiliser pour un oui ou pour un non sur une thématique montre que c’est possible. Rappelons-nous la réhabilitation de l’entrepreneuriat dans les années 1980 sous le premier septennat de François Mitterrand.

La Commission Attali sur la croissance pourrait servir d’aiguillon à la prise de conscience d’un nécessaire changement. Au départ, Jacques Attali expliquait que les difficultés de la France provenaient de spécificités culturelles. Depuis, il semble avoir abandonné la piste. On verra ce que cela donnera lors de la remise de son rapport final en janvier 2008. Espérons qu’il ira plus loin que la suppression de la Loi Galland sur les grandes surfaces. Améliorer la fluidité du commerce ne changera pas grand chose à la capacité du pays à produire plus d’innovations. Tout au plus s’agira-t-il d’une amélioration à la marge de l’efficacité interne du marché.

L’un des gros pans de réformes concerne l’enseignement supérieur et la recherche, suffisamment décrié en ce moment :

  • Il faut de l’ambition. Cela pourrait commencer par un grand chantier de défragmentation et de concentration des universités et grandes écoles en créant ou consolidant quelques grands pôles multidisciplinaires (notamment dans la vallée de Chevreuse, etc). Le chantier permettrait de rapprocher les filières scientifiques et techniques des filières marketing et commerciales. C’est documenté ici. Les programmes de regroupements virtuels tels que l’Institut Européen de Technologie n’auront jamais le même effet que la création d’espaces physiques à dimension critique.
  • Poursuivre la réforme des universités: augmenter les droits d’inscription et augmenter les bourses dans le même temps. Elles sont actuellement ridicules: entre 1300€ et 3000€ par an pour la majorité des étudiants. Il faudrait une progressivité en fonction du revenu des parents et non pas un couperet unique. Cela serait une véritable mesure de redistribution de la richesse et elle donnerait plus leur chance aux classes moyennes et défavorisées. En même temps, cela augmenterait le financement des universités. Coupler cela à de la sélection en amont pour éviter d’engorger certaines filières. Et réorienter les élèves qui ne peuvent pas aller à l’Université dans des filières dites “professionnalisantes”. C’est un gros mot pour certains syndicats mais c’est une nécessité économique autant qu’humaine, pour éviter de créer des diplômes sans débouchés. Et en augmentant les moyens des universités, on améliorerait notre capacité à attirer les meilleurs élèves, non pas simplement des pays d’Afrique comme aujourd’hui, mais des pays d’Europe et d’Asie.
  • Encourager les filières techniques et scientifiques qui sont désaffectées alors que le besoin est là. La compétitivité passe par là. Comment? Je ne sais pas trop. Il faut faire rêver malgré la banalisation des nouvelles technologies. Cela peut passer par des visites en entreprises organisées en fin d’enseignement secondaire, par le financement de programmes TV scientifiques sur les chaînes publiques, et par la mobilisation médiatique de grands scientifiques.

Sinon, voici quelques autres pistes économiques :

  • Lancer un grand programme d’investissement dans les infrastructures numériques. Cela peut prendre la forme du “plan fibre optique” de Jean-Michel Billaut proposé à la commission pour la croissance de Jacques Attali.
  • Réduire le nombre de pôles de compétitivité à une douzaine et concentrer les investissements, notamment dans les cleantechs où la France a des atouts et des chances de bien se placer dans la compétition mondiale.  Ceci de manière synchrone avec la défragmentations des universités et grandes écoles.
  • Concentrer les aides de l’Etat à l’innovation sur les PME innovantes, pas sur les grandes entreprises en déclin. Notamment sur les phases aval de l’innovation où elles pêchent : le marketing et les exportations. Quand on constate qu’il n’y a que 25 entreprises françaises qui exposent au Consumer Electronics Show sur 2700 exposants, on se dit qu’il y a du potentiel pour bouger les PME de ce secteur! 
  • Améliorer la capacité des entreprises à faire de la veille stratégique, comme le recommande André-Yves Portnoff (auteur d’un manifeste “Pour une nuit du 4 août” bien senti précédant les dernières élections présidentielles, voir également son récent support de présentation sur la détection des innovations sectorielles). Et pas seulement comme le fait l’agence de l’intelligence économique. Cela peut passer par un plus grand nombre de voyages d’études à l’étranger comme celui auquel je viens de participer. Et ressort plutôt d’initiatives privées même si l’Etat peut aider au travers de ses missions économiques à l’étranger.
  • Réduire les délais de paiement entre entreprise. L’Etat et les collectivités locales pourraient commencer par donner l’exemple en payant à moins de 30 jours. Cela faciliterait la croissance des PME  qui ont toujours du mal à gérer leur fond de roulement en phase de croissance.
  • Oser supprimer l’ISF qui est maintenant une exception française dans les pays de l’OCDE (la Suède y a renoncé) et encourager le recyclage des fortunes vers l’innovation. Comme il faudrait lâcher du lest ailleurs, contrairement à ce qui a été fait sur le bouclier fiscal de juillet 2007, il faudrait dans le même temps supprimer le bouclier fiscal pour les hauts revenus qui est une usine à gaz. Pourquoi pas réaugmenter les tranches hautes de l’impôt sur le revenu mais augmenter les exonérations pour l’investissement dans les PME innovantes, ce qui pousserait les hauts revenus à investir au lieu de thérauriser?
  • Renforcer nos atouts comme le tourisme. Nous sommes la première destination mondiale. On peut encore mieux faire. La France devrait éviter de dormir sur ses lauriers. Le pays peut investir sur la qualité de l’accueil, sur les langues supportées (dans les musées notamment), sur l’information, sur les transports. Plutôt que de baisser la TVA sur les hôtels et restaurants, il vaudrait mieux avoir des incitations fiscales à l’amélioration de la qualité de services rendus et inciter les touristes à rester plus longtemps et à dépenser plus. C’est une forme de marketing à l’échelle du pays, qui peut se faire sans pour autant le transformer en un Disneyland. Des investissements autour du tourisme dans les nouvelles technologies seraient également les bienvenus. Là aussi, la France peut et doit innover.

Dans l’ensemble, il nous faut apprendre à aller plus vite et à faire de la qualité en même temps. Les simplifications administratives, l’accélération des paiements, la flexibilité du droit du travail, tout ceci peut converger pour permettre aux entreprises d’être plus réactives dans un marché mondial qui évolue toujours plus vite.

Quand aux élites et aux politiques, je suis circonspect par rapport aux propositions de suppression de l’ENA (avancée par François Bayrou pendant la dernière présidentielle). On peut faire évoluer les programmes de cette école, mais la supprimer pour la remplacer par une autre institution ne serait que de la cosmétique. Un décloisonnement entre politiques, hauts fonctionnaires et cadres du privé serait le bienvenu pour faire circuler les idées et bonnes pratiques. Cela peut nécessiter de revoir le fonctionnement des corps de l’Etat qui cloisonnent l’accès aux postes à responsabilités publiques. Quand on voit le lynchage des Ministres issus de la “société civile” (Ferry, Mer, Largarde), on se dit qu’il faut changer les moeurs pour habituer les gouvernants à cotoyer des responsables qui ne sont pas des professionnels de la politique. Cela doit évidemment s’accompagner de règles déontologiques pour éviter les abus de pouvoirs. En passant notamment par la validation des nominations par le parlement comme proposé par la Commission Balladur.

En tout état de cause, il me semble possible de profondément réformer la France pour lui permettre d’augmenter sa puissance d’innovation industrielle, et sans pour autant abandonner ses principes fondateurs, son modèle social et sa richesse culturelle.

J’en oublie sûrement. Donc à vous de jouer…

RRR

 
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